Par Edwin Paraison
Soumis à AlterPresse le 25 janvier 2011
Le terrible tremblement de terre qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010 a marqué sans nul doute un tournant dans les relations dominico-haïtiennes. Ces deux pays se partageant une même ile avaient semblé prendre un nouveau cap malgré les tensions cycliques dans la gestion de leurs relations en raison d’un anti haitianisme militant de secteurs influents des classes dirigeantes dominicaines et d’un anti dominicanisme opportuniste chez certains haïtiens . Deux ans après la tragédie, plus conjoncturel que structurel, ce virtuel changement n’a pu éviter que les plaies non profondément traitées d’un passé encore récent, saignent à nouveau le jour de l’inauguration du campus universitaire de Limonade. Exposant ainsi nos rancœurs et nos poses hypocrites, cette fois à un incident lié à cette figure emblématique de la classe politique et la société dominicaine, l’écrivain Juan Bosch, Chef d’ État (Février a Septembre 1963) et fondateur de l’organisation politique gouvernementale, le Parti de la libération Dominicaine (PLD).
Voila qu’un geste dont la finalité essentielle est incontestablement noble, qui aurait pu venir de n’ importe quel autre gouvernement, sans créer ces remous et soupçons, fait couler, des deux cotés de l’ile, beaucoup d’encre. Dans le fond, cette situation met à nu, comme le souligne un journaliste de renom, Juan Bolivar Diaz, l’hypersensibilité qui nous affecte. Il faudrait ajouter que cette dernière découle de la méfiance historique encore présente dans nos relations et alimentée aujourd’hui par les grandes contradictions d’une gestion officielle peu transparente d’un coté, insouciante de l’autre.
18 mois pour construire l’université de Limonade sont considérés comme un temps record par les Haïtiens peu habitués au rythme de travail des compagnies dominicaines embauchées par les dirigeants pour des enjeux politiques de taille. Sans toutefois observer que cette célérité n’a pas encore été utilisée par l’administration dominicaine durant trois mandats (12 ans en Aout 2012) pour résoudre les aspects hautement sensibles de l’agenda bilatéral et qui malheureusement constituent la toile de fonds des questionnements à l’authenticité d’actions aussi lumineuses.
De notre part, confortables dans la dépendance, nous avons laissé que nos amis dominicains prennent tout en charge : l’architecture, les plans, la construction, l’inspection des travaux et le contrôle de qualité, voir même l’organisation du programme de l’inauguration. Sensés être nos invités ce jour la, ils étaient, chez nous, les organisateurs de leur propre fête. Officiellement, l’on ne connait pas la contrepartie haïtienne dans ses travaux. En République Dominicaine cependant, par la résolution 391-10 approuvée par le congres, le gouvernement a mis sur pied « L’Unité exécutrice de l’Université Publique d’Haïti ». Dans cette foulée, ils ont décidé et placé un écriteau avec le nom et la photo de Juan Bosch sur l’un des édifices du campus. Les Haïtiens étaient, à ce moment, trop occupés à se chamailler pour savoir qui aurait le contrôle de l’Université sans avoir le contrôle des chantiers.
A Port-au-Prince, une consultation officielle dominicaine un peu tardive a propos du nom déjà inscrit de Bosch uniquement sur l’édifice qui héberge l’auditorium et la bibliothèque n’avait pas fait l’unanimité. Des sénateurs de la région du nord ayant rencontré l’Ambassadeur dominicain Ruben Silie le jour de l’Assemblée Nationale, le 9 Janvier, lui ont fait part de cette situation et ont proposé que l’espace dédié a son illustre compatriote porte conjointement le nom d’une figure historique haïtienne. Entre autres, celui d’Anthenor Firmin a été suggéré. Le diplomate, un intellectuel respecté pour ses travaux sur notre pays et un ami du peuple haïtien, leur a signalé « qu’aucune autorisation n’avait été officiellement accordée par les principaux responsables dominicains pour mettre le nom de Bosch sur cet édifice ».
Des journalistes dominicains en visite de suivi une semaine avant l’inauguration avaient vu et filmé l’écriteau. A leur grande surprise, le jour J, le nom de Bosch n’y figurait plus. Les marques des lettres retirées étaient cependant toujours visibles. Malaise dans la délégation dominicaine. Questionnements par la presse voisine qui rapporte a partir de bribes d’informations non confirmées et des déclarations de la déléguée provinciale Esther Ramirez, « qu’un groupe de dissidents sous le leadership d’un sénateur haïtien avait retiré l’écriteau et détruit un portrait de Bosch ». Les réactions dans l’opinion publique ont été aussi rapides que la vingtaine d’hélicoptères ayant atterri sur le terrain de foot-ball du campus. Manifestation sans équivoque d’une supériorité militaire et économique des actuels dirigeants dominicains.
