La dénationalisation de milliers de Dominicaines et de Dominicains d’origine haïtienne est un « génocide civil », estiment des organisations de défense de droits humains. Ces organisations s’élèvent contre les persécutions d’ultranationalistes dominicains à l’encontre de la militante dominicaine de droits humains, Sonia Pierre, depuis quelques semaines à cause de cette audition devant la Cidh annoncée pour le 24 octobre 2011.
Par Wooldy Edson Louidor
Santo Domingo, 18 oct. 2011 [AlterPresse] --- La commission interaméricaine des droits humains (Cidh), organisme de l’Organisation des États Américains (Oea), a convoqué l’administration du président Leonel Fernandez Reyna à une audience, fixée au lundi 24 octobre 2011 à Washington D.C., au sujet de 457 cas de Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne qui se sont vu refuser le renouvellement de leurs documents d’identité, selon les informations dont a pris connaissance l’agence en ligne AlterPresse.
Cette convocation fait suite à une vaste campagne intitulée RECONOCIDO, lancée le 21 septembre dernier par une vingtaine d’organisations de défense et de promotion des droits humains en République Dominicaine, réunies autour du « mouvement pour un État civil libre de discrimination ».
Ce collectif d’organisations dominicaines et internationales vise à promouvoir l’élimination de toutes formes de discrimination, particulièrement contre des milliers de Dominicaines et de Dominicains d’ascendance haïtienne, dans le système de l’État Civil du pays voisin.
Le gouvernement de la République Dominicaine sous les projecteurs de la communauté internationale
Dans une enquête sur « L’impact de la Politique de Dénationalisation appliquée dans le pays », réalisée par le service jésuite aux réfugiés et migrants (Sjrm), membre de ce collectif, au moins 1,584 cas de Dominicaines et de Dominicains d’origine haïtienne victimes de la dénationalisation, [exécutée par la junte centrale électorale dominicaine (Jce)], ont été recueillis et documentés à Don Juan et Quisqueya dans la zone de San Pedro de Marcorís (40%), à Monte Plata (45%), Guaymate à la Romana (10%) et à Neyba (5%) [1].
Une fois de plus, le gouvernement de la République Dominicaine est sous les projecteurs de la communauté internationale, en ce qui concerne la situation d’apatridie à laquelle sont acculés des milliers de Dominicaines et de Dominicains d’origine haïtienne, pénalisés par la Résolution 12-07 de la junte centrale électorale dominicaine qui applique, de façon rétroactive, la nouvelle Constitution du pays voisin d’Haïti proclamée en janvier 2010.
Il s’agit de la même dénonciation que, des semaines auparavant, la secrétaire d’État étasunienne Hillary Rodham Clinton avait formulée au sujet de la dénationalisation des Dominicains d’origine haïtienne en vertu de l’application rétroactive de la nouvelle Constitution dominicaine.
La réapparition du spectre de l’article-polémique de la Constitution dominicaine
« Sont Dominicaines et Dominicains ceux qui sont nés sur le territoire national, à l’exception de ceux qui sont fils d’étrangers membres de légations diplomatiques et consulaires ou d’étrangers qui se trouvent en transit ou qui résident illégalement sur le territoire dominicain. Est considéré, comme personne en transit, tout étranger défini comme tel dans les Lois dominicaines » [2], stipule l’article 18, paragraphe 3, de la nouvelle Loi-mère dominicaine, objet d’intenses débats dans la société voisine durant son processus d’élaboration [3].
Donc, la nouvelle Loi-mère dominicaine consacre le principe du jus soli (droit du sol), défini par la Loi générale de Migration No. 285-04 en vigueur depuis le 15 août 2004.
D’où l’un des principaux arguments du « mouvement pour un État civil libre de discrimination » :
« Si bien il est vrai que la nouvelle Constitution, proclamée le 26 janvier 2010, concorde avec la Loi générale de migration No. 285-04, dans le sens qu’elle stipule, de manière précise, que les fils de migrants irréguliers n’ont pas droit à la nationalité dominicaine, il n’en est pas moins vrai que la nouvelle Constitution consacre le principe de Non Rétroactivité en son article 110 [4] ; donc, même sous le régime de la nouvelle Constitution l’application de la Résolution 12-07, aux personnes qui sont nées avant le 16 août 2004, est inconstitutionnelle » [5].
