Recommandations de la Concertation pour Haïti
au gouvernement canadien
Document soumis à AlterPresse le 16 février 2004
Un régime de terreur
Si le Président Aristide a été élu avec le soutien et la faveur de l’immense majorité des Haïtiennes et des Haïtiens pour qui il représentait, en 1990, l’espoir de sortir Haïti de la dictature et de la pauvreté, on doit maintenant se rendre à l’évidence, ces temps sont bel et bien révolus. En réalité, on dirait qu’Aristide s’est donné Duvalier pour modèle.
En fait, Aristide est anti-démocratique. Il veut être le seul à prendre les décisions : c’est pourquoi toutes les institutions démocratiques sont en péril. Il cherche à contrôler tant la police que la Cour Suprême, les juges, les maires, le recteur de l’université, en fait tout représentant d’une institution qui pourrait échapper à son contrôle ou détenir une partie du pouvoir. C’est pourquoi tous les dirigeants qui cherchaient à assumer pleinement leurs responsabilités et refusaient de n’être que des paravents au pouvoir que veut exercer Aristide, ont dû démissionner, qu’ils soient officiers de police [1] ou même chef national de la police [2], juges [3], maires [4], ministres [5], recteur [6], les exemples sont légion. A l’inverse, des personnes non qualifiées ont aisément occupé ces postes d’autorité s’ils prêtaient allégeance au Président, comme c’est le cas de l’actuel chef de la police nationale, Jocelyne Pierre, qui a obtenu ce poste sans aucune expérience préalable. Cependant, comme la Constitution prévoit que, pour être chef de la police nationale, on doit auparavant avoir occupé un poste de chef départemental, on a complaisamment envoyé Me Pierre en hélicoptère à Fort Liberté, où elle a pu occuper ce poste durant Â… 4 heures !
Le pouvoir d’Aristide repose sur la terreur et la corruption. Comme Duvalier jadis avec ses tontons macoutes, Aristide a mis sur pied ses propres milices, armées jusqu’aux dents, lesquelles peuvent se permettre impunément toutes les exactions et tous les crimes, pour autant qu’elles continuent de servir les intérêts politiques du pouvoir. Ces « chimères », comme le langage populaire désigne ces bandes armées, sont assistées depuis plusieurs mois par des « attachés », des hommes de main rattachés aux commissariats de police, pour accomplir les basses œuvres qu’il serait trop gênant que la police accomplisse officiellement [7]. Ce mode de fonctionnement, rappelons-le, a d’abord existé sous Duvalier. Ce sont donc ces chimères, assistés des attachés et très souvent avec la complicité de la police, qui exécutent les actes de répression contre tout individu ou groupe qui montre une opposition au régime. Cette répression violente a augmenté de façon dramatique en 2002 et en 2003 : assassinats, disparitions forcées, torture, arrestations arbitraires, non-respect des ordonnances de remise en liberté, passages à tabac, harcèlements et menaces. Cette violence atteint des niveaux insoupçonnés de cruauté quand, après avoir sévèrement battu un jeune garçon de 16 ans, Louisma Jonathan, des policiers le jettent en pâture aux chiens (14 octobre 2003), ou encore quand le 25 novembre 2003, le Protecteur du Citoyen, Necker Dessables, a condamné la pratique de têtes coupées exposées sur la voie publique à Port-au-Prince, un pratique inacceptable selon lui (!) C’est tout juste si M. Dessables ne dit pas : assassinons, mais décemment !
Ce sont, bien entendu, les membres des partis d’opposition qui sont les premières victimes de cette répression, mais ils sont loin d’être les seuls visés. Les représentants de la presse ont constamment été les cibles des sbires du pouvoir : les journalistes des médias indépendants ont été souvent agressés voire assassinés (comme dans les cas de Jean Dominique et de Brignol Lindor, dont les assassins n’ont toujours pas été punis), menacés et obligés de quitter le pays, et les stations de radios vandalisées. Le régime supporte mal la liberté d’expression, au point que, dans la dernière semaine de janvier 2004, les bandes armées ont saboté les antennes de plusieurs radios, pour empêcher la diffusion des informations.