Tout semble basculer. Rapidement nos amis et voisins de l’est oublient que le président dominicain, le 31 juillet 2010 pour la pose de la première pierre de ce campus, avait reçu du Président René Préval la distinction de l’ordre national panaméricain Pétion-Bolivar. Que le 12 Janvier 2012 il avait été déclaré par le maire de Limonade « citoyen d’honneur » de la commune. Qu’il avait reçu une plaque de reconnaissance d’un groupe d’étudiants de la région du nord et que son nom avait été cité pour le moins en 14 occasions lors de la cérémonie d’inauguration par différents intervenants pour rendre hommage à son initiative. Les Haïtiens étaient simplement « des ingrats et des êtres sauvages comme leur ancêtre Christophe », selon l’animateur principal du programme très populaire « gouvernement du matin » sur la station la plus écoutée des ondes dominicaines Z-101. Propos qu’il a maintenus pendant plus d’une semaine chaque matin.
L’officialisme s’indigne ! Reinaldo Pared Perez, président de l’Assemblée Nationale et Secrétaire General du PLD, a immédiatement « rejeté de façon énergique cette attitude d’un sénateur haïtien ». Le député Pelegrin Castillo de la Force Nationale Progressiste (FNP) membre de l’alliance au pouvoir et dont le parti dirige la Direction Générale de l’immigration, considère le présumé acte comme « une offense provocatrice » et demande « une prise de position du congres dominicain ». Jose Miguel Fernandez, président du Centre Dominicain de Renforcement et d’Étude de la Sécurité Sociale (sigles en espagnol CDFESS) qualifie l’affaire « d’ignominie à la dignité du Prof Bosch ». D’un coup, une levée de boucliers se fait contre le nom du campus « Henri Christophe ». Contre le peuple haïtien et ses autorités.
207 ans après les crimes de guerre de Moca et Santiago sous la responsabilité de Christophe dans le cadre de la conquête de l’Ouest de Dessalines, certains des intervenants chercheraient semble t-il des coupables parmi nous. D’autres comme Euripides A. Uribe Peguerro, cet ancien chef de la Marine de Guerre dominicaine, dans un article publie par la presse locale sous le titre « On nous a humilié en Haïti », admet toutefois que ces actes -que tout Haïtien devrait qualifier de barbares- avaient été perpétrés prés de 40 ans avant la fondation de son pays (1844). En effet, Jean Marie Théodat, dans son livre « Haïti et République Dominicaine : Une ile pour deux », fait remarquer que la décision de Dessalines de marcher sur Santo Domingo était entre autre motivée par l’arrogance du General Ferrand, resté seul maitre de la partie orientale. Ce qui sous entend des préoccupations légitimes en termes de sécurité nationale en rapport à l’indépendance récemment acquise d’Haïti face aux troupes de Napoléon. Somme toute, ces faits constituent, comme le dit Théodat, l’une des pages les plus sanglantes de l’histoire de l’ile.
Il est un peu anormal tout de même que ces ressentiments aussi fortement exprimés aujourd’hui, en regard de notre histoire commune, par nos sœurs et frères dominicains, n’existent plus dans nos relations avec les français et les espagnols. On devra chercher ailleurs une explication.
Entre temps, une nouvelle fois le peuple haïtien était victime en République Dominicaine d’un bombardement médiatique et politique si fort que nos représentants, au lieu d’établir la vérité en vue de préserver notre bon renom et image, ont préféré assumer honteusement une responsabilité. Sans nul doute, le « picket line » de fonctionnaires et militants notoires du PLD en face de l’ Ambassade d’ Haïti à Santo Domingo le 18 Janvier dirigé par le Vice Ministre de l’ éducation Luis de Léon, leader du mouvement « Force Boschiste » arborant le drapeau dominicain, a provoqué une telle panique que l’ Ambassadeur Fritz Cineas, figure notoire du duvaliérisme, régime durant lequel s’ est enregistré en 1963 la crise la plus sensible entre nos deux pays depuis 1937 et des hostilités graves entre les deux gouvernements sous la présidence de Bosch, a tenu ces propos en le recevant : « Le professeur Bosch est admiré et respecté par l’ immense majorité des Haïtiens ». Le diplomate d’ajouter : « l’acte duquel sont accusés les Haïtiens est de la responsabilité d’un groupe restreint de perturbateurs ». Ou a-t-il confirmé cette information ? Si des responsables mieux placés tels que le recteur de l’UEH et le maire de Limonade Jean Delavoix Manguira ont déclaré a la télévision dominicaine n’être pas au courant de ces faits.