Le spectre de l’article-polémique de la nouvelle Charte dominicaine réapparaît comme justification de la politique de dénationalisation des Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne, appliquée par l’organisme étatique dominicain, la Jce, responsable du système de l’État civil de la république voisine d’Haïti.
La Jce s’est basée sur la nouvelle Constitution dominicaine pour étendre l’application de la Résolution 12-07, qu’elle avait émise le 10 décembre 2007, à travers son assemblée plénière, en vue de « suspendre, de manière provisoire, les actes ou extraits d’archives d´État civil ayant présenté des indices d’irrégularité ».
Depuis, cette « suspension provisoire » a été instaurée de « manière implacable », souligne le collectif dominicain qui prend position dans le document précité :
« Nous sommes d’accord avec l’épuration et la modernisation du système de l’État Civil, mais nous n’accepterons, en aucune façon, que la Jce refuse de délivrer les actes de naissance, qui ont été dûment enregistrés et conformément aux normes sur les Actes de l’État Civil –loi 659/44- et au droit à la nationalité en vigueur, jusqu’à la promulgation de la nouvelle Constitution en date du 26 janvier 2010 » [6]
Les organisations de droits humains exigent la dérogation immédiate de la Résolution 12-07, laquelle « exécute, de manière voilée, un processus de dénationalisation ».
Elles réclament sa substitution par une autre résolution, constitutionnelle et respectueuse des principes de droits humains et de l’État de droit.
Dénationalisation qualifiée de « génocide civil »
En fait, des organisations dominicaines vont jusqu’à qualifier de « génocide civil » ce processus de dénationalisation de Dominicaines et de Dominicains d’origine haïtienne.
« En leur refusant le document fondamental (actes de naissance ou extraits d’archives), elles/ils ne peuvent pas réclamer leurs cartes d’identité et électorale, leurs passeports, elles/ils ne peuvent pas se marier ou divorcer, s’inscrire à l’école ou à l’université, solliciter des bourses ou des emplois de manière formelle ; elles/ils ne peuvent pas, non plus, déclarer leurs enfants, qui héritent leur condition de morts civils » [7], soutiennent-elles.
Tous les segments de la population dominicaine, d’ascendance haïtienne en République Dominicaine, sont victimes de ce « génocide civil ».
Cependant, les femmes (59%) et les jeunes (72%, ayant entre 14 et 35 ans) constituent les deux groupes de Dominicaines et de Dominicains d’origine haïtienne, qui sont majoritairement affectés par la Résolution 12-07, selon l’étude réalisée par le Sjrm. [wel rc apr 18/10/2011 14:30]
[2] Capítulo V “De la población”, Sección I “De la nacionalidad”, Artículo 18, número 3, de la Constitución de la República Dominicana, proclamada el 26 de enero del 2010 : “Las personas nacidas en territorio nacional, con excepción de los hijos e hijas de extranjeros miembros de legaciones diplomáticas y consulares, de extranjeros que se hallen en tránsito o residan ilegalmente en territorio dominicano. Se considera persona en tránsito a toda extranjera o extranjero definido como tal en las leyes dominicanas.”
[3] ,Voir les articles : http://www.alterpresse.org/spip.php?article8392, http://www.alterpresse.org/spip.php?article8821
[4] Artículo 110 de la Constitución : “Irretroactividad de la ley. La ley sólo dispone y se aplica para lo porvenir. No tiene efecto retroactivo sino cuando sea favorable al que esté subjúdice o cumpliendo condena. En ningún caso los poderes públicos o la ley podrán afectar o alterar la seguridad jurídica derivada de situaciones establecidas conforme a una legislación anterior.”
[5] Movimiento por un Registro Civil Libre de Discriminación, Posicionamiento sobre la Resolución 12-07, p.3. Source : http://www.reconoci.do/images/stories/documentos/posicionamiento-r12-movimiento.pdf
[6] Ibid, p.1