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Une partie d’Haïti sous état de siège déguisé et au bord de l’étranglement

P-au-P., 12 févr. 04 [AlterPresse] --- Avec cinq nouvelles victimes enregistrées dans la nuit du 10 au 11 février à Saint Marc (Nord-Ouest d’Haïti), le bilan des violences ayant ponctué et suivi l’insurrection armée du 5 février dernier aux Gonaïves (quatrième
ville d’Haïti) s’élève désormais à 47 morts.

Ces cinq personnes ont été tuées à la faveur d’un raid effectué par des membres de la bande lavalas « Bale Wouze » (Nettoyer et arroser), aidée de la police, contre un groupe rival proche de l’opposition, le RAMICOS (rassemblement des militants conséquents), qui s’était retranché dans son fief (le quartier de la Siri), depuis la reprise de la ville par la police le 9 février.

Une vive tension a prévalu à Saint Marc pendant toute la journée du 11 fevrier
où des actions punitives contre de présumés partisans de l’opposition continuaient à être opérées par les membres de « Bale Wouze ».

Outre les morts, les dégats matériels sont considérables. Une vingtaine de
maisons ont été incendiées. Le local de Radio « Tête à Tête », une station
réputée proche de l’opposition, a subi le même sort. Plusieurs travailleurs
de la presse sont en difficulté.

Une situation tout aussi préoccupante prévaut depuis plus de 72 heures au
Cap-Haïtien (deuxième ville d’Haïti).

Pas de téléphone, pas d’électricité, rues jonchées de barricades enflammées,
des stations de radio cessant d’émettre par crainte de représailles, des
journalistes dans le maquis, les transports paralysés, le grand commerce,
les écoles et les banques fermés, plus d’une dizaine de maisons ainsi que
des banques de borlette (loterie populaire) appartenant à de présumés
partisans de l’opposition incendiés.

Des partisans armés du pouvoir entreprenant ces actions punitives auraient
enjoint à tous ceux-là qui s’opposent à Jean Bertrand Aristide de quitter la
ville dans les meilleurs délais, selon un dirigeant de l’Initiative
Citoyenne au Cap-Haïtien, Frandley Julien.

Bref, la métropole du nord d’Haïti présente ces derniers jours l’allure
d’une ville sous couvre-feu et au bord de l’étranglement. L’Association
Nationale des Entrepreneurs de l’Artibonite a dit avoir écrit à l’Union
Internationale des Télécommunications (UIT) pour dénoncer le fait que la
compagnie nationale des télécommunications (Téléco) ait décidé de bloquer
les communications dans la ville pour des raisons politiques ; ce que
l’association assimile à un « crime contre l’humanité ».

Les Cayes, troisième ville d’Haïti, au sud, connaît un climat de répression
similaire. Plusieurs journalistes indépendants se sont mis à couvert pour
échapper à la persécution des partisans du pouvoir.

Le tableau n’est pas différent à Grand Goâve et à Petit Goâve (Sud) où des
membres de l’opposition et journalistes font l’objet de persécutions
exercées par des militants et des autorités lavalas.

A Mirebalais (Centre), deux membres de l’opposition ont été enlevés par des
hommes encagoulés.

A Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, une manifestation
anti-gouvernementale de l’opposition sociopolitique prévue ce 12 février a
dû être annulée en raison de violences exercées par des partisans du pouvoir
sur les manifestants présents au point de ralliement, la Place du Canapé
Vert située à environ deux kilomètres du Palais National.

Au moins quatre personnes ont été blessées dont un par balles, selon un
bilan provisoire présenté par la plateforme démocratique de l’opposition de
la société civile et de l’opposition lors d’un point de presse ce jeudi.

Cette accentuation de la répression intervient dans un contexte d’extrême
polarisation. Alors que l’opposition a pris ses distances avec
l’insurrection armée en progression dans le pays, le gouvernement continue
de lui en attribuer la paternité. Ce qui semble autoriser toutes les
dérives.

10 février 2004, 21 heures, des véhicules sont en attente sur la route de
Bon Repos, banlieue nord située à 20 kilomètres de la capitale, derrière des
barrages dressés par des chimères (oasifs recrutés par le pouvoir dans les
quartiers populaires pour les viles besognes). Ces derniers fouillent
conducteurs et véhicules avant de leur autoriser le passage.

Au moment de ces fouilles apparaît une pick-up Nissan de couleur verte et
immatriculée SE-2297. A son bord, une dizaine d’hommes en armes et en tenue
de « léopard » (uniforme d’une ancienne division du même nom des anciennes
Forces Armées d’Haïti). Ces individus armés fraternisent avec les chimères.
Les automobilistes restent stupéfaits.

Le président Jean Bertrand Aristide ne parait pas lésiner sur les méthodes
et les moyens pour neutraliser à la fois la contestation pacifique
grandissante de son régime et l’insurrection armée amorcée le 5 février
dernier, aux Gonaïves, par ses anciens partisans de l’ancienne « armée
cannibale ».

Cependant, si « cette politique de la terre brulée » réussit à installer une
« paix des cimetières » dans plusieurs villes d’Haïti. Elle contribue tout
aussi bien à éroder davantage l’image du régime et à provoquer le ras-le-bol
des citoyens.

Le gouvernement a repris le 9 février dernier le contrôle de trois villes du
Nord-Ouest (Saint Marc), du Sud-Ouest (Grand Goâve) et du Nord (Dondon) et
du nord d’Haiti. Mais huit autres villes restent toujours aux mains des
rebelles. [vs apr 12/02/2004 12:44]