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Haïti-Journalisme et Littérature : Parallélisme, nuances et complémentarité

P-au-P, 6 févr. 2012 [AlterPresse] --- Un panel, composé d’écrivains et de journalistes, a débattu du rapport existant entre le journalisme et la littérature, lors d’une causerie le vendredi 4 février 2012 à l’Institut Français d’Haïti (Ifh) dans le cadre de la troisième édition du festival d’Étonnants Voyageurs en Haïti, a observé l’agence en ligne AlterPresse.

L’écrivain, Dany Laferrière, attire l’attention du public sur la différence existant entre le journalisme et la littérature.

Pour lui, « la place et le temps différencient le journalisme de la littérature dans la presse écrite, où l’on tente, certaines fois, de mettre les textes en long à cause d’un manque d’espace ».

« Le journal, des fois, peut ne pas prendre les audaces que l’écrivain voudrait prendre et qu’exige précisément [son activité] », souligne Laferrière expliquant, entre autres, combien les formes littéraires ne sont pas un luxe ni un truc qui sort de l’imagination de l’écrivain.

« Ça fait partie de sa manière de transcrire le monde », indique-t-il.

Intervenant sur son texte « tout bouge autour de moi », Laferrière précise que c’est un mélange de faits réels, mais aussi d’imagination, reconnaissant que la littérature donne le droit de tricher, c’est-à-dire de donner une autre dimension à la réalité.

Par contre, Laferrière estime que les écrivains ont tendance à traiter l’actualité comme journalistes, tandis qu’on leur demande un autre regard littéraire certaines fois.

« La littérature n’est pas seulement une affaire de lettres ni d’écriture seulement. Elle concerne aussi la posture de l’individu dans le monde », soutient l’écrivain.

« Le combat pour imposer son être est personnel », ajoute-t-il, tout en disant avoir pris la décision d’être écrivain partout, en tout temps.

Relatant sa propre expérience, Laferrière reconnait que le journalisme lui a beaucoup appris, notamment la possibilité de conter la rumeur du monde et la capacité d’observation.

Pour Dominique Batraville, le journaliste peut « manger » l’écrivain au niveau de l’écriture et du style.

« Quand on est critique littéraire, journaliste littéraire, critique d’art, il faut exceller pour être senior », selon Batraville, reconnaissant comment chaque écriture fascine.

Il y a beaucoup de journalistes qui ont dû abandonner leur métier pour se consacrer strictement à l’écriture littéraire.

Il faut respecter son choix d’écriture personnelle, dépendamment du métier, conseille-t-il.

« Quand on est journaliste de la presse écrite, il faut garder une frontière. C’est d’être dans le journalisme, quand on fait un papier pour un magazine ou pour un journal, et de rester totalement écrivain quand on se met dans la situation du romancier ou du dramaturge ».

« A partir du moment où l’un des métiers mange l’autre, tu ne seras ni bon journaliste ni bon écrivain. Tu passeras comme moyen dans deux métiers », signale Dominique Batraville.

De l’avis du poète Christophe Philippe Charles (qui assume aussi le chapeau de journaliste), « beaucoup d’écrivains ne sont pas journalistes » et vice versa.

Ces deux activités, à savoir le journalisme et la littérature, peuvent être, à la fois, parallèles et complémentaires, considère Charles.

« Le traitement, que fait le journaliste du réel, n’est pas le même que fait l’écrivain. Le travail de ce dernier est plus profond », affirme Christophe Charles, s’appuyant sur sa propre expérience.

Toutefois, l’écrivain a, parfois, un regard biaisé sur la réalité, reconnait-il.

Pour sa part, l’écrivain Gary Victor croit que le journaliste est différent de l’écrivain ou même du chroniqueur.

Dans la chronique, l’écrivain peut laisser transparaitre ses sentiments en opinant en toute liberté.

Une fois qu’on a été journaliste, il en reste quelque chose qui influencera le travail de l’écrivain, notamment la manière de voir la réalité, pense Victor.

Il admet, par contre, la difficulté qu’il a éprouvée à faire un travail de journaliste devant la tragédie du séisme du 12 janvier 2010.

Précisant combien le journalisme requiert un recul par rapport à la souffrance de l’autre et un respect de l’objectivité, Gary Victor ne voit pas dans quelle mesure un journaliste peut être objectif, à moins qu’il soit totalement dénoué de cœur.

Est-ce que les journalistes ressentent quelque chose quand ils regardent les images des reportages sur Haïti concernant le séisme ?, se questionne-t-il, en avouant que l’écriture lui a permis d’exorciser sa peur.

Il existe une dialectique entre le travail du journaliste et du romancier, soutient, pour sa part, l’écrivain tunisien Hubert Haddad - également poète, romancier, historien d’art et dramaturge - qui participait au débat du 4 fevrier 2012.

Écrivant sur l’actualité, le romancier est à priori libre. Il n’a pas une longueur d’onde, si éloignée, que celle du journaliste, même si la masse d’informations - qu’il publie dans la littérature - est chargée d’idéologies, ajoute-t-il.

« Le travail du romancier est de reprendre en compte l’immédiateté et de sortir du manichéisme », croit Haddad. [emb kft rc apr 06/02/12 9:20]