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Regard (Chronique hebdo)

Haïti-Politique : Chute libre ?

Par Roody Edmé *

Spécial pour AlterPresse

A bien analyser l’actuel gouvernement et ses initiatives locales et internationales, on pourrait se laisser convaincre que les choses commencent à bouger en Haïti.

Du moins en apparence, une pléiade de projets, affirme-t-on, déjà ficelés, devraient déboucher sur une croissance économique annoncée à hauteur de 8%. Le président part presque toutes les semaines et revient avec des accords qui laissent rêveurs et font penser que notre pays est effectivement prêt pour entrer dans l’âge des investissements et des affaires, générateurs d’emplois et de croissance.

Reste que, comme le faisait remarquer un observateur, ce « brassage » de projets et de bouillantes initiatives aura du mal à faire prendre la mayonnaise si la confiance ne règne pas dans l’équipe au pouvoir...

Si le président met son premier ministre sous haute surveillance, si encore, cette équipe n’en est pas une, les initiatives les plus novatrices deviendront de fragiles bulles spéculatives...

Car, les tâches herculéennes de la reconstruction réclament un « dream team », chevillé autour d’un projet de société, sûr et stable, et bénéficiant du support de la Nation.

La plupart de nos chefs d’État élus tombent dans le même piège de la légitimité définitive…

Une fois le vote populaire obtenu, ils ne se sentent plus obligés de gagner la confiance des secteurs de l’ensemble de la société. Ils n’estiment pas nécessaire de continuer à travailler avec toutes les forces vives du pays pour réaliser un socle solide, sur lequel devrait se reposer cette refondation.

Il y a toujours ce besoin de contact mythique et direct avec le « peuple », qui dispense de faire le jeu institutionnel. C’est la maladie infantile de nos hommes et femmes politiques, « inspirés » ou pas, qui cherchent, dans une sorte d’illumination, un pouvoir fort, qui ne rend compte à personne, sinon à la personne même du chef.

Je persiste à croire que ce gouvernement - qui a démarré sur des chapeaux de roue - peut faire une différence.

C’est vrai que des investissements commencent à arriver. C’est vrai qu’il existe des initiatives diplomatiques, telles qu’on n’a jamais vu dans ce pays, depuis longtemps.

Il est aussi vrai que l’on proclame, ici et là, la peur de l’échec, et l’avènement souverain de la culture de résultats.

Personne ne peut souhaiter que ce processus aille s’enferrer dans les filets de la politicaillerie traditionnelle, têtue et revancharde.

Mais, l’égo du chef de l’État peut faire chavirer la barque nationale, qu’il dit, tous les jours, vouloir mener à bon port.

La peur est mauvaise conseillère au sommet de l’État et peut conduire aux pires dérives.

Le pouvoir haïtien est toujours nimbé de suspicion et porte génétiquement les marques de sa propre déchéance…,d’autant que dans notre pays l’opposition est farouche et constante.

Le côté imprévisible du chef de l’État frôle souvent la catastrophe et plombe son projet de dialogue national.

Ses algarades avec la presse lui donnent « mauvaise presse » et, à long terme, finiront par ronger son pouvoir.

Sans oublier, les tensions permanentes avec le parlement, lesquelles risquent de plonger le pays dans l’ingouvernabilité.

La bonne volonté et les techniques managériales ne suffisent pas pour diriger un pays.

Il faut aussi de la bonne politique : celle qui met, autour d’une table, les forces sociales, celle qui apaise et rassure les uns et les autres, celle qui conforte sur le fait qu’on ne s’éloigne nullement de l’État de droit rêvé par toutes les Haïtiennes et tous les Haïtiens.

Et une certaine gravité dans la tempérance est réclamée par la majorité silencieuse aux magistrats de tous les sièges.

Les hommes et femmes au pouvoir veulent-ils faire décoller ce pays ?

Nul besoin de mettre en doute leur bonne volonté !

Mais, au rythme ou se multiplient les incidents au sommet de l’État, la citoyenne ou le citoyen lambda ne peut pas s’empêcher de penser que « l’enfer » est souvent pavé de bonnes intentions.

* Éducateur, éditorialiste