Prise de position du Collectif contre l’impunité *
Soumis à AlterPresse le 22 septembre 2011
Dès le retour en Haïti le 16 janvier 2011, de l’ex Président à vie Jean-Claude Duvalier, des Haïtiens et Haïtiennes se sont mobilisés pour dire NON à l’accommodation à l’inacceptable ; Pour rappeler que notre « pays qui s’était libéré d’un effroyable système d’esclavage, qui avait aidé les combattants de la liberté à travers les Amériques » ne pouvait jeter un tel héritage par-dessus bord et « offrir refuge à ceux-là même qui ont lentement exterminé […] le peuple haïtien, dans le marécage de Fort-Dimanche et partout dans le pays profond. […] Refuge et impunité à ceux qui avaient tranquillement détourné l’argent du pays, dépensant et gaspillant à tous vents, le confiant à la garde de banques étrangères [1] ».
Des organisations citoyennes de divers pays et des instances internationales se sont également élevées pour réclamer que l’ex dictateur réponde des crimes contre l’humanité commis sous son règne. Amnistie internationale rappelait que « Tout au long des quinze années pendant lesquelles Jean-Claude Duvalier a occupé le pouvoir (1971-1986), la torture systématique et les autres formes de mauvais traitements étaient monnaie courante en Haïti (17 janvier) ». La Concertation pour Haïti (CPH) de Montréal soulignait que « La justice, l’une des bases fondamentales de la démocratie, doit être incluse dans le plan de reconstruction d’Haïti. Sa refondation passe inexorablement par la fin de l’impunité (20 janvier) ». Le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme rappelait « qu’Haïti a l’obligation d’enquêter sur ces violations graves des droits de l’Homme commises pendant le règne de M. Duvalier qui sont bien documentées. Haïti a également l’obligation de poursuivre ceux qui sont responsables (1er février) ». Le Secrétaire général de l’ONU soutenait qu’il « est capital que les autorités haïtiennes prennent toutes les mesures juridiques et judiciaires pour régler cette affaire. Traduire en justice ceux qui se livrent à des crimes contre leur propre peuple, est un message clair aux Haïtiens que l’impunité n’est pas de mise dans le pays (mars) ». Suite aux démarches entreprises en mars par le Collectif contre l’impunité, la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) a produit le 17 mai une Déclaration qui rappelle à l’État haïtien son « obligation internationale d’enquêter sur les graves violations des droits humains commises sous le régime de Jean-Claude Duvalier et, s’il y a lieu, d’en punir les auteurs ».
Les plaintes déposées à date, au Tribunal de première instance de Port-au-Prince, ont été considérées recevables et ont été traitées. Le cabinet d’instruction a procédé à des auditions, entre févier et juillet, et a transmis au début du mois de septembre le dossier au Commissaire du gouvernement (Procureur). Ce dernier devra sortir une ordonnance. Au regard des déficiences et dysfonctionnements du système judicaire, le dossier a relativement bien avancé au niveau des premières étapes du processus.
Cependant, le contexte actuel fait peser d’énormes risques quant à la tenue d’un procès digne de ce nom ; un procès sérieux, équitable, mettant en lumière les mécanismes de la dictature duvaliériste. Aucune disposition n’a été prise pour bénéficier concrètement de l’appui technique de la CIDH ; Aucune demande d’informations, de recherche de preuves n’a été produite par devant d’autres pays ou instances ; Depuis l’ouverture du dossier, trois Commissaires du gouvernement se sont succédés ; Des mesures sont adoptées en catimini afin de restaurer l’ex dictateur dans des prétendus droits (pension présidentielle, restitution de biens saisis), ce malgré les poursuites engagées par l’État à son encontre ; poursuites introduites depuis 1987 et reprises en 2011.
En choisissant, en dépit des difficultés connues, de porter plainte contre l’ex dictateur Jean-Claude Duvalier, les parties prenantes du Collectif expriment et persistent dans leur refus de la négation du droit et donc de l’impunité qu’elle engendre. Juger Jean-Claude Duvalier peut être une opportunité de transformer notre système de justice, d’ouvrir la voie pour exiger que d’autres violateurs, quels qu’ils soient, rendent comptent à la nation.
Port-au-Prince, le 22 septembre 2011
Pour le Collectif contre l’impunité
Danièle Magloire
…………………………
* Le Collectif contre l’impunité est composé des plaignants-es, contre l’ex dictateur Jean-Claude Duvalier et consorts, et des organisations de défense des droits humains
Centre œcuménique des droits humains (CEDH) - Kay Fanm (La maison des femmes) -
Mouvement des femmes haïtiennes pour l’éducation et le développement (MOUFHED) - Réseau national de défense des droits humains (RNDDH)
[1] Prise de position de Jean-Claude Bajeux, directeur du CEDH, 17 janvier 2011, publié par AlterPresse.