Correspondance
Par Weibert Arthus
Paris, 5 févr. 04 [AlterPresse] --- Le rapport du Comité indépendant de réflexion et de propositions sur les relations franco-haïtiennes, rendu public à la fin du mois de janvier, "concerne le devenir des relations franco-haïtiennes dans leur ensemble", estiment ses auteurs.
Le document touche différents domaines d’activités dans lesquels la France pourrait s’impliquer afin de "contribuer à un avenir distinct et en tout cas meilleur [en Haïti]", souligne, en guise d’avertissement, le Comité présidé par le philosophe francais Regis Debray.
Le Comité se démarque de la conjoncture et évite tout sujet qui fâche. Son rapport, soumis au ministre français des affaires étrangères, Dominique de Villepin, est présenté comme un "acte d’amitié envers tout un peuple".
25 propositions
Dans son rapport, le Comité indépendant de réflexion et de propositions sur les relations franco-haïtiennes propose avant tout le "réexamen des sanctions européennes" à l’égard d’Haïti, reconduites en décembre 2003.
Sur le terrain diplomatique, le Comité propose la concertation entre la France et les Etats-Unis, la France et l’Allemagne sur le dossier d’Haïti, la mise à l’étude d’une force de paix avec le Canada et la Caricom, la médiation de l’Organisation Internationale de la Francophonie estimant "qu’un voyage à Port-au-Prince du Président de l’OIF, Abdou Diouf, n’aurait que des avantages surtout s’il s’effectuait après concertation préalable avec le Président sud-africain Thabo Mbeki."
Le Comité propose également le renforcement de l’Ambassade de France en Haïti, notamment en incitant les agents nommés dans les différents services français en Haïti à "apprendre le créole, principal moyen de contact avec le pays profond" avant leur départ en poste, ou, si non, sur place.
Dans le domaine de l’Etat de droit et des Institutions, le Comité propose à la France de poursuivre l’effort de coopération judiciaire avec Haïti à travers l’Ecole de magistrature (EMA), l’Institut médico-légal (IML), par un jumelage judiciaire entre tribunaux français et haïtiens, et par le prolongement du projet Police, inauguré en 1997, et qui est censé prendre fin à la fin 2003.
Le Comité fait écho de la proposition du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des Droits de l’Homme en Haïti, Louis Joinet, qui avait plaidé, en avril 2003, pour "l’ouverture d’un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme à Port-au-Prince, comme il en existe dans un certain nombre de pays en crise."
Dans un plus court terme, le Comité suggère à la France de se charger de la réparation, à hauteur de 100 000 euros, des locaux et matériels de l’Université d’Etat d’Haïti saccagés par des bandes armées [proches du pouvoir], le 5 décembre 2003.
Le Comité propose aussi la mise à niveau de l’état civil soutenant que "entre 40 et 60% de la population ne serait pas inscrite à l’état civil, ou le serait de façon irrégulière"
Au niveau de l’économie et de la coopération, le Comité avance l’idée de faire des Antilles françaises, la Guadeloupe en tête, "le porte-avion pacifique de la solidarité française et européenne" et d’améliorer la concertation préalable à la veille des réunions internationales auxquelles doivent participer les exécutifs des trois départements français d’Amérique afin d’avoir une meilleure lisibilité de la politique française dans les Caraïbes.
Le Comité Debray propose la poursuite du jumelage entre communes françaises et communes haïtiennes, la création d’un fonds d’investissement spécial pour des partenariats privés, l’appui au programme de développement intégral, initié et conduit par les paysans eux-mêmes, à l’exemple du programme de développement rural de Pandiassou (Centre) mis sur pied par les Petits Frères de l’Incarnation ; la revitalisation du Plateau Central par la mécanique agricole, projet mis au point par le service de Coopération de l’Ambassade de France en Haïti.
Le Comité suggère également la construction d’une nouvelle route de l’amitié reliant Port-au-Prince, Hinche et Cap-Haïtien. Pour cette réalisation, la France pourrait proposer un financement bilatéral dans le cas de blocage de l’aide multinationale.
Dans le domaine de l’éducation et de la culture, le Comité conseille de reconstruire l’Institut français d’Haïti, de compléter les manuels scolaires en incluant dans les programmes d’histoire des chapitres sur la colonisation et la décolonisation, notamment les questions liées à la Traite négrière, à l’esclavage et aux luttes anti-esclavagistes.
Il faudrait, selon le Comité, renouveler le programme d’appui à l’éducation primaire et fondamentale, alimenté par la France à hauteur de plusieurs millions de francs, qui doit s’interrompre en août 2004.
Le Comité Debray soumet la proposition de création d’un conseil culturel franco-haïtien qui aurait pour mission de "signaler, stimuler ou inventer ce qui, dans le domaine de la culture pourrait être fait en France pour Haïti, en Haïti pour la France sur divers sujets : du regroupement d’archives à l’accueil de thésards, en passant par expositions, émissions, jumelages-radio, colloques."
Les dernières propositions du Comité concerne la mobilité des étudiants, l’encouragement à la recherche universitaire, le renforcement des programmes de numérisation pour la préservation des collections des archives et des bibliothèques, et enfin l’appui au sport en Haïti.
Le nom d’un ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), Pierre Michel Joassaint, a été évoqué par le Comité, en vue d’assurer le suivi d’un certain nombre de propositions.
Quand à la restitution de la dette de l’indépendance, le Comité, qui révèle que cette question était "en dehors de [son] mandat", indique avoir proposé à ses interlocuteurs "la formation d’une commission mixte d’historiens pour établir l’enchaînement des faits et leurs circonstances exactes", mais aucune suite n’a été donnée par la partie haïtienne.
Estimant que "pour n’importe quel patriote haïtien, cette vieille affaire suscite incontestablement un pincement au coeur", le Comité affirme que ses propositions sont inscrites dans une "logique de solidarité et non de remboursement". Pour le Comité indépendant de réflexion et de propositions sur les relations franco-haïtiennes "[Haïti] est en zone de solidarité prioritaire".
Le travail du Comité a été inauguré le 7 octobre 2003 par le ministre français des affaires étrangères, Dominique de Villepin. Constitué de 14 membres, le Comité qui a remis son rapport avec quelque retard [et non un mois, comme indiqué par erreur dans un précédent article] a auditionné plus d’une centaine de personnalités à Paris, en Haïti, en République Dominicaine, en Guadeloupe et en Martinique. [wa gp apr 05/02/2004 23:50]