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"On transite vers quoi ?"

Haïti-Reconstruction : Des dizaines de milliers de petites maisons aux murs de plastique

Enquête

Première partie

Dans le cadre du partenariat médiatique « Ayiti Je Kale »*, dont fait partie AlterPresse

Léogane, 31 août 2011 [Ayiti Kale Je / AlterPresse] --- Léogane, 23 août 2011 – Bleu, rose, blanc ou vert. Plastique, contreplaqué, acier ou deux par quatre. Ce sont les couleurs et les matériaux dont sont construites près de 90 000 petites maisons qui parsèment le flanc des collines dans les bidonvilles et la campagne haïtienne touchés par le séisme.

Mais qui reçoit les « abris transitoires », aussi appelés T-Shelters, d’après le nom anglais « Transitional Shelter » ?

Et, comme se demandait le directeur d’une agence de l’Organisation des Nations Unies (Onu) à propos du terme « transitoire » : « On transite vers quoi ? »

Qu’est-ce qu’un abri ?

Un T-Shelter c’est une de ces maisonnettes construites par les agences et les organisations humanitaires, qui font partie intégrante de toute boîte à outils d’hébergement après sinistre.

L’abri transitionnel sert à fournir aux familles sinistrées un espace habitable, couvert et sûr, un environnement sain qui protège leur vie privée et leur dignité en période de transition entre une catastrophe naturelle et le retour à une situation plus permanente, selon Safer Homes, Stronger Communities, un manuel financé par la Banque Mondiale, « un manuel sur la reconstruction après une catastrophe naturelle ».

La construction d’abris transitoires pour les réfugiés se déroule dans l’une des deux périodes après une catastrophe, soit la distribution d’abris d’urgence (tentes) et la construction d’urgence de T-Shelters, avant la reconstruction de logements permanents.

En moyenne, un T-Shelter n’a qu’une seule chambre, mesure entre 12 à 18 m2 et dure au moins trois ans. Sa durée de vie dépend de la conception et de la fabrication, car certains sont faits des simples planches de bois, bordées de plastique, parfois sans portes ni fenêtres, tandis que d´autres ont une ossature de bois ou de métal et des murs de bois ou de plastique.

À peu près 100% d’entre eux sont recouverts de tôles.

Certains sont appelés « semi-permanents » parce que leurs fondations et leurs murs pourront éventuellement faire partie d’une maison permanente et plus grande, si – bien entendu –les bénéficiaires ont les moyens économiques pour le faire.

Ils sont également différents en termes de coût.

Leur prix peut varier de US $ 1,200.00 (US $ 1.00 = 41.50 gourdes ; 1 euro = 61.00 gourdes aujourd’hui), sans la main d’œuvre – comme ceux qui ont une armature d’acier et de plastique, fournis par la « Cooperative Housing Foundation International » – jusqu’à US $ 4,300.00 et plus.

Les employés du Shelter Cluster – un groupe d’agences humanitaires ouvrant sous l’égide des Nations Unies sur les questions d’abris – ont tenté d’en évaluer le prix lors d’une récente étude, sans toujours y parvenir.

Selon un courriel de Regan Potangaroa, qui a travaillé dans l’une des études, à Ayiti Kale Je (AKJ), les agences hésitent à partager leurs données sur les coûts.

Jusqu’au commencement d’août, les agences ont construit 89 705 T-Shelters, dont environ 30 000 dans la région des Palmes, la zone côtière à l’ouest de la capitale.

Bien qu’il s’agisse d’une approximation, il est raisonnable d’évaluer à au moins 200 millions de dollars américains, et plus probablement à 300 millions de dollars américains, les montants qui auront été investis dans les T-Shelters, une fois leur construction terminée.

Si certains, comme Marc Roland Justal, le maire de Petit-Goâve, les appellent « cages à poules », des milliers de familles sont heureuses d’être sorties des camps de réfugiés sordides, surpeuplés et dangereux, même si elles sont entassées dans une unique pièce aux murs de plastique.

Cependant, les T-Shelters ne vont généralement pas aux Haïtiens les plus pauvres…

Les T-Shelters ne sont pas donnés à tous ceux qui en ont besoin. Dans la majorité des cas, seuls ceux qui détiennent un titre de propriété sur un terrain peuvent en recevoir.

Et, d’après les derniers chiffres de l’organisation internationale pour les migrations (Oim), dans une enquête publiée en août 2011, 62% des 634 000 personnes déplacées vivant dans les 1,001 camps – près de 400,000 personnes – étaient locataires avant le séisme.

Dans une enquête menée par les journalistes de AKJ, dans neuf camps de la région des Palmes, sur 20 personnes interrogées, 18 affirment qu’elles étaient locataires. De plus, la majorité affirme que, dans les camps où elles étaient réfugiées, les agences donnaient des abris aux propriétaires.

« Seuls les réfugiés qui sont propriétaires recevront un T-Shelter. Jusqu’à présent, on ne dit rien aux gens qui étaient locataires », confie Sam Brignol, un réfugié au camp du Parc Gérard Christophe, à Léogâne.

Brignol était au courant, parce que, à l’heure où cet article a été écrit, il vivait cette réalité. Dans son camp où s’entassent quelque 200 familles, la Fédération Luthérienne Mondiale (FLM) fournit à 100 familles ce qu’elle appelle des abris « semi-permanents » à propriétaires.

« Après ces 100 abris, la FLM entrevoit la possibilité de construire d’autres abris, cependant, nous ne faisons pas de promesses ».

Tout dépendra de la disponibilité des fonds et des sources de financement pour ce projet », écrivait Jean Denis Hilaire de FLM dans un courriel.

