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Haiti : L’impérieuse obligation d’encourager le processus de « démocratisation des médias d’État »

Paroles du défunt ministre de la Culture et de la Communication, Choiseul Henriquez

Discours préparé par le défunt ministre de la Culture et de la Communication, Choiseul Henriquez pour son investiture qui n’aura jamais lieu… Décédé le 11 novembre, les funérailles de Henriquez sont chantées ce 19 novembre 2011.

Document confié à AlterPresse le 18 novembre 2011

« Est-ce qu’une parole, elle peut se comprendre soi-même ?
Mais afin qu’elle soit,
Il faut un autre qui la lise. »
Paul Claudel

Monsieur le Premier ministre
Distingués (es) collègues (es)
Représentants(es) de la presse parlée, écrite et télévisée
Parents et amis
Mesdames
Messieurs,

Aujourd’hui, en nous confiant le portefeuille du ministère de la Culture et de la Communication, la Primature nous investit d’une mission catalytique, noble et délicate dans un environnement sociopolitique fragile. La lourde responsabilité nous incombe de participer de façon dynamique au remaillage des filets de l’espoir des citoyennes et des citoyens d’un pays durement éprouvé à tous les niveaux…

Depuis longtemps, avant même la tombée de la nuit opaque des malheurs qui ont achevé de masquer les derniers rayons de l’espérance, les Haïtiens peinaient déjà pour retrouver le fil d’Ariane qui détiendrait le pouvoir de les ramener à la lumière du jour.

Les civilisations anciennes et contemporaines, telles qu’on les connaît dans leurs armures de gloire et/ou de dérive, regorgent d’exemples irrécusables du rôle fondamental de la Culture et de la Communication comme outils de réveil, de renaissance et d’accompagnement à des moments graves, et surtout déterminants dans les choix de société à concevoir et à privilégier par les autorités légitimes, les mandataires visionnaires, pour qu’ils parviennent à envisager et à construire l’avenir économique et politique au sens imprescriptible des désidérata des collectivités territoriales.

Les grands concepteurs des théories qui ensemencent les champs de la sociologie, Taylor, Durkheim, Comte, Weber et consorts, définissent la culture comme étant un mode de penser et d’agir. Ils reconnaissent du même coup que tous les peuples en sont à la fois producteurs et produits. La compréhension du phénomène culturel par l’approche qui est construite sur la base des facteurs « d’intelligibilité progressive », pour reprendre sommairement la locution substantive du politologue canadien, Denis Monière, nous a amenés à valoriser profondément les créateurs ingénieux dont les noms demeurent soudés, associés à des œuvres magistrales, inscrites dans les domaines artistiques et scientifiques multidisciplinaires : littérature, théâtre, peinture, musique, sculpture, artisanat, cinéma, danse, religion, édifices classés dans la rubrique du patrimoine national, sites culturels et touristiques, etc. Les Anacaona, Anténor Firmin, Louis-Joseph Janvier, Marie-Ange Jolicoeur, Ida Faubert, Fernand Hibbert, Etzer Vilaire, Virginie Sampeur, Jacques Stephen Alexis, Jacques Roumain, Albert Mangonèse, Jean René Jérôme, Bernard Wah, Dieudonné Cédor, Rodrigue Montfleury, Richard Brisson, Jean Dominique, Solon Verret, Occide Jeanty, Lumane Casimir, Ti Paris, Pablo Neruda, Salvador Dali, Pablo Picasso, Gabriel Garcia Marquez, Richard Wright, Alex Haley, Karl Marx, Aristote, Socrate, Diogène , Démosthène, Georges Méliès, Les Frères Lumière, Charlie Chaplin, Michel Ange, tous, et beaucoup d’autres, n’ont-ils pas apporté chacun, à un niveau ou à un autre, sa bienveillante contribution à l’évolution et à la consolidation des multiples compartiments des savoirs théoriques et pratiques, base de la philosophie universelle sur laquelle repose l’ensemble des expressions idéologiques à caractère social, politique, économique et culturel qui régissent le mécanisme de fonctionnement des sociétés contemporaines dans un cadre purement novateur, nettement dynamique et manifestement progressiste ?

Sans le déclarer ouvertement, nous avons signifié de manière mesurée l’importance de l’action culturelle dans le développement matériel et l’évolution psychologique de l’être humain toujours en quête de situation de vie où transcende la mobilité sociale ascendante… C’est elle donc qui donne naissance à la conscience politique qui, elle-même, dicte les comportements des individus dans l’hémicycle sociétal, génère les forces composantes de la fierté nationale. Benoît Vermander nous apprend que « comme pour la musique ou pour la cuisine, la réalisation d’une société harmonieuse présuppose l’intégration de toutes les voix, toutes les saveurs, toutes les perspectives. » Cela nous permet de comprendre que l’État de droit relève largement de l’articulation des éléments culturels exercée dans des environnements intra-sociétal et extra-sociétal sains qui supportent et exhibent l’empennage de la tolérance réciproque, du respect mutuel, de la libre circulation des idées et des opinions… L’énoncé de politique générale du Premier ministre a planché littéralement et abondamment sur la « dialogie » d’une « culture Renaissance » pluricéphale en Haïti, dans un contexte politique confortable, tout à fait adjacent aux prérogatives découlant d’une « libération communicationnelle »déployée à la grandeur de la réflexion citoyenne et adaptée à l’amplitude de la pensée humaine.