Outre les journalistes, les activistes de droits humains, ceux et celles qui protestent pour la violation systématique des droits humains par les bandes à la solde du pouvoir et par la police, se trouvent menacés à leur tour, comme ce fut le cas pour les femmes dirigeantes de la CONAP, qui ont été brutalement empêchées de manifester à plusieurs reprises, et qui ont reçu des menaces de mort. Les syndicalistes sont également menacés : le 24 janvier dernier, des policiers font brutalement irruption dans le local de la CSH et arrêtent illégalement 11 personnes qui y étaient réunies. Les étudiants sont également des cibles de la répression : depuis la crise de l’université, bien des étudiants en ont été victimes. Mais, depuis la mobilisation des étudiants dans le mouvement anti-Aristide, ils sont victimes d’agressions sauvages comme celle du 5 décembre 2003 où les chimères, sous l’œil complice de la police, ont blessé des étudiants et des professeurs par balles, jets de pierres et coups de bâton, et ont saccagé des locaux universitaires. Le recteur élu de l’Université d’Etat, M. Pierre Marie Paquiot, a eu les deux jambes fracturées et le vice-recteur Wilson Laleau a également été blessé.
Cette agression sauvage du 5 décembre envers les étudiants, a déclenché un mouvement de manifestations réclamant le départ d’Aristide, lequel a pris de l’ampleur dans l’ensemble du pays. Ces manifestations sont très durement réprimées : quelques 50 personnes auraient été tuées dans ces marches de protestation entre décembre et janvier. Malgré cette violence envers les manifestants, en janvier 2004, ces manifestations sont devenues presque quotidiennes. Cependant, le Président Aristide demeure inébranlable : il veut terminer son mandat. Des ministres démissionnent, des sénateurs changent de camp, son ambassadeur en République Dominicaine démissionne, mais Aristide reste inflexible.
Depuis le 13 janvier 2004, Haïti s’est retrouvé sans Parlement, le mandat des 83 membres de la Chambre des députés étant arrivé à terme la veille. Aristide dirige donc seul, et par décrets.
Un régime corrompu
Il est notoire que ces « chimères », comme la population d’Haïti désigne les mercenaires du régime, sont impliqués dans le trafic de drogue et dans toutes sortes de vols et de contrebandes [8]. Cependant, il y a tout lieu de croire que le trafic de drogue n’est pas seulement le fait des bandes armées qui soutiennent le gouvernement d’Aristide : plusieurs hauts dirigeants du gouvernement y sont impliqués. En effet, des personnages tels que le ministre de la Justice, Calixte Délatour, le Secrétaire d’Etat à la communication, Mario Dupuy, la directrice de la Police nationale, Me Jocelyne Pierre, et le ministre de l’Intérieur, Jocelerme Privert, se sont vus refuser un visa de séjour par l’ambassade américaine le 26 novembre dernier : ces cadres du régime Lavalas sont soupçonnés d’implication ou de connivence avec les trafiquants de drogue.
Plusieurs autres scandales ont éclaté au cours des deux dernières années : scandale du riz (les proches du régime auraient eu l’exclusivité de la vente de cette denrée), scandale des coopératives (encouragées par le pouvoir, ces coopératives d’épargne ont attiré un grand nombre de déposants en offrant des taux d’intérêt spectaculaires de 118%, mais leur banqueroute a dépouillé des milliers de personnes de leurs avoirs).
Aristide : un président légitime ?
En mai 2000, des élections parlementaires et législatives avaient lieu en Haïti. Ces élections revêtaient une grande importance pour le parti Lavalas, Aristide préparant son retour au pouvoir après le gouvernement de René Préval. Les observateurs internationaux, dont l’OEA, dénoncent des irrégularités graves dans la tenue de ces élections : des milliers de bulletins de vote ont été répandus dans les rues de Port-au-Prince, des candidats de l’opposition ont été arrêtés, l’un d’entre eux a même été tué à coups de pierres. Les représentants de l’OEA demandent au parti Lavalas de concéder l’élection de 7 Sénateurs à la Convergence Démocratique, la coalition de partis d’opposition. Cela ne changeait rien à l’apparente victoire écrasante du parti au pouvoir. L’opposition quant à elle, demande qu’on annule l’élection de mai 2000. Mais on ne réussira pas à s’entendre.
