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Rapport sur l’assassinat du policier Ricardo Benjamin a Petit Goave le 10 fevrier 2002

Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) - avril 2002

INTRODUCTION

La ville de Petit-Goâve, dans la nuit du 9 au 10 février 2002, a été le théâtre d’un événement tragique et odieux, Ricardo BENJAMIN, un membre de la Police Nationale d’Haïti est tué au local du commissariat, lieu de son affectation dans des circonstances pour le moins étranges.

Cette mort suspecte survenue au sein du commissariat de police, dans une ville politiquement très active, interpelle la conscience des militants des droits humains et de tout homme épris de justice, de liberté et de démocratie.

La Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR), fidèle à sa mission de veiller au respect des droits des haïtiens, a dépêché sur le terrain une équipe d’enquêteurs, en vue de faire la lumière autour de ce drame. Cette équipe a rencontré les responsables du commissariat, les autorités judiciaires, les responsables de la direction administrative pénitentiaire, les parents de la victime, les gens habitant le voisinage du commissariat de Petit-Goâve et les habitants de "Nan Sinistre".

PRESENTATION DU POLICIER

Issu d’une famille composée de cinq (5) enfants et âgé de 28 ans, Ricardo BENJAMIN sorti de la troisième promotion de la PNH, agent III, identifié au numéro 95-03-12 00 869, a été tour à tour affecté à la Grande Rivière du Nord, à Pétionville, à l’Asile, à Petit-Goâve. Partout où Ricardo passait, il a su se distinguer par sa rectitude, son savoir-faire et son sens du devoir, contrairement à beaucoup de ses camarades policiers plutôt décriés et discrédités par la population de Petit-Goâve. Ricardo BENJAMIN jouissait d’une grande sympathie au sein de la population.

LES PERSONNES RENCONTREES

LES RESPONSABLES DU COMMISSARIAT

Dans la nuit du 9 au 10 février, aux environs d’une heure du matin (1:00 A.M), une patrouille policière a essuyé des tirs sur la route Nationale # 2, au niveau de " Nan Sinistre ". Le véhicule à bord duquel se trouvaient les policiers a été touché au niveau de son capot et la patrouille a été contrainte de regagner le commissariat. Informés de cet incident, les responsables dudit commissariat disent avoir transmis ces informations aux instances concernées à Port-au-Prince, afin de savoir quelle position prendre, vu que Petit-Goâve, ces derniers temps, constitue un foyer de tension. Juste au moment où les policiers scrutaient les impacts de balles sur le véhicule, le commissariat fut attaqué et a essuyé des tirs à partir de la façade principale. Les policiers qui s’y trouvaient, ont dû se mettre à l’abri. Peu après, le commissariat a été la cible d’une nouvelle rafale et, Ricardo BENJAMIN atteint d’une balle à la tête, a rendu l’âme sur le champ.

LES AUTORITES JUDICIAIRES

Le juge de paix Me Lenor Julien (13 février 2002)

Le dimanche 10 février 2002, aux environs de 8 heures A.M., une réquisition verbale lui a été faite par les autorités policières du commissariat de Petit-Goâve dit le juge Lenor Julien afin de se rendre au commissariat de cette ville, pour constater et verbaliser le cadavre d’un policier.

Arrivé au commissariat, le juge Lenor dit avoir effectivement constaté le cadavre d’un jeune homme portant un jeans bleu, une chemise multicolore, un képi bleu à la tête, une paire de tennis blanc et une montre-bracelet en plastique à son poignet gauche. Dans sa poche se trouvaient un revolver de calibre 38, une pochette contenant 21 cartouches, une carte d’étudiant au numéro 122299 de la CHIMITEC, sa carte de policier et sa carte d’identité au no. 033-493-0360.

Le substitut du commissaire du gouvernement près le tribunal de Première instance Me Dumerzier Bellande

Me BELLANDE dit avoir été informé de la nouvelle de l’assassinat du policier Ricardo BENJAMIN dans la nuit du 9 au 10 février 2002, au commissariat de Petit-Goâve. L’appareil judiciaire a été requis par le responsable du commissariat. Le juge de paix, Me Lenor Julien Lénor a dressé le procès-verbal avec les informations préliminaires. Une fois, saisi du dossier, le parquet l’a transmis au doyen près le tribunal de première instance de Petit-Goâve pour les suites nécessaires.

Questionné autour des arrestations ou des mandats émis et délivrés dans le cadre de cet incident, le commissaire a répondu que jusqu’à présent il n’y a eu ni arrestation ni émission de mandats.

Les responsables de l’administration pénitentiaire

Les responsables de la DAP ont fait savoir que dans la nuit du 9 au 10 février, aux environs d’une heure A.M., ils ont entendu des tirs nourris à proximité du commissariat. En la circonstance, ils avaient pris toutes les mesures nécessaires pour protéger les détenus et le bâtiment. Vu que la prison est séparée du commissariat, ils ne pouvaient pas identifier la provenance de ces tirs.

