Español English French Kwéyol

Haïti-Politique/2011 : Les retours de Duvalier et d’Aristide

P-au-P, 3 jan. 2012 [AlterPresse] --- Au cours du premier trimestre de l’année 2011, deux évènements majeurs ont ponctué la vie politique haïtienne : les retours dans le pays de l’ex dictateur Jean-Claude Duvalier (1971-1986) le 16 janvier et de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide (1991-1996, 2001-2004) le 18 mars.

Revenus avant la passation du pouvoir à un nouveau président et en pleine agitation électorale, ils ont avec eux, ramené tout au moins de nombreuses interrogations.

Duvalier, invité-surprise ?

Dimanche 16 janvier, 17 :00 (heure locale) à bord d’un avion d’Air France, un visiteur-surprise débarque à l’aéroport Toussaint Louverture : Jean-Claude Duvalier exilé en France depuis 25 ans à la suite du soulèvement populaire du 7 février 1986.

Pour les membres du gouvernement haïtien et de la police, il semble que c’est une surprise. Accueilli par un groupe de partisans, Duvalier dit revenir parce qu’il sait « que le peuple souffre » et qu’il est « disposé et déterminé à participer à la renaissance d’Haïti ».

18 janvier 2011, Jean-Claude Duvalier est emmené au parquet de Port-au-Prince pour être entendu par le commissaire Aristidas Auguste sur les crimes commis par son régime. Le lendemain, 4 victimes dont Michèle Montas, veuve de Jean-Dominique et l’ancien député Alix Fils-Aimé président de la Commission nationale de désarmement de démantèlement et de réinsertion (CNDDR), portent plainte contre Duvalier.

L’ancien président autoproclamé « à vie » est inculpé pour crimes contre l’humanité, destruction de propriétés privées, tortures, violations des droits civils et politiques.

Et Aristide arrive…

Le 19 janvier, Aristide émet le vœu de revenir dans son pays pour servir en « simple citoyen » la population haïtienne.

Et le rêve des lavalassiens se fait réalité quand l’ancien président Jean-Bertrand Aristide débarque à Port-au-Prince le 18 mars à 9h10 (heure locale), 2 jours avant la tenue du second tour des présidentielles.

Dans son discours de retour au bercail, l’ancien chef d’Etat appelle à « l’inclusion » comme réponse au problème de « l’exclusion » de son parti politique Fanmi Lavalas, représentatif, selon lui, des classes populaires.

« L’exclusion de Fanmi Lavalas, c’est l’exclusion de la majorité. Le problème c’est l’exclusion. La solution c’est l’inclusion de tous les haïtiens sans parti pris », déclare Aristide, applaudit par des milliers de partisans.

Les impacts…

Pour le professeur à l’Université Roger Petit-Frère, il ne faut pas écarter les puissances dites amies d’Haïti dans le retour de Duvalier spécifiquement.

« Ces retours se situent dans la stricte logique du discours de réconciliation nationale, véritable propagande des classes dominantes, qui a libre cours aujourd’hui dans le pays » explique un autre professeur sous couvert de l’anonymat.

« La propagande veut faire croire aux masses populaires que le problème du pays est le manque d’unité. Aussi veut-on les réconcilier avec leurs ennemis pour mieux asseoir l’exploitation et la domination et garder toutes les richesses entre les mains d’un petit groupe » renchérit-il.

Pour ce professeur, Duvalier et Aristide ne sont pas revenus « simplement parce qu’ils le veulent » mais parce que « ça fait l’affaire des impérialistes et des dominants ».

« La réception faite à Duvalier montre que la question de la dictature n’est pas encore réglée. Cela met en évidence la nécessité de la lutte des forces démocratiques contre la dictature », souligne le professeur Petit-Frère.

Pour sa part, le professeur et ancien président de la Chambre des députés, Fritz Robert Saint-Paul, estime que Aristide « pèse davantage sur l’échiquier politique haïtien » (que Duvalier).

Dans le même ordre d’idée, Petit-frère croit que « le duvaliérisme est mort même s’il y a dès fois des élans duvaliéristes qui se manifestent chez certains nostalgiques. »

« Le retour d’Aristide peut être une hypothèse explicative de la forte abstention de la population aux élections ayant mené Martelly au pouvoir », soutient Petit-frère.

Moins d’un million d’Haïtiens ont voté pour l’actuel président de la république aux élections du 20 mars 2011.

Le silence et son contraire

« Le silence d’Aristide (depuis son discours de mars 2011) est un choix politique murement réfléchi. Conscient du danger et des implications de sa parole, il a préféré se taire », analyse Roger Petit-Frère.

Des cellules de base prennent la parole au nom du Parti Fanmi Lavalas depuis quelques temps. Et cela continue même après le retour d’exil d’Aristide.

« Ils sont peut-être en train de favoriser l’émergence d’un nouveau leader au sein du parti », estime Petit-Frère.

Un universitaire anonyme pense de préférence qu’ « Aristide ne fait que suivre une consigne qui lui a été passée. Un tonitruant voire bavard comme le ‘petit père’ ne s’abstiendrait jamais volontairement de prendre part au débat politique ».

« Duvalier se sent plus à l’aise qu’Aristide. Martelly n’a jamais caché son appartenance duvaliériste », estime le professeur Saint-Paul, qui relève la proximité de l’ancien dictateur avec le pouvoir en place.

Depuis la prestation de serment de Michel Martelly le 14 mai 2011, l’instruction judiciaire entamée sur le dossier Duvalier n’a eu, jusqu’à présent, aucune suite et cela ne finit pas de révolter les victimes et les secteurs de défense des droits humains nationaux et internationaux.

D’un autre côté, « Aristide ne parle pas, mais sa chapelle parle à sa place », déclare Saint-Paul, comme pour inviter à une lecture plus approfondie de l’attitude de l’ancien président.

Depuis le retour d’Aristide de l’Afrique du Sud, les sessions de formation à l’intention de ses militants se multiplient à travers le pays. « Le parti d’Aristide s’organise et essaie de renouer avec la population », en déduit le professeur. [efd gp apr 03/01/2012 12 :00]