La Convergence Démocratique refusera donc de participer aux élections présidentielles de novembre 2000, puisque le problème des élections parlementaires n’a jamais été solutionné. à€ l’époque, le gouvernement canadien avait précisé deux conditions pour reconnaître la validité des élections présidentielles : la participation des partis d’opposition et la conformation d’un comité électoral provisoire pluraliste. Ces conditions n’ont pas été remplies. Aristide est élu par moins de 5% de l’électorat, sans la participation des partis d’opposition, dans un contexte d’irrégularités électorales non solutionnées. Mais, curieusement, le Canada n’a jamais remis en cause la légitimité du Président après son élection, au point que Paul Martin soutient maintenant qu’Aristide doit terminer son mandat.
Les promesses non tenues d’Aristide
Suite à l’élection controversée de novembre 2000, l’OEA prend l’initiative d’amener le parti Lavalas et l’opposition à négocier. Pas moins de 24 rondes de négociation auront lieu en 2001, sans que jamais on ne parvienne à un accord sur le problème politique. Il est entendu que l’opposition est intransigeante et réclame la démission d’Aristide. Le discours d’Aristide semble lui, empreint de bonne volonté apparente. Mais, on doit se rendre à l’évidence : la répression contre les membres de l’opposition continue. La tactique d’Aristide semble être celle de manier les promesses d’une main, celle qu’il agite à la communauté internationale, pour mieux prendre le bâton de l’autre main, celle qui interdit toute opposition et même toute critique en Haïti.
En décembre 2001 survient la « tentative de coup d’Etat » : des rumeurs veulent qu’on aurait tenté d’assassiner Aristide. En fait, une enquête approfondie menée par l’OEA montre que ce fut une opération montée par le pouvoir lui-même, qui lui a surtout permis de réprimer énergiquement l’opposition (avec laquelle on est supposément en train de négocier). L’OEA adopte les résolutions 806 puis 822, enjoignant le gouvernement d’Haïti d’indemniser les victimes du 17 décembre, d’arrêter et de juger les coupables de la violence et de désarmer les bandes de chimères. Aucune de ces recommandations n’ont été mises en œuvre par le gouvernement d’Aristide, si ce n’est que très partiellement. Les bandes de chimères qui continuent à opérer impunément, de même que la police et ses attachés, ont même raffiné leur degré de cruauté. De plus, elles intègrent de très jeunes adolescents dans leurs rangs, un fait extrêmement préoccupant pour l’avenir.
à€ présent, en février 2004, Aristide promet aux chefs d’état du CARICOM d’arrêter la violence et de désarmer ses milices : peut-on vraiment prêter crédit à cette promesse qu’Aristide répète depuis 3 ans ? Le Canada va-t-il se satisfaire de cette promesse ?
L’opposition en Haïti
Dans toutes les informations sur Haïti, il subsiste jusqu’à maintenant une certaine ambiguïté. On parle de l’opposition en bloc, comme s’il s’agissait d’un groupe unifié, monolithique. Or, la réalité de l’opposition est extrêmement variée et fragmentée en Haïti.
La Convergence démocratique
En 2001, quand on parlait de l’opposition, on parlait essentiellement de la Convergence Démocratique, cette coalition de partis politiques qui s’était opposée au parti Lavalas lors des élections législatives de mai 2000. Cette coalition était et est toujours très fragile, traversée par de grandes contradictions internes. Le parti le plus important et consolidé au sein de cette coalition est sans doute l’OPL. La Convergence Démocratique a réclamé la démission d’Aristide et la tenue d’élections depuis 2000.
Le groupe des 184
En 2002, d’autres mouvements sont apparus, en particulier le groupe des 184, qui réunit des membres aux origines les plus diverses : hommes d’affaires, académiciens, membres des Eglises, professionnels, intellectuels, groupes populaires. Ce groupe réclame lui aussi la démission d’Aristide. Au cours de 2003, le groupe des 184 a organisé différentes manifestations populaires pour diffuser sa position, lesquelles se sont vues attaquées par les chimères, se soldant par de nombreuses victimes chaque fois, notamment à Cap-Haïtien et à Cité Soleil en juillet 2003.
