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Haiti : Inconvenances et comportements intolérables

Par Robert Paret *

Soumis à AlterPresse 2 juillet 2011

Il y a des inconvenances et des comportements qui dérangent à un point tel qu’ils vous révoltent et vous mettent en grogne.

Tous ceux qui fréquentent, de très tôt le matin, ou de très tard l’après-midi, l’une des principales artères de communication de la Capitale ou de ses environs, sont touchés des mêmes ennuis qui provoquent les mêmes tracasseries.

Cependant, à l’évidence de l’inadaptation de nos rues à un trafic en perpétuelle croissance et aux entraves causées par les multiples nids de poule qui parsèment les chaussées, vient s’ajouter l’anarchie généralisée provoquée par des chauffeurs indisciplinés. Inconvénients aggravés par la déambulation désordonnée et insouciant de piétons qui n’ont cure des règles élémentaires de prudence.

On comprend, dès lors, le désappointement des agents de la police routière préposés à garantir une bonne fluidité de la circulation lorsqu’ils sont pris au piège de ce micmac. Néanmoins, on admettra que leurs interventions, parfois inopportunes, provoquent des bouchons interminables. En laissant fonctionner normalement les sémaphores, lorsqu’ils existent, leur tâche s’en trouverait facilitée.

Ce désordre généralisé est, certes, le résultat navrant d’une pratique coutumière, développée et tolérée depuis de nombreuses années, qui nous enveloppe dans un abêtissement puéril, sans que nous n’arrivions à dégager les conséquences néfastes qui en découlent. Si on considère seulement le carburant ainsi volatilisé en pure perte, en faisant du surplace, et le temps perdu dans ces interminables embouteillages, on conviendra que cette situation a des effets négatifs sur le rendement individuel et, conséquemment, des répercussions considérables sur l’économie nationale.

Ce phénomène prend une toute autre dimension lorsqu’il reflète, en grande partie, l’état d’esprit qui anime toute une communauté, prise dans la tourmente de l’anarchie. Car, il est reconnu que l’ordre et la discipline n’ont jamais été des principes qui guident nos actions.

Cette vérité est palpable, et tous les jours nous en faisons l’amère expérience lorsque nous empruntons les rues qui desservent nos principaux centres d’activités.

En ce qui me concerne, le tronçon Thomassin-Pétionville demeure la voie la plus fréquentée, une voie incontournable, car aucune autre ne m’offre une alternative de dégagement qui facilite mieux mes déplacements. Et, comme elle est empruntée par des milliers d’habitants de la région, on s’explique bien son perpétuel encombrement.

Cette occupation excessive en fait un théâtre en plein air, où les scènes les plus surprenantes se déroulent dans l’informel et l’improvisation absolue : arrêt brusque d’un tap-tap en pleine rue, sans avertissement préalable, pour embarquer un passager, stationnement aux trois-quarts de la chaussée d’un camion-citerne tombé en panne, sans feux de détresse, dépassement intempestif d’une file de voitures par des chauffards imprudents, en toute insouciance, ect.

Et quand ces désordres ont lieu aux heures de pointe, c’est la pagaille.

A ce sujet, Il me vient à l’esprit une anecdote qui lie cette situation d’anarchie au comportement grotesque d’un citoyen pourfendeur de vérité. L’histoire est, somme toute, banale, cependant elle est révélatrice d’un atavisme rétrograde qui mystifie la société et l’enferme dans de fallacieux crédos de compétence et d’honorabilité.
I

Il y a peu de temps, j’ai fait la connaissance d’un homme que m’avait présenté un ami, à l’un des restaurants de Pétionville.

Après un brin de conversation au bar, autour d’un verre, Il nous invita à partager sa table. Une fois la commande placée, la conversation s’engagea spontanément sur la situation globale du pays. Chacun émettait son opinion sur la conjoncture actuelle et les perspectives d’avenir.

