Reportage
Par Edner Fils Décime
Corail (Haïti), 05 janv. 2012 [AlterPresse] --- Route ou piste ? Longue hésitation, avant de qualifier les seize kilomètres qu’il faut parcourir absolument en 4x4 ou à moto depuis Carrefour Charles (à partir de la Nationale numéro 7 à hauteur de Roseaux) pour pouvoir atteindre cette petite ville de la Grande Anse appelée Corail, enclavée entre la mer et la montagne.
Cahoteux, rocailleux, éreintant. Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le chemin emprunté.
Mais une fois devant la porte de la ville, près des « roches blanches » comme disent les coraillais, le bleu de la mer et le sourire-bienvenue qu’accompagnent les yeux des habitants font oublier la piste « mangeuse de pont avant de 4x4 » et briseuse de reins.
« La route est le défi des élus de la ville. Le mandataire, qui permettra sa construction, sera indéfiniment réélu », confie un intellectuel anonyme influent de Corail.
La construction de cette route est une promesse récurrente dans les campagnes électorales à Corail depuis l’après 1986.
Toutefois, la propreté des rues bétonnées du centre de la ville fait oublier les sales rues de Port-au-Prince où les montagnes d’immondices se font la concurrence.
Corail et la Noël
« Corail n’a pas fêté la Noël (2011). Nous sommes livrés à nous-mêmes. Heureusement, mon père Noël, la pêche, est là », lâche un pêcheur à l’entrée de la ville.
Un jour après la Noël, on ne remarque aucune trace de cette fête sur les maisons. Leurs portes en bois, presque toutes fermées, semblent exprimer la frustration des habitants.
« Les fêtes de fin d’année ont perdu leur sens à Corail. A part la place Toussaint Louverture, qui était décorée à l’occasion de la Noël 2011, les maisons n’ont pas rehaussé l’éclat de cette fête. Pas de guirlandes, rien du tout. C’est dommage », constate tristement, Merlune Julien, coraillaise dans la trentaine.
« Il n’y a pas eu beaucoup de réveillons. Je n’ai même pas vendu une bonne douzaine de bouteilles de rhum. Sans argent, les gens ne pensent pas à fêter », d’après Diesson Pierre-Louis, propriétaire d’un dépôt de provisions alimentaires.
Au contraire, le maire titulaire de la commune, Rolbert François, se félicite, de son côté, de ses réalisations du 25 décembre 2011.
« Nous avons somptueusement décoré la place pour mettre les gens dans l’ambiance de Noël. Avec trois artistes locaux du groupe musical Suspense, nous avons tenu tout Corail en haleine », déclare le maire d’un air satisfait.
Ce satisfecit, que se donne le maire, ne fait pas pourtant l’unanimité, surtout
chez certains jeunes qui estiment avoir été écartés des festivités pour des raisons politiques.
« Ce que le maire appelle Gala de Noël n’était qu’un simulacre pour pouvoir donner des pourboires aux membres de son clan politique. Le Groupe Suspense est un mort déterré », s’exclame Laurent Iguens, jeune coraillais dans la vingtaine.
Le 7 décembre 2011, le ministre de l’intérieur, Thierry Mayard Paul, avait annoncé, à l’issue d’une rencontre avec les maires au palais municipal de Delmas (périphérie nord-est de la capitale), l’allocation d’une enveloppe aux municipalités pour célébrer les fêtes de fin d’année.
Noël à crédit…fin d’année au cash
Selon le maire, jusqu’au 27 décembre dans la matinée, soit deux jours après la Noël, l’argent promis par le gouvernement n’avait toujours pas été décaissé.
Cela n’a pas empêché les habitants de la commune de s’en prendre au maire, l’accusant de corruption.
« Le maire et son clan veulent garder tout l’argent que nous a envoyé le président Martelly. Mais nous ne nous laisserons pas faire », martèle une femme, mine renfrognée, cheveux en bataille, assise devant sa maison à la cité Bedard, une coopérative d’habitation où logent 112 familles.
« Les fêtes de fin d’année 2010 ont été meilleures. Ici, personne ne s’occupe de nous. Dès fois, on n’arrive même pas à payer les 25 gourdes du loyer mensuel (0.60 USD) », informe un jeune homme portant des tresses et habitant la cité depuis trois ans.
