Par Dieulermesson Petit Frère, M.A
Soumis à AlterPresse le 15 décembre 2011
Tenue du 10 au 12 novembre 2011 à University of the West Indies en Jamaïque, la 23eme conférence annuelle de l’Association des Etudes Haïtiennes (HSA, Haitian Studies Association) a eu un immense succès. Riche en réflexions et discussions portant sur la problématique haïtienne, elle a réuni toute une pléiade de chercheurs haïtiens et étrangers. Les travaux présentés ont été, en grande partie, de haute qualité. Toutes disciplines confondues (histoire, économie, littérature, politique etc…). Des figures emblématiques des mondes universitaires et littéraires haïtiens ont pris part à ce grand rendez-vous annuel.
En effet, la cérémonie d’ouverture a eu lieu le vendredi 11 novembre 2011à l’auditorium et centre de lecture Neville Hall avec les propos du professeur Nigel Harris, vice-chancelier de l’Université, l’Honorable professeur Gordon Shirley, Présidente de l’Université et le Professeur WaibiniteWariboko, doyen de la Faculté des Sciences Humaines et de l’éducation. A suivi l’intervention de l’ambassadeur Reginald Dumas, conseiller spécial sur Haiti de l’ancien Secrétaire Général de l’ONU, Kofi Annan. Il a présenté un exposé sur la situation d’Haïti tout en évoquant les riches potentialités du pays. Selon l’ambassadeur, Haïti est un pays qui dispose d’une variété de compétences et de ressources naturelles qui sont mal exploitées.
‘‘Compte tenu de sa position géographique dans la caraïbe, Haïti dispose d’une richesse étonnante’’, a-t-il dit. M. Dumas a tenu à mettre en valeur les côtés positifs du pays en mettant en relief sa culture, sa cuisine et surtout le vaudou qui représente, à ses yeux, un élément important de sa richesse. Il invite les haïtiens à œuvrer dans le sens des intérêts communs par le biais d’un pacte de vouloir vivre ensemble en vue de changer l’image du pays et inventer un avenir meilleur à la population.
D’autres panels, une trentaine environ, tout aussi intéressants, avec des réflexions très poussées, ont suivi. Si certains panelistes ont évoqué la nécessité d’inventer un avenir meilleur à ce pays qui leur est sien, d’autres ont compris l’urgence de véhiculer des valeurs citoyennes devant produire un autre type d’Haïtien. Un type d’Haïtien qui comprendra la nécessité d’aimer le pays et de travailler pour son progrès, son développement durable. S’inspirer du passé –en prenant ce qu’il y a de meilleur- pour réinventer l’avenir.
Les sujets portaient sur la littérature, la politique, l’économie, l’éducation. Pour ne citer que ceux-là. L’éducation a été l’un des sujets le plus épuisé. La romancière haïtienne, Yanick Lahens, invitée d’honneur de cette conférence et récipiendaire du Prix d’Excellence de HSA pour son œuvre, a présenté un brillant exposé sur son rapport avec l’écriture. La lecture des textes de Marie Chauvet et la publication de son premier essai [1] sont, dit-elle, deux évènements qui l’ont amenée à l’écriture.
D’un autre côté, la romancière a exprimé sa position sur l’avenir du pays et fustigé ceux qui croient qu’Haïti est condamnée à être réduite à une peau de chagrin. ‘‘Il faut cesser de répéter qu’il n’y a en Haïti que des incompétents et des corrompus. Il y a aussi de la communauté internationale qui le sont’’, a-t-elle dit avant de conclure en ces termes : ‘‘Nous ne méritons pas les dirigeants et les amis étrangers que nous avons’’.
Jocelyne Trouillot a, pour sa part, présenté un état des lieux de la situation de l’enseignement supérieur en Haïti tout en mettant l’accent sur les nouveaux défis auxquels le pays doit faire face. L’éducatrice appelle à un changement du système éducatif et opte pour un enseignement en langue maternelle. Consciente du manque de moyens et de matériels adéquats, elle croit, toutefois, que l’université doit, en tout premier lieu, former le citoyen haïtien et non un professionnel. Selon elle, l’université doit remplir sa triple vocation à savoir la formation, la recherche et le service à la communauté. Autrement dit, l’université doit pouvoir répondre aux besoins locaux.
Le professeur Ronald Jean Jacques, membre de la commission de réforme de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) a abondé dans le même sens en présentant les grandes lignes de sa « petite réforme » (le pourquoi et le comment) qui devrait toucher le public comme le privé. Avec un objectif de 100 professeurs à temps plein et 22.000 étudiants et un budget de 500 millions de gourdes pour l’année 2010-2011, soit 30.000 gourdes pour la formation de chaque étudiant, l’UEH, aujourd’hui, n’est pas rentable, pas efficace. Selon lui, l’Etat a pour obligation d’investir dans l’enseignement supérieur pour mieux l’organiser et le rendre performant avec la mise en place de programmes de formations standard.
Le psychologue-professeur a, entre autres, fait savoir que la réforme de l’UEH doit viser la réorganisation des cursus académiques et permettre d’offrir des services de recherches et d’extension universitaire. Elle doit aussi permettre de définir des opportunités, frayer une expertise particulière dans les domaines clés et mettre en place une pensée sociale haïtienne. Aussi prévoit-il dans son document une faculté d’étude générale devant compléter les défaillances des bacheliers, la formation massive des professeurs et la disponibilité de services pour les étudiants tels que : bibliothèques, laboratoires, cafeterias, et une gestion responsable et transparente des ressources disponibles.
Une fois de plus, Haïti a été au cœur de toutes les discussions et réflexions qui ont marqué la 23eme conférence de HSA. Les leçons tirées devraient contribuer à jouer un rôle déterminant dans le processus de re-construction d’Haïti sur les plans individuel, institutionnel, organisationnel et gouvernemental. Haïti occupe une place importante dans la Caraïbe compte tenu de sa position géographique et stratégique. Il est à souhaiter que de pareilles idées trouvent une petite place dans l’agenda des bâtisseurs et con-structeurs de la nouvelle Haiti.
[1] Yanick Lahens, L’exil : entre l’ancrage et la fuite, éditions Henri Deschamps