La Plateforme démocratique de la Société civile et des Partis politiques de l’opposition
Le 31 décembre 2003, une « Plateforme démocratique de la Société civile et des Partis politiques de l’opposition » voit le jour. Cette plateforme regroupe tant la Convergence démocratique et d’autres partis politiques, que des groupes membres des 184. Ils proposent, dans leur manifeste du 31 décembre, une sortie de crise, avec la mise en place d’un gouvernement de transition. Ce gouvernement de transition serait présidé par l’un des juges de la Cour de Cassation ; un Conseil des Sages, réunissant des représentants des principales institutions du pays, serait formé, et veillerait à la formation du gouvernement, de même qu’à la mise en place de mécanismes de participation de tous les secteurs sociaux. Le principal mandat du gouvernement de transition serait celui de veiller à l’instauration de conditions démocratiques pour la tenue d’élections dans un délai ne dépassant pas 24 mois.
Les anciens miliciens d’Aristide qui se retournent contre lui.
En 2003, suite à l’assassinat du chef de milice lavalassien, Amiot Métayer, aux Gonaïves, les membres de sa bande ont accusé Aristide de l’avoir fait assassiner, et se sont retournés contre lui. C’est cette bande qui, fortement armée par Aristide lui-même, menace aujourd’hui de prendre le pouvoir par les armes. Retranchés à Raboteau, un quartier de la ville des Gonaïves, ils ont tenté depuis septembre 2003, d’obliger Aristide à démissionner. L’échec de leurs pressions les a mené à occuper leur territoire par la force des armes. Ces gens, qu’on qualifie de « rebelles » dans les médias, sont en réalité pour la plupart des repris de justice, des contrebandiers, des mercenaires, autrefois les sbires d’Aristide lui-même. Il s’agit de la seule opposition armée contre Aristide.
Les organisations de base de la société civile
Finalement, il y a l’immense majorité des Haïtiennes et des Haïtiens, représentés par les groupes de la société civile : étudiants, travailleurs syndiqués, organisations paysannes, mouvements de femmes, mouvements de droits humains, journalistes. Ces groupes ont mis très longtemps à se prononcer publiquement sur la situation politique. Bon nombre d’entre eux ont refusé de le faire dans le passé, afin qu’on ne les confonde pas avec « l’opposition » partisane, soit la Convergence Démocratique.
Mais les exactions et les crimes du pouvoir ont fini par faire déborder le vase. Depuis plus d’un an, des organisations telles que la CONAP (regroupement des organisations des femmes), la POHDH (Plateforme haïtienne des organisations de droits humains), des ONG tels ICKL, le PAJ, les radios communautaires, ont exigé la démission d’Aristide par voie de communiqués.
Aujourd’hui, ce sont eux, les citoyens et les citoyennes d’Haïti, qui remplissent les rues lors des manifestations anti-Aristide. Sans cette force, les partis d’opposition ne pourraient rien. Ils ne sont cependant pas représentés dans les pourparlers entre les parties, comme ceux dont les pays du CARICOM ont pris l’initiative récemment.
En décembre et en janvier, les organisations populaires ont émis plusieurs prises de position communes face aux événements. En particulier, il faut souligner la formation d’un large regroupement de groupes et de personnes de tous les secteurs sociaux d’Haïti, « le Collectif d’artistes et d’intellectuels pour la défense des libertés civiles », lequel, dans un communiqué du 20 janvier 2004, appuie l’alternative d’un gouvernement de transition.
La politique canadienne
Au cours des derniers mois, devant l’aggravation de la situation en Haïti (répression des journalistes et des médias, attaques par des bandes armées de facultés universitaires, de postes de police, de prisons, de palais de justice, affrontements violents entre manifestants pacifiques, bandes armées et forces de police, l’ampleur de l’action d’insurgés ces derniers jours), le gouvernement canadien n’a fait aucune déclaration publique et officielle pour dénoncer l’affaiblissement de l’Etat de droit en Haïti et les multiples violations des droits humains.
