Texte actualisé le 8 mars 2003
P-au-P., 07 mars. 04 [AlterPresse] --- Au moins six morts et trente-huit blessés dont une dizaine grièvement lors d’incidents ayant émaillé la toute première manifestation organisée par l’opposition sociopolitique à Port-au-Prince, depuis la chute le 29 février dernier du président Jean Bertrand Aristide.
Les incidents ont été provoqués par des partisans lourdement armés du président déchu qui ont tiré sans ménagement sur des manifestants au coeur de la capitale, à quelques deux cents mètres du Palais Présidentiel.
Parmi les morts figure un photoreporter de nationalité mexicaine. Parmi les blessés, on compte deux policiers haïtiens de l’unité « Swat Team ».
Postés dans le quartier populaire de Poste Marchand, les chimères ne se sont guère laissés intimider par la vingtaine de policiers qui tentaient de les contrôler à distance.
L’incapacité de la police à déloger les partisans armés de l’ancien régime a exaspéré de nombreux manifestants qui ont demandé que le désarmement des miliciens lavalas soit confié à Guy Philippe, le chef des rebelles armés dont la marche imminente vers la capitale, jointe à la pression internationale, ont contraint Jean Bertrand Aristide à fuir Haïti.
A l’instigation des américains qui mènent la danse dans le pays, l’ancien commissaire de police a annoncé solennellement son retour à la vie civile, précisant que ses troupes ont déposé les armes.
Guy Philippe a été aperçu, juché sur le toit d’une voiture, sur le parcours de la manifestation en t-shirt et sans armes en compagnie de trois de ses hommes.
Face aux graves incidents d’hier, le chef des insurgés s’est dit prêt à reprendre les armes. Par ailleurs, Guy Philippe et consorts ont signé une pétition en faveur du rétablissement de l’armée d’Haïti.
Jusqu’à quinze heures trente (heure locale), la situation demeurait très tendue dans les parages du palais national où des corps ont été constatés par nos reporters. Nos collaborateurs ont vu plusieurs manifestants en pleurs.
L’émotion était très vive également au niveau de l’hôpital du Canapé Vert où jusqu’à très tard dans l’après midi, des corps et des blessés continuaient à être acheminés.
Des stations de radio, qui continuaient de diffuser des informations, ont dû signaler à l’attention des blessés et de leurs proches les adresses des hôpitaux et centres de santé de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince qui fonctionnaient et étaient prêts à recevoir des blessés.
La manifestation de ce 7 mars, à laquelle ont pris part plusieurs dizaines de milliers de personnes, constituait un test important pour le nouveau chef de la police haïtienne réputé proche des américains, Léon Charles, qui avait promis une bonne couverture de la journée en matière de sécurité.
Le nouveau directeur de la police a assimilé à un massacre ce qui s’est passé. Il a affirmé que la police ne restera pas les bras croisés. Léon Charles a lancé en ce sens un appel à la population pour des informations utiles.
Jusqu’à quatorze heures (heure locale), la manifestation n’était ponctuée par aucun incident majeur, sur une dizaine de kilomètres, de la place Saint Pierre, à Pétion Ville (banlieue est de la capitale), au champ de mars, principale place publique de Port-au-Prince avoisinant le palais présidentiel.
Il s’agissait d’une marche par vagues successives et rythmée par des slogans rappelant les temps forts du mouvements revendicatif ayant suivi la chute de la dynastie des Duvalier, le 7 février 1986.
A ces revendications plus générales de justice, de transparence et d’un nouvel Etat au service de la population, s’adjoignaient d’autres plus spécifiques comme l’arrestation et le jugement de divers barons du régime lavalas dont le premier ministre sortant Yvon Neptune « pour crimes et génocide », le désarmement des chimères et la fin de l’impunité.
« Prison pour Aristide », scandaient les manifestants qui se sont attaqués à plusieurs symboles de la mégalomanie du dictateur déchu, dont un des cadres métalliques géants à l’effigie de Jean Bertrand Aristide qui s’offrait au regard des usagers de l’autoroute de Delmas. Cette photo gigantesque allait être emportée et brûlée par les manifestants devant les grilles du palais présidentiel.
Cette scène s’est produite devant une foule en liesse et dans une atmosphère bon enfant. Des sapeurs pompiers postés devant le palais ont égayé encore plus la « fête » en répandant de l’eau sur les manifestants à la demande de ces derniers qui improvisaient du coup une chanson : « le dictateur est parti, l’eau remplace les grenades lacrymogènes ».
Les manifestants se sont également adressés à la communauté internationale. « Oui à la coopération, non à l’occupation », ont scandé des manifestants étudiants qui étaient parmi les fers de lance de la mobilisation anti-Aristide.
Des slogans étaient aussi dirigés contre des lobbyistes américains qui ont fait leur beurre avec le régime de Jean Bertrand Aristide.
Dans sa livraison du 6 mars dernier, Washington Times, se basant sur des rapports communiqués au Département de la Justice aux Etats-Unis, a révélé que le gouvernement lavalas a dépensé 7 millions 300 mille dollars américains pour des activités de lobbying dans la république étoilée pour la période allant de 1997 à 2002. Le quotidien rapporte que pour la même période, la République Dominicaine, qui partage avec Haïti l’île d’Hispaniola, n’a dépensé que 1 million 18 mille dollars américains.
Cette première manifestation de la Plateforme Démocratique, depuis le départ d’Aristide, a été un succès en terme de participation. Cependant on a relevé une absence flagrante de leadership, qui a fait de la marche une vaste entreprise de défoulement, occultant les zones d’ombre de la transition, dont le flou sur la question du désarmement. [vs apr 08/03/2004 13:20]