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Haïti-Séisme-2 ans : Tout perdre, sauf le goût de la vie

Portrait

Par Emmanuel Marino Bruno

P-au-P, 11 janv.2012 [AlterPresse] — « Le séisme du 12 janvier 2010 a détruit mon atelier, tué mon père et ma mère. Je me retrouve dans une maisonnette sans confort. Je ne cesse pas de lutter, chaque jour, dans ce camp, pour subvenir aux besoins de ma femme et de ma sœur qui sont sous ma responsabilité », explique à AlterPresse Kishny Joseph , personne déplacée d’un camp établi au corridor Icare, limitrophe de l’avenue Poupelard (quartier au nord-est de la capitale).

En jean et t-shirt, Joseph, jeune homme barbu de 27 ans, affiche un air désarçonné, alors qu’il raconte son expérience de la catastrophe.

Avant le séisme, Joseph, jeune menuisier, résidait à Delmas 6, avec sa femme et sa sœur.

Là-bas, il possédait son propre atelier et fabriquait des meubles, principalement des salles à manger et des lits. Il était indépendant et réussissait à pourvoir aux besoins de sa famille, grâce à sa petite entreprise.

C’est lui qui payait les frais scolaires de sa petite sœur (qui fréquente le lycée Daniel Fignolé) quand ses parents ne le pouvaient plus, selon ses témoignages.

« Le séisme a détruit la maison que j’ai affermée ainsi que mon propre atelier de travail. Je me suis retrouvé avec cinq cent gourdes en poche », rappelle-t-il, en soulignant que les trois premiers jours suivant le séisme ont été les plus durs pour lui.

Pendant ces jours, il dormait à la belle étoile au Champ-de-Mars (principale place publique de la capitale, transformée en camp de personnes déplacées après le 12 janvier 2010) tandis que sa sœur - qui avait un des bras cassé - se trouvait à l’hôpital, son père et sa mère étant morts lors du séisme.

Grâce au concours d’amis, il a pu construire une maisonnette au camp Icare pour se loger avec sa femme et sa sœur. Cette maisonnette est un amas de tôles rouillées, apparemment incapables de résister aux intempéries.

Ses voisins ne sont pas mieux lotis.

Comme lui, certains ont rassemblé bric et broc pour se donner un semblant de toits, tandis que d’autres dorment encore sous des tentes, plantées dans la terre poussiéreuse du camp.

Évoquant sans cesse la perte de son atelier de menuiserie, Joseph souligne combien, après le séisme, les conditions de vie déplorables dans le camp lui mettent dans l’embarras de s’occuper convenablement (comme il le voudrait) de sa jeune sœur et de sa femme.

Deux ans et plus pour reprendre véritablement goût à la vie

Avec une vingtaine d’ébénistes, Joseph a mis sur pied l’« association des ébénistes d’Icare ».

Il espère ainsi attirer la clientèle des zones avoisinantes et trouver des commandes de meubles.

L’association des ébénistes d’Icare a même mis une enseigne sur l’avenue John Brown, perpendiculaire au corridor Icare ou se trouve le camp.

Pourtant, en dépit de ces initiatives, les affaires ne sont pas très bonnes, les commandes sont rares, affirme-t-il.

« Mes activités de menuiserie, après le séisme, ne me permettent pas de vivre comme il faut », soutient Joseph, misant sur l’aide de l’État ou de celle d’une organisation non gouvernementale (Ong) pour quitter le camp.

Cela fait plus d’une année que « nous sommes livrés à nous-mêmes », ajoute Joseph, qui déplore le manque d’assistance des organisations non gouvernementales et de l’État.

Il signale la détérioration des conditions sanitaires dans le camp Icare, où les latrines ne sont pas bien entretenues depuis quelques temps.

Auparavant, le nettoyage ponctuel de ces latrines était assuré par Action contre la faim (Acf) qui a cessé cette activité depuis environ une année.

De l’eau et du savon étaient distribués aux personnes sinistrées, à côté de l’entretien des latrines,

Les trois réservoirs d’eau, installés par Acf, ont été légués au comité du camp, lequel les alimente et commercialise l’eau, fait savoir Joseph, précisant qu’un seau d’eau est vendu à 5 gourdes (US $ 1.00 = 41.50 gourdes ; 1 euro = 61.00 gourdes aujourd’hui).

Les responsables de l’église catholique romaine de Saint-Antoine de Padoue, située dans la zone, quant à eux, ont fait, une fois, des dons de kits alimentaires contenant du riz, des spaghettis et autres ingrédients.

Cela fait plusieurs mois que les personnes sinistrées au camp Icare ont été recensées par l’organisation internationale pour les migrations (Oim). Mais, rien n’est fait jusqu’à présent pour les reloger.

Joseph appelle l’État à une prise en charge du camp Icare, par l’allocation de services publics appropriés en ce qui concerne notamment l’assainissement régulier des latrines, l’accès régulier à l’eau et à un support humanitaire.

L’ébéniste Joseph souhaite également la relocalisation des familles du camp Icare dans de meilleures conditions.

Établi au lendemain du séisme du 12 Janvier 2010, le camp Icare abrite des centaines de personnes sinistrées. [emb kft rc apr 12/01/2012 9:40]