Il y a cependant une exception : le 17 décembre 2003, suite aux lettres publiées par des organisations canadiennes de solidarité, et réclamant du gouvernement canadien une plus grande fermeté face aux violences en cours dans le pays, l’ambassade canadienne à Port-au-Prince a émis une note de presse « se disant très préoccupée par les violences qui sévissent à Port-au-Prince et dans d’autres endroits du pays ». De plus, l’Ambassade se dit d’une part « très préoccupée par des allégations sérieuses de participation de civils en armes dans la répression brutale et sanglante dans certains cas » de ces manifestations, condamne d’autre part « les gestes violents posés par des civils armés, se réclamant du Pouvoir en place ».
Cette note de presse diffère dans le ton du communiqué du Parlement européen du 15 janvier 2004. En effet, le Parlement européen y appelle les autorités haïtiennes à s’engager publiquement à mettre un terme aux graves violations des droits humains dans le pays, notamment la torture, les intimidations et les assassinats. Les députés européens ont également demandé au gouvernement haïtien de « dissoudre les milices et bandes armées qui font régner la terreur » et de « mettre un terme à la corruption ».
Nul doute, la note de presse du gouvernement canadien fait pâle figure. Mais si on associe cette tiède et unique protestation du gouvernement canadien, aux autres éléments de sa politique, alors on peut se demander si, dans les faits, le Canada n’appuie pas le régime d’Aristide. C’est la perception qu’ont beaucoup de groupes et d’observateurs en Haïti.
Le Canada dit qu’il espère « que le dialogue entre les parties remplace les affrontements violents » (note de presse du 17 décembre), ce qui est très louable en théorie. Mais en pratique, quelles sont « les parties » ? Est-ce qu’en plus de la Convergence démocratique, les parties incluent le groupe des 184, la Plateforme démocratique de la société civile et des partis politiques de l’opposition, de même que le Collectif des artistes et intellectuels pour la défense de la liberté ?.
Si le Canada parle du dialogue entre le gouvernement Aristide et la Convergence démocratique, ces mêmes acteurs ont été forcés au dialogue depuis 3 ans, sans aucun résultat. Le fait que le gouvernement d’Aristide ait continué de réprimer les membres des partis d’opposition, et le fait qu’il n’ait rempli aucune des recommandations de l’OEA, ont sans doute contribué à l’impasse actuelle. Quels nouveaux éléments permettent au Canada de penser qu’on atteindra maintenant un accord, alors que la situation s’est, par ailleurs, nettement détériorée ?
D’autre part, la poursuite du dialogue entre les parties dans la situation actuelle n’est-elle pas une caution à la légitimité du pouvoir d’Aristide, légitimité largement remise en question depuis les élections contestées de l’an 2000. Quels ont été les efforts du gouvernement canadien pour entamer le dialogue avec l’opposition non partisane et populaire ?
à€ l’issue de la rencontre des dirigeants du Caricom tenue aux Bahamas les 20 et 21 janvier, le ministre canadien des Affaires étrangères, Bill Graham, a déclaré qu’« un pas important a été franchi » et que des progrès avaient été faits en vue de parvenir à une solution négociée à la crise. Il a réitéré le soutien du Canada à la mission spéciale de l’OEA pour renforcer la démocratie en Haïti. Il est allé jusqu’à suggérer à l’OEA l’établissement d’une mission de surveillance permanente pour améliorer la sécurité en Haïti.
Il est important de souligner ici l’intervention de madame Francine Lalonde, députée du Bloc québécois, qui a émis, le 29 janvier, un communiqué sur la situation en Haïti. Jugeant trop timide l’implication du gouvernement canadien dans le dossier d’Haïti, elle déclare que le « gouvernement canadien doit hausser le ton pour forcer le respect des droits humains en Haïti ». Continuer cette politique aveugle à l’égard d’Haïti ne peut que déboucher sur un avenir chaotique et sanglant. Les événements des derniers jours en Haïti le prouvent.
Deux semaines plus tard, alors que plusieurs zones du Nord sont livrées à l’anarchie et au pillage, le gouvernement canadien n’a pas davantage haussé le ton face au gouvernement haïtien. Par la voix de son ministre Bill Graham, il s’est contenté à nouveau « d’appeler au calme et au respect intégral de la primauté du droit en Haïti et de condamner fermement le recours à la violence » (Le Monde, 10 février 2004).