Il fut un temps dans ce pays – nous tenons surtout à le mentionner pour les jeunes esprits et les mémoires oublieuses – où certaines formes de manifestations culturelles et certaines façons de communiquer les idées, d’émettre les opinions, de traduire les craintes, les revendications et les aspirations populaires, de traiter les nouvelles et de les vulgariser dans la presse écrite, parlée et télévisée, soi-disant qualifiées de subversives, et cela rien que pour leur contenu avant-gardiste, étaient sacrifiées, guillotinées sans procès sur la place publique. La constitution de 1987 « a rouvert le bal ». Elle rétablit et garantit pleinement le droit inaliénable des citoyennes et des citoyens d’informer et d’être informés. La fonction sociale et politique de la présidence, de la primature, des ministères et des secrétaireries d’État, comme institutions publiques – nous voudrions bien le croire – ne serait pas de garantir ce qui est déjà garanti dans la Loi Mère, mais plutôt de veiller constamment au déblayage des espaces naturels, et non historiques, connectés à l’extériorisation des libertés fondamentales, et destinées dès la genèse du monde aux différentes strates sociales et culturelles.

La transparence politique au niveau de la gestion de la Res Republica commande au ministère placé officiellement sous notre responsabilité de servir de courroie de transmission des décisions névralgiques prises au niveau des instances gouvernementales, d’étaler les mesures adoptées par l’État pour l’avancement et le progrès de la nation. En ce sens, et compris sous cet angle, nous pensons qu’il incombe à nous l’impérieuse obligation d’encourager le processus de « démocratisation des médias d’État » pour qu’ils deviennent effectivement des « médias publics », c’est-à-dire ouverts à toutes les tendances politiques, à tous les contenus idéologiques auxquels peut s’arc-bouter le grand rêve, l’idéal démocratique du peuple haïtien. Nous suggérerons également le renforcement des organes officiels de communication aux fins d’entretenir et de conserver la pratique positive de filmer et de projeter sur écran géant les événements et les avènements séquentiels qui caractérisent le fonctionnement normal de la République, dans la plénitude des différents aspects fondamentaux étroitement collés à la raison et à l’essence de son existence : aspects social, politique, économique, culturel, environnemental… Cela pourrait se faire par la conception novatrice et l’implantation de programmes télévisuels et radiodiffusés appropriés, par l’intronisation de nouvelles émissions sur les arts, sociétés, cultures, religions, tourisme, et, selon les moyens financiers qui seront alloués au ministère, par la fondation de revues, de magazines, de journaux spécialisés… qui viendraient régulièrement rendre compte aux membres des collectivités locales, comme aux temps des « Acta diurna », bien avant Johannes Gensfleisch dit Gutenberg et Guglielmo Marconi, de la vie sociale, politique, économique et culturelle de la Cité.

Notre production littéraire, picturale, sculpturale, théâtrale, musicale… occupe une place importante sur l’échiquier mondial. La plupart des compatriotes qui évoluent, excellent dans ces différentes sphères d’activités ont reçu des prix et honneurs émérites décernés par de prestigieux organismes internationaux. Même la cinématographie haïtienne, encore à son moment de balbutiement, sans aucune intention péjorative de notre part, commence à se frayer tranquillement un passage honorable hors de nos frontières. Un pareil constat enchanteur devra tôt ou tard amener l’État haïtien, par le truchement du ministère de la Culture et de la Communication, à se préoccuper de défricher un terrain d’initiatives concrètes qui révèle une volonté louable de créer et d’institutionnaliser un mode de récompense annuelle au profit des créateurs qui évoluent respectivement dans les disciplines intellectuelles et artistiques, et qui se seraient démarqués de leurs paires par la qualité remarquable de leurs œuvres.

La vision de l’avenir envisagé par le nouvel appareil étatique souligne même sournoisement « l’incontournabilité » des relations de partenariat du ministère de la Culture, en particulier, avec ceux de l’Éducation nationale, des Affaires étrangères, des Affaires sociales et du Commerce.

Nos premiers pas sur le sol de l’action politique, dans le cadre du mandat qui nous est confié, iront probablement en direction du monde artistique et culturel, afin de recueillir les doléances, de noter les suggestions, de collecter les données informatives qui conduiront à l’amélioration des cadres d’évolution, et des conditions de travail des principaux concernés.

À nos Supérieurs hiérarchiques de tous les paliers, aux collègues, et compatriotes, nous renouvelons l’esprit de notre collaboration pleine et entière, franche, conséquente et responsable, dans le cadre de nos attributions spécifiques, une façon pour nous de contribuer honnêtement au rayonnement matériel, culturel et spirituel du peuple haïtien…

Merci à tous !