Le rapport qui s’en suivit, dirigé à la chancellerie haïtienne, nous fait passer d’une position de victimes à coupables. Il manquait seulement les excuses officielles haïtiennes à la conférence de presse présidée le lendemain par notre chancelier à Port au Prince, en présence notamment de l’ambassadeur dominicain. La mascarade de changement de nom du campus de Henri Christophe a Henri 1er n’a fait que culpabiliser encore plus la partie haïtienne quand les deux parties n’avaient jusqu’ a ce moment montré aucune objection en rapport au nom du héros haïtien, fierté des gens du nord, utilisé pour la première fois par le recteur Vernet Jean Henry lors de la pose de la première pierre en présence des deux Chefs d’ État de l’ile.
Les autorités des deux pays, de façon inexplicable, ont délibérément choisi de ne pas saisir l’opportunité de cette conférence de presse pour rétablir la vérité. L’évaluation de la gestion faite par la diplomatie haïtienne de ce dossier est obligatoire afin de déterminer les responsabilités d’un mutisme aggravant face aux attaques gratuites contre la nation haïtienne et son dénigrement systématique à partir des faits décrits plus haut. L’attitude dominicaine devrait probablement être analysée à partir de la conjoncture locale. Il s’ agit avant tout, du cout politique que représenterait dans l’actuel contexte pré-électoral pour le pouvoir dominicain durement attaqué sur plusieurs fronts sur le même dossier, par l’opposition, d’admettre que la décision qui a provoque ce tollé a été librement prise par la partie dominicaine, en vue de réparer l’ erreur protocolaire et politique, d’ inscrire le nom du Fondateur du parti officiel sur l’ un des édifices du campus, sans consultation préalable avec la partie haïtienne. Le Parti Révolutionnaire Dominicain (PRD) a clairement des raisons politiques d’exiger des explications, mais la société civile binationale est aussi en droit de faire toute la lumière sur cette affaire qui met en cause directement les autorités. Leur silence au cours de ces diatribes nationalistes dominicaines a hautement contribué à renforcer la stigmatisation et les préjugés contre l’Haïtien dans la société dominicaine et le peuple haïtien de façon générale.
Contrairement donc à ce qu’a rapporté la presse dominicaine, il n’y a eu aucune participation haïtienne directe dans l’enlèvement de l’écriteau et de la photo de Bosch. Même lorsqu’ en Haïti l’on partage certains des arguments présentés par des intellectuels dominicains dans les houleux débats qui ont suivi l’inauguration. Juan Bolivar Diaz par exemple, souligne que Bosch pendant les dernières années de sa vie « a offensé l’intelligentsia haïtienne en affirmant que ses membres sont incapables de vivre en démocratie et en les comparant à des animaux domestiques ». De son coté, Jose Baez Guerrero a fait observer que la gestion erronée de Bosch en 1963 a failli provoquer une guerre entre les deux pays. De même, l’on se rappelle que l’alliance Bosch-Balaguer en 1996 à travers le Front Patriotique National pour barrer la route à Pena Gomez, d’origine haïtienne, au profit de Leonel Fernandez, a donné lieu à la plus terrible campagne anti-haïtienne depuis 1937. Malgré tout, il n’y avait aucune position radicale contre Bosch.
L’écriteau et la photo, ont été retirés, avec l’accord de la présidence dominicaine, suite à la conversation entre l’Ambassadeur Silie et des sénateurs haïtiens de la région du nord, le jour précédant l’inauguration. L’ingénieur dominicain qui les avait placé, rouge de colère en descendant de son hélicoptère en provenance de Santo Domingo, selon des témoins oculaires, a du les enlevés avec l’aide de ses ouvriers et non de perturbateurs haïtiens. Aucun des sénateurs, encore moins Jean Baptiste Bien Aimé, une personnalité hautement appréciée particulièrement à Dajabon ou il a été consul pendant plusieurs années, n’était présent à ce moment.
Le peuple haïtien, vilipendé à cause du silence des autorités de l’ile, a droit a un mea culpa de la part des responsables.