LES PARENTS DE LA VICTIME

Les parents de la victime disent être choqués et consternés devant l’assassinat crapuleux de Ricardo Benjamin survenu dans la nuit du 9 au 10 février 2002, au local du commissariat où il était affecté depuis le mois d’août 2001. Selon eux, Ricardo BENJAMIN était de ceux de la PNH qui souhaitaient voir cette institution remplir sa véritable mission : " protéger et servir " . Il avait choisi d’entrer dans la PNH en dépit de la réticence de sa famille. A son avis, c’était l’une des meilleures façons de servir son pays. Aussi son sens de l’humour, sa politesse lui ont-ils permis d’être adulé partout où il a travaillé. C’est avec effroi qu’ils disent avoir reçu la nouvelle de la mort de Ricardo. Selon les parents de Ricardo, les circonstances de cet assassinat sont confuses vu qu’il existe de nombreuses versions entourant ce drame tant du côté de la police que du côté de la population : attaque armée contre le commissariat de Petit-Goâve, dispute entre les policiers dans l’enceinte du commissariat, puis s’ensuivent des tirs à l’intérieur pour ne citer que celles là .

La famille de Ricardo dit n’avoir pas foi dans la version officielle de la police voulant faire croire que Ricardo soit tué à la suite d’une attaque armée contre le Commissariat de Petit-Goâve. Elle demande aux autorités concernées de mener une enquête sérieuse en vue d’arriver à la manifestation de la vérité autour de cet incident.

Pour la famille BENJAMIN, rendre justice à Ricardo c’est aussi rendre justice à la police elle-même, à la société haïtienne et prévenir ainsi la répétition de tels actes qui ne font pas honneur à la communauté haïtienne.

LES GENS HABITANT AU VOISINAGE DU COMMISSARIAT

Aux environs d’une heure A.M., dans la nuit du 9 au 10 février 2002, les gens habitant au voisinage du commissariat ont entendu au sein du commissariat, une fusillade qui coincide avec la mort de Ricardo BENJAMIN, à leur avis, le policier le plus sage et le plus aimé de la population. Ils pensent que cet incident est survenu à un moment où la ville de Petit-Goâve commence à recouvrer timidement sa paix et sa tranquillité. Pour eux, la version de la police est contraire à la vérité. Ils ont la présomption que Ricardo Benjamin ait été assassiné par ses propres confrères.

LES HABITANTS DE "NAN SINISTRE"

Dans la nuit du 9 au 10 février 2002, "Nan Sinistre" où, selon la version de la PNH, une patrouille policière avait été attaquée par des bandits armés, est une localité de la ville de Petit- Goâve située sur la route Nationale # 2. Les habitants de " Nan Sinistre" ont fait les déclarations suivantes :

Il y a environ 15 à 22 jours avant la mort du policier Ricardo Benjamin, des tirs d’armes sont enregistrés presque tous les soirs dans cette localité. Les policiers du commissariat de Petit- Goâve étaient intervenus dans cette localité et ont tiré beaucoup.

Les habitants de "Nan Sinistre" disent ne pas comprendre qu’une patrouille policière ait pu subir des tirs dans la zone et que la police de Petit-Goâve n’ait pas réagi avec fracas le même jour, compte tenu des nombreuses réactions musclées faites dans le passé aux moindres écarts de la population.

En conséquence ils s’inscrivent en faux contre les allégations de la Police de Petit-Goâve.

COMMENTAIRES

Le meurtre du policier Ricardo BENJAMIN au commissariat de la ville de Petit-Goâve, dans la nuit du 9 au 10 février 2002, est un cas de mort suspecte. Deux thèses contradictoires sont avancées dans le récit de ce crime. La première semble vouloir faire passer ce crime pour un acte de vandalisme. Les tenants de cette thèse - principalement les policiers - tentent de faire croire que le commissariat aurait été attaqué à partir de sa façade principale dans la nuit du 9 au 10 février 2002. Dans l’espace de quelques minutes le commissariat a été soumis en deux fois à des tirs nourris. Ce n’est qu’au cours de la deuxième attaque que le policier Ricardo BENJAMIN aurait été tué d’une balle à la tête.

La deuxième thèse laisse croire que le policier Ricardo BENJAMIN a été lâchement assassiné par ses frères d’armes. Ceux qui soutiennent cette thèse signalent qu’une vive discussion à l’intérieur du commissariat a précédé les tirs nourris au cours desquels Ricardo a trouvé la mort.

Une grande confusion entoure donc l’assassinat du policier Ricardo BENJAMIN. Des impacts de balles n’ont pas été constatés sur les murs de la façade principale du commissariat. Le policier a été, en outre, atteint d’un projectile à l’arrière de la tête du côté droit, alors que les tirs d’éventuels assaillants auraient dû l’atteindre de face. Pourquoi les policiers n’avaient-ils pas réagi à la première attaque ? Si les " assaillants " étaient vraiment déterminés à s’emparer du commissariat, comment expliquer qu’ils aient attaqués une patrouille dans la rue avant de s’en prendre en deux fois au commissariat ? Si les échanges n’ont fait qu’un mort dans les rangs des policiers, comment expliquer la déroute des " assaillants " ? Comment comprendre que l’arme du policier ait été dans sa poche à un moment où le commissariat était soumis à des attaques de bandits lourdement armés ? Les tirs seraient-ils partis de l’intérieur du commissariat ?

A noter que les policiers du commissariat n’ont pris aucune disposition pour défendre le poste. Ils n’ont pas riposté aux attaques permettant ainsi les allées et venues des "assaillants". D’autre part, il est incroyable que le véhicule des "assaillants n’ait même pas été identifié.

RECOMMANDATIONS

Pour faire le jour sur cet incident et prévenir la répétition de tels actes, la NCHR recommande :

· La formation d’une commission d’enquête en vue d’arriver à la manifestation de la vérité.

· La mise en mouvement de l’action publique contre les auteurs et complices de ce crime crapuleux.

· Le jugement et la condamnation des coupables.