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Le drame d’Haiti

par Carlos Flanagan , Rebelión

Extrait de RISAL

Nous assistons ces jours-ci à l’écriture d’un nouveau chapitre de la vieille et tragique histoire du peuple haïtien. En cette année où l’on commémore justement les 200 ans de l’épopée indépendantiste d’Haïti, la première en Amérique latine après la Révolution nord-américaine, quand le 1er janvier, les esclaves conduits par [...] Jean-Jacques Dessalines qui prit la tete de l’armee des esclaves apres l’arrestation de Toussaint Louverture en 1803]]avaient battu les troupes napoléoniennes et déclaré l’indépendance nationale, se saisissant des drapeaux de la liberté, de l’égalité et de la fraternité de la Révolution française, en cette année justement la violence éclate de nouveau, conséquence de la longue crise politique.

Pour comprendre les événements actuels, nous devons brièvement décrire ceux qui les ont précédés ces dernières années.

Rappelons qu’à partir de 1957 Haïti a souffert de la dictature de [...] Francois Duvallier, le terrible « Papa Doc » des Tontons Macoutes, jusqu’à sa mort, et de la brève succession de son fils « Baby Doc » qui dut finalement s’enfuir en France en 1986. Ce fut pour le peuple trois décennies de vols, de corruption, de terrorisme d’Etat, de persécutions, de tortures, de pauvreté et de marginalisation sociale.

A cette époque, un jeune prêtre salésien, Jean-Bertrand Aristide, acquit de la notoriété en raison de ses dénonciations systématiques de l’accablante situation du peuple haïtien, et de ses déclarations sur la nécessité d’organiser des élections libres. En 1988, il est chassé de son ordre par les autorités ecclésiastiques qui l’accusent d’ « incitation à la violence et à la lutte des classes dans le pays. » Avec d’autres prestigieux militants démocrates comme Gérard Pierre-Charles, il fonde le Mouvement Lavalas (Avalanche, en créole haïtien) grâce auquel il obtient une écrasante victoire qui le porte à la Présidence, en 1990.

Après 8 mois de gouvernement, il est renversé en 1991 par un coup d’Etat militaire des secteurs duvalliéristes conduits par le général Raoul Cedras. Il s’exile d’abord au Venezuela puis à Washington. L’armée états-unienne le remet au pouvoir en 1994 et les Etats-Unis lui attribuent un prêt de 500 millions de dollars. A partir de ce moment, il rebrousse chemin et met en place un gouvernement nettement néolibéral, soumis aux organismes de crédit internationaux et au gouvernement des Etats-Unis. En conséquence, les secteurs progressistes qui l’avaient soutenu passent dans l’opposition. Gérard Pierre-Charles fonde l’Organisation du peuple en lutte et forme avec d’autres secteurs la Plate-forme démocratique. Le fameux Groupe des 184 se constitue également : il réunit des organisations corporatives d’entrepreneurs, de travailleurs ruraux, d’étudiants et des organisations civiques et religieuses. En 1996, Aristide cède la Présidence à son bras droit René Preval.

En mai 2000 sont organisées des élections parlementaires frauduleuses ; Aristide assume à nouveau la Présidence pour la période 2001-2006, à la suite d’élections auxquelles l’opposition ne s’était pas présentée en raison de la forme autocratique du gouvernement. La misère continue de frapper le peuple haïtien décimé par le sida, le typhus, la tuberculose, avec un taux de mortalité infantile de 74 pour mille et un revenu moyen de misère d’un dollar par jour. Si Aristide a dissout l’armée en 1995, il ne l’a pas fait dans un soi-disant souci de démocratisation, mais pour se débarrasser des vieux secteurs duvalliéristes qui l’avaient destitué, et il se trouve maintenant à la tête d’un régime corrompu fondé sur la répression policière.

Aujourd’hui, la situation est assez confuse. Des soulèvements se sont produits dans la majeure partie des villes du pays, où l’on a assisté à des lynchages ; la police a quitté ses postes et fait retraite vers la capitale, Port-au-Prince. Il se trouve justement que ces soulèvements ont commencé à Gonaïves, une ville de 200.000 habitants où l’indépendance avait été déclarée en 1804.

Si l’opposition de la Plate-forme démocratique et du Groupe des 184 réclame la démission d’Aristide, la mise en place d’un gouvernement de réconciliation nationale qui conduise un processus de transition pacifique jusqu’à l’appel à des élections générales libres et fiables, les soulèvements armés sont le fait de groupes paramilitaires qui étaient au service du gouvernement et pratiquaient le terrorisme d’Etat, et qui maintenant s’estiment trahis. De même, Bush et l’Union européenne exercent de fait un blocus économique sur le pays, sûrement avec des appétits colonialistes ; dans le cas des Etats-Unis, l’objectif semble clairement d’occuper directement ou indirectement le pays afin de s’assurer une base géostratégique à partir de laquelle ils pourront influer sur toute la région et qu’ils pourront éventuellement utiliser comme rampe de harcèlement contre Cuba.

Au milieu de cette situation chaotique et une fois de plus catastrophique pour le peuple d’Haïti qui a tant souffert, il apparaît clairement qu’il faut se joindre à la campagne internationale de dénonciations du régime en place et qu’il faut appuyer les militants démocrates et progressistes éprouvés comme l’Organisation du peuple en lutte de Gérard Pierre-Charles, co-fondateur du Forum de Sao-Paulo (rassemblant les organisations de la gauche latino-américaine) et candidat au Prix Nobel de la Paix, qui combattent pour une issue authentiquement pacifique et démocratique ; ils nous alertent à leur tour des objectifs fallacieux de certains « appuis » de l’impérialisme, à la façon de la fable du requin et des sardines que nous avait conté J. J. Arévalo à l’occasion de l’intervention yankee lors du renversement du gouvernement de Jacobo Arbenz au Guatemala dans les années 50.