La mairie de Corail a bénéficié d’une allocation de 350 mille gourdes (US $ 1.00 = 41.50 gourdes ; 1 euro = 61.00 gourdes aujourd’hui), dont les lignes budgétaires ont été préalablement définies par le ministère de l’intérieur.
« 150 mille gourdes sont destinées à l’assainissement, 100 000 aux activités culturelles, 50 000 gourdes pour la soupe populaire du 1er janvier 2012 et 50 000 gourdes pour l’achat de jouets pour enfants », détaille le premier citoyen de Corail.
« Je dois exécuter à la lettre les vœux du président de la république. Il a besoin d’une visibilité, je la lui dois », explique le maire Rolbert François.
« Voilà le retour du président Papa bon cœur qui décide de tout ! Le populisme est dans nos murs. Il faut se parer à le combattre », réagit un jeune universitaire originaire de Corail sous couvert d’anonymat.
30 décembre 2011. Corail se réveille aux rythmes des décibels des DJ, tournant tous la même chanson de l’artiste grand’anselais Wanito « Wanito m vle parenn ».
« Je suis très satisfait. Mes enfants ont eu des jouets et, pour 4 jours d’animation, la mairie m’octroie 20 000 gourdes », déclare un Dj assurant l’animation sur la place Toussaint Louverture.
2 autres Dj s’occupent de chauffer le centre-ville. La mairie fournit le groupe électrogène et le carburant.
La nuit du 31 décembre 2011, Corail n’a pas dormi. La ville a veillé aux sons des musiques branchées, d’une part, et des tambours et vaccines de la musique vodou, d’autre part.
Le 1er janvier 2012, très tôt, l’indépendance a été célébrée avec un bon bol de soupe au giraumont.
2 janvier 2012. La place Toussaint Louverture, près de la mairie, accueille un concours d’interprétation de la musique « m vle parenn » de Wanito.
11 500 gourdes, réparties en 13 enveloppes, ont été utilisées pour ce concours clôturant les festivités de Corail.
« C’est une fin d’année ‘’tout moun jwenn’’ (tout le monde a participé) », estime le maire.
Corail en bref
Créée en 1660, la ville de Corail doit son nom à la présence de récifs, formés de bancs de coraux dans la mer qui baigne la ville.
Le nom de la ville serait aussi « une déformation de Corel, le nom d’un colon qui a fait construire 1 km de route pour avoir accès à ses plantations à Corail », selon Wilnor Dimanche, 85 ans, ancien maire et juge de paix de la ville.
D’une superficie d’environ 180 km2 avec une population à dominante rurale de près de 25 mille habitants, la commune de Corail compte 5 sections communales : Duquillon, Fond d’Icaques, Champy, Mouline et Chardonnette.
Depuis 2009, presque toutes les rues de Corail sont bétonnées et la ville est équipée de 27 lampadaires solaires à la faveur d’un projet financé par le ministère de l’intérieur et l’agence canadienne pour le développement international (Acdi).
Pour le moment, la majorité des lampadaires, dont l’unique éclairant la cité Bedard, sont en panne.
La pêche occupe une grande place dans la vie des habitants. Corail est réputée pour ses poissons et particulièrement ses lanbis.
17 écoles, dont 4 nationales, et un lycée forment le parc scolaire de la commune. Pour continuer des études après la rétho, on doit se rendre à Jérémie (chef-lieu de la Grande Anse) ou à Port-au-Prince.
Plusieurs grands noms de la culture haïtienne ont vu le jour à Corail, dont Claude Pierre, poète connu pour son texte Simbi, Edouard Tardieu et Lafayette Edmond.
Pourtant, fin 2011, les activités culturelles ne sont pas florissantes.
« Je suis encore nostalgique des concours de synonymes, de dictées, des cercles de lectures, des bals de fin d’année », confie l’octogénaire Wilnor Dimanche, qui répète « mon cœur bat au rythme de Corail ».
Ce cœur peut arrêter de battre si rien n’est fait pour, au moins, aménager les routes donnant accès à cette ville aux potentialités touristiques extraordinaires.
De toutes façons, le rythme cardiaque des coraillais diminue à chaque arbre coupé.
La production de charbon de bois constitue l’une des principales sources de revenus des habitants, à côté de la pêche.
Entre 80 à 90 % des 2.5% de couverture végétale du pays se retrouvent dans la Grande Anse. [efd kft gp apr 05/01/2012 14:30]