La question foncière

Tous les acteurs humanitaires – des agences de terrain jusqu’aux échelons les plus élevés de la commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (Cirh) – s’entendent pour dire que la complexité du régime foncier haïtien constitue l’un des principaux obstacles, sinon le plus grand obstacle.

Selon ce qu’expliquait à AKJ le Dr Louis O. Dorvilier, directeur de la FLM en Haïti, en plus de voir leurs matériaux de construction bloqués aux douanes haïtiennes depuis sept mois, les autorités nationales et locales de Léogâne n’ont pas réussi à mettre les terres à la disponibilité des campements temporaires, où l’on avait prévu de reloger les anciens locataires dans les T-Shelters.

« La FLM a travaillé, dès le début, avec les autorités locales et le gouvernement central pour trouver une solution durable pour la population », poursuit Dorvilier dans un courriel.

À Gressier, dans la région, où cinq hectares se sont libérés, il ajoute que la FLM construit, avec la participation des habitants, un « village intégré » avec des logements décents, des installations sanitaires, de l’eau, de l’électricité (sous forme d’énergie renouvelable, avec un centre communautaire, une aire de jeu et une petite zone commerciale.

La FLM voit le projet comme un exemple du principe « reconstruire mieux et reconstruire dignement ».

« On aurait pu tenter la même chose à Léogâne, mais il n’y a pas de terrain disponible », déplore-t-il.

Pour Jean-Christophe Adrian, directeur d’Onu-Habitat, l’organe de l’Onu responsable des campements et qui coordonne le « Shelter Cluster » - ce mécanisme qui devrait coordonner toutes les agences et organisations reliées aux questions d’abris -, la question de la terre est un obstacle majeur à chaque phase de reconstruction, du début à la fin.

« On ne donne un abri transitoire qu’à ceux qui sont déjà propriétaires de leur terre », observe-t-il.

Dans plusieurs zones du pays, à l’instar de la FLM, des organisations humanitaires tentent d’obtenir des terrains et de convaincre les autorités d’en faire des zones d’utilité publique pour les mettre à la disposition des victimes du séisme, mais souvent en vain.

« On n’a pas réussi », déclare Catherine Lefebvre, ancienne responsable du Shelter Cluster abri pour Petit-Goave et Grand Goâve, et pour le Sud-Est.

« Les autorités n’ont pas réussi à libérer de terrains pour les victimes du séisme. La communauté humanitaire ne peut pas agir, c’est aux autorités de décider. Donnez-nous des terres où construire, et l’on construira. C’est toujours les mêmes problèmes fonciers », s’indigne-t-elle.

Mais, ce n’est quand même pas impossible.

Le « village » à Gressier et d’autres camps planifiés, comme ceux de Tabarre Issa et de Corail Cesselesse, qui regroupent près de 6000 foyers, ne sont que quelques exemples de campements où le gouvernement est intervenu pour déclarer la terre « zone d’utilité publique » ou pour la louer de ses propriétaires.

Mais, si ce n’est pas fait correctement, la situation peut devenir chaotique.

En 2010, le gouvernement de René Préval a fait zoner 5000 hectares, principalement des terres privées, « utilité publique », de sorte que les acteurs humanitaires peuvent établir le campement de Corail-Cesselesse sur 42 hectares.

Bien qu’on n’ait rien annoncé pour les autres terrains, en quelques semaines les réfugiés se sont mis à arriver. Aujourd’hui, quelque 60 000 personnes se sont installées dans des tentes et des cabanes sur les collines arides et rocheuses.

« On ne peut imaginer à quel point la question de propriété foncière en Haïti a contribué à l’impact du séisme et à la complexité de la reconstruction » admet Priscillia Phelps, conseillère senior à l’appui à la reconstruction des logements et des quartiers de la Cirh, et co-auteure du livre sur le logement après séisme, de la Banque Mondiale.

En effet, le site web de la Cirh exhorte publiquement le gouvernement à adopter une attitude plus active dans le dossier de la propriété terrestre, et propose de « compléter ou d’abandonner les processus d’appropriation des terres déclarées d’utilité publique, et de mettre en place des procédures garantissant les droits de possession dans les quartiers recensés de manière non officielle. »

Les responsables devront s’armer d’une grande détermination et de beaucoup de volonté pour trouver une solution durable au problème foncier dans le pays, selon Bernard Ethéart, directeur général de l’institut national pour la reforme agraire (Inara).

Dans une interview accordée à AKJ l’année dernière, Ethéart a avancé que la plupart des terres en Haïti sont en réalité [des] propriétés de l’Etat, qui ont été volées ou données par les dictateurs et tyrans durant les derniers 200 ans.

Consulté par le gouvernement au lendemain du séisme, il a recommandé « la vérification des titres de propriétés par l’État et, entre-temps, l’interdiction de toutes transactions foncières ».

Sans surprise, ce conseil n’a pas encore été suivi. [akj apr 31/08/2011 11:30]

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* « Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est une initiative de partenariat médiatique en vue d’assurer des investigations journalistiques sur la reconstruction d’Haïti suite au séisme dévastateur qui a frappé le pays et fait 300.000 morts et autant de blessés.

Le Groupe Médialternatif est un des partenaires de cette initiative, à travers son agence multimédia AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), avec la Société d’animation et de communication sociale (Saks - http://www.saks-haiti.org/).

Deux réseaux participent également : le réseau des femmes animatrices des radios communautaires haïtiennes (Refraka) et l’association des médias communautaires haïtiens (Ameka), qui est composé de stations de radios communautaires à travers le pays.