Une cérémonie d’adieu a lieu à la mémoire de Jean-Claude Bajeux, écrivain, poète, critique littéraire, fondateur du Centre OEcuménique des Droits Humains (CEDH), ex-Ministre de la Culture, ce 10 août 2011 à Port-au-Prince.
Elle se déroule à l’Ange Bleu (angle rue José Marti et Jean-Paul II) à 9:00 am, tandis que la famille reçoit à partir de 7:30 am
AlterPresse reprend le texte contenu dans le feuillet-programme de la cérémonie, qui est une lettre de Pierre Bonin, « vieil ami » canadien de Jean-Claude Bajeux à tous ceux qui étaient proches du défunt.
Chers ami-e-s de Jean-Claude et Sylvie Bajeux,
J’apprends à l’instant que Jean-Claude s’est envolé durant la journée vers une grande
lumière, un espace de vérité, de justice et d’amour. Pour moi, c’est un prophète
toujours en quête de justice, marchant sans relâche, alertant les humains de tous
horizons, à l’instar des prophètes de l’ancien Testament.
Nul ne peut servir deux maîtres était le titre de sa dénonciation d’Aristide en
janvier 2001 :
« … le mensonge officiel se trouve lié à la conviction insolente que le pouvoir appartient
« nèt ale » à un « petit reste », mais contrairement au sens biblique attaché au mot
« anawim », « les pauvres de Yahvé », le petit reste ici, ce sont les « plus malins »,
analogue au petit groupe de dirigeants décrit par Dostoïevski dans la Légende du Grand
Inquisiteur, qui avaient trouvé plus intelligent d’accepter les offres du démon pensant
que Jésus avait été bien sot d’avoir refusé. »
Dix ans plus tard, Jean-Claude tonne encore
« A moins que tous et chacun décidions de nous opposer à ce bal de ripoux et qu’on
montre en clair, selon la loi, comment l’illégalité et l’impunité transforment en coquins de
jeunes représentants et serviteurs de l’Etat et qu’avant toute chose, on proclame le réveil
de la dignité, l’épiphanie de l’aube. »
Jean-Claude Bajeux, Ces fruits amers de l’illégalité, 7 janvier 2011
Avec une compagne exceptionnelle comme Sylvie, ils demeureront dans notre esprit
un couple vivant, debout, persévérant au delà de tous les obstacles. Votre
engagement nous redonnait courage, pour surmonter des multiples défaites et ne
jamais se décourager. Un homme aimable, chaleureux, d’une générosité sans bornes.
Un intellectuel exigeant, d’une immense culture, à la plume incisive certes, mais aussi
un guide accueillant.
« …la boussole qui me guidait dans l’activité tumultueuse du CEDH est restée la même
dans ce crépuscule infertile. Toujours et encore, on y rencontre l’humanisme chrétien du
personnalisme, la recherche de la paix et la justice, et la Constitution haïtienne du 28
mars 1987 qui a proclamé, de façon réelle et prophétique, les obligations de l’Etat et des
gouvernements de respecter la loi, les droits des citoyennes et des citoyens, de donner
accès à tous « san pas pou ki » aux services communautaires, leur assurant santé et
savoir. »
Jean-Claude Bajeux, idem, 7 janvier 2011
Jean-Claude était un homme de paix, un ferme opposant à la violence :
« La refondation de 1804 ne peut se faire qu’en faisant le contraire de ce qui avait été
nécessaire en 1804 : il faut abandonner le chemin des armes, il faut enterrer les armes
et leur dire adieu, il faut instaurer la grève de la violence. Il faut que la justice prononce
ses verdicts et par là rendre inutile le recours aux armes. Il faut dire le crime par son
nom et appeler les voleurs, les menteurs, les incendiaires, les assassins et les violeurs par
leurs noms, tels qu’ils sont énumérés dans les articles du code pénal. Il faut donc
sanctionner aujourd’hui ces fusillades qui ont emporté tant de monde depuis 1804,
Capois-la Mort et Dessalines y compris. Ce n’est plus le temps de couper les têtes, c’est
au contraire, le moment de remettre les têtes en place ; ce n’est plus l’heure de mettre le
feu, car, pour notre survie, il est venu le temps de planter et de construire un nouveau
monde, en soumettant ce monde-là, ces hommes, ces femmes, à l’ordre du plan, de la
raison, de l’écriture ».
Jean-Claude Bajeux, Les crucifiés de l’histoire, Pâques 2004.
Partisan d’une « vision globale et intégrante de la justice »…JC Bajeux nous dit que
« …pour exercer cette justice, au niveau où elle veut être servie, il faut regarder, en
même temps, au-delà de ce monde, le spectre lumineux d’une justice qui devient, est
devenue, se doit de devenir, le moteur d’une société civilisée, la conscience d’une société
humaine, et le centre d’un immense réseau de services publics. C’est de cette réalité que
nous parlons, quand nous parlons d’une vision intégrale de la justice. »
JC Bajeux : « Pour une vision intégrale de la justice ». Discours d’ouverture du
11ème Forum citoyen pour la réforme de la justice, 5 septembre 2009.
Convaincu que l’Etat de droit et la construction démocratique nécessitent
prioritairement la réforme de la justice, Jean-Claude Bajeux mettra toutes ses
dernières énergies à la relance du Forum citoyen.
Jean-Claude nous guidera encore longtemps, il y a tant à découvrir dans ses écrits
militants :
« Cet arrachement du marécage où nous sommes englués demande, de manière
antinomique, l’adhésion collective à une constellation de valeurs qui devrait nous qualifier
comme société civile. Des valeurs à vivre et à réaliser et j’en cite cinq : l’égalité, la loi, la
dignité humaine, le savoir, la solidarité. Et de ces cinq, je salue la loi dans un monde dont
la justice serait la clé, la porte, le seuil et la lumière »
JC Bajeux, intervention pour le secteur des Droits Humains à la
présentation des travaux pour un Nouveau Contrat Social , organisé par le
groupe des 184, le 15 janvier 2005 au Karibe.
Salut mon vieil ami Jean-Claude
Pierre Bonin
Laval, Québec, 5 août 2011