Aristide doit partir
Compte tenu
de l’aggravation de la crise en Haïti et de la part de responsabilité de la communauté internationale, y compris le Canada, dans cette détérioration,
des déclarations inquiétantes du ministre canadien des Affaires étrangères cautionnant la présidence d’Aristide en suggérant même qu’il « termine son mandat »,
de la position attentiste du gouvernement canadien dans la recherche d’alternatives à la crise qui perdure,
de la perspective d’un projet du Caricom de « déploiement d’une force étrangère de sécurité »,
les membres de la Concertation pour Haïti recommandent que le gouvernement canadien
• dénonce avec force l’escalade des violations des droits humains bien documentée par des organismes nationaux et internationaux de défense des droits (NCHR, Commission nationale Justice et Paix, Amnesty International, Reporters sans frontières, Commission des droits humains de l’OEA et de l’ONU) ;
• exige du gouvernement haïtien le désarmement des bandes armées (« chimères ») recourant à la force et à l’utilisation des armes ;
• fasse pression afin que le gouvernement haïtien donne suite aux conclusions d’enquêtes indépendantes concernant l’identification et le jugement des présumés responsables des violations massives des droits humains ;
• prenne au sérieux les propositions de sortie de crise contenues dans l’Alternative de transition de la Plate-forme démocratique du 31 décembre et considère ces propositions comme base de discussion ;
• réclame maintenant, vu le pourrissement de la situation, la démission du président Aristide et invite les instances internationales dont le Canada est membre à faire pression en ce sens ;
• prenne en considération la mise en garde de l’expert indépendant des Nations Unies pour les droits de l’homme, Louis Joinet, « contre toute confusion ou amalgame entre l’action d’insurgés qui gagne en ampleur dans le pays et l’opposition formelle qui mène une lutte pacifique pour obtenir le départ du chef de l’Etat haïtien » ;
• considère la mise en place d’un gouvernement de transition comme l’alternative à la vacance du pouvoir créée par l’éventuelle démission d’Aristide ;
• exige la mise en place immédiate de conditions favorisant la tenue d’élections générales crédibles et s’engage financièrement et techniquement dans la préparation et la réalisation de ces élections.
• promeuve la constitution d’une mission internationale de paix, pour assister ce gouvernement de transition en vue de restaurer un climat de sécurité dans le pays.
[1] Jean-Panel Charles, officier de police réfugié en France en octobre 2003, décrit le climat de terreur régnant dans les commissariats de police.
[2] Jean-Robert Faveur, chef national de la police, obligé de démissionner et de prendre l’exil en juin 2003. Il a écrit une longue lettre pour décrire les pressions dont il faisait l’objet depuis la présidence.
[3] Le juge Daméus Clamé Ocnam est obligé de se réfugier aux Etats-Unis le 26 décembre 2003, pour échapper aux pressions de la présidence qui veut le voir mettre en accusation trois organisateurs de la marche anti-Aristide du 22 décembre.
[4] Jean Michard Mercier, ex-maire adjoint de Port-au-Prince, doit se réfugier aux Etats-Unis en août 2003, afin d’échapper aux pressions de la présidence qui veut le voir candidat à la mairie de Port-au-Prince. M. Mercier dit qu’il ne pouvait accepter étant donné la conception du rôle du maire qu’a le pouvoir.
[5] Marie Carmel Austin, ministre de l’éducation nationale, démissionne du gouvernement après l’attaque brutale des locaux universitaires par les milices lavalassiennes le 5 décembre 2003.
[6] Longue crise à l’université nationale en 2002 et en 2003, suscitée par le fait que le pouvoir veut imposer la nomination du recteur, ce à quoi s’opposent farouchement les étudiants.
[7] La NCHR a publié un dossier fort bien documenté à ce sujet.
[8] Aristide a été contraint de se débarrasser de certains chefs de bande qui étaient devenus trop gênants : le cas d’Amiot Métayer aux Gonaïves en septembre 2003, et de Roodson Lemaire alias Colibri à Cité Soleil en octobre 2003.