L’homme, qui paraissait être bien imbu des affaires politiques et sûrement impliqué dans les hautes sphères de l’Etat, orienta la réflexion sur un point qui paraissait particulièrement l’intéresser et lui semblait être d’un apport considérable, indéniable. Pour remédier à cette perpétuelle dégradation dans laquelle on s’engouffre, tout devrait, à son avis, s’articuler autour de la création d’emplois, seul critère pour l’élimination de cette pauvreté qui nous tient dans ses serres.

Sa verve était si enthousiaste et envahissante que nous eûmes très peu l’occasion de réagir à ses commentaires, préférant lui accorder, volontiers, le monopole de la parole. Ce qu’il semblait, sans retenue, apprécier, d’autant plus qu’il tenait à nous montrer toute la mesure de ses connaissances et de ses compétences dans bien d’autres domaines.

Il s’évertuait à nous convaincre des principes à adopter pour corriger les tares sociales, avec tout l’emballement frénétique des politiciens hâbleurs qui croient, seuls, détenir la formule de la réussite.

J’avoue avoir eu plaisir à le suivre, durant quelques minutes, même si son air pédant et hautain me déplaisait par moment. Le temps passa ainsi, accrochés, nous étions, aux lèvres de ce brillant orateur qui allait d’un ton ferme et direct, comme pour finir de nous convaincre de la justesse de ses propos.

En conclusion, Il ressortait que nous devrions procéder à de grands changements sur les plans politique et social, en changeant la mentalité rétrograde de la plupart des Haïtiens. Pour y arriver, il arguait que l’exemple devait venir d’en haut.

Après plus d’une heure d’échanges, nous nous sommes séparés, en projetant de nous rencontrer dans un proche avenir. Avant mon départ, mon ami eut le temps de me glisser au creux de l’oreille que cet homme était bourré d’oseille et qu’il se préparait à investir dans l’industrie touristique. Peut-être, ajouta-t-il, pour m’aiguillonner, aura-t-il besoin des services d’un architecte comme toi. Bof !

Le hasard a voulu que nous nous retrouvions plus tôt que prévu, seulement deux jours après notre première rencontre.

Les circonstances et le cadre, certes, n’étaient pas les mêmes, car nous étions pris dans l’embarras d’un trafic des plus serrés, un mercredi, aux environs de 7:00 du soir.

Alors que je suivais lentement et patiemment la longue file formée par les voitures se dirigeant vers Thomassin, je sentis que j’étais brusquement abordé sur ma gauche par un véhicule. Celui-ci dut subitement s’arrêter en double lignes, vu qu’un autre véhicule arrivait en sens contraire.

Un coup d’œil instantané ne me permit pas de reconnaitre, sur le coup, l’indiscipliné intrus. Ce n’est qu’à la seconde d’après, que je me rendis compte qu’il s’agissait de la récente connaissance rencontrée à Pétionville.

Bien engoncé dans le siège d’une superbe berline rouge grenat, j’ai vite compris qu’il tentait de se faufiler indûment dans le cortège des véhicules immobilisés, pour tenter de se frayer un passage. Un subtil regard sur sa droite, lui permit de me voir.

Cependant, embarrassé d’être pris en flagrant délit d’indiscipline, il feignait de ne pas me reconnaitre et faisait de grands gestes comme pour simuler une urgence, une façon de justifier son empressement. Pour le narguer et l’enfoncer davantage dans son embarras, je lui fis un sourire narquois et un grand salut de la main, une façon de lui montrer que, moi, je l’avais bien reconnu.

La déduction logique, que je faisais en la circonstance, est que "Monsieur" était assurément pressé de regagner son bercail des hauteurs de Pétionville, sans souhaiter endurer la peine de tous ceux qui, patiemment, lancinaient sur place, depuis plus d’une heure d’horloge, en ce jour béni de Dieu.

De plus, déambulait sans interruption, dans un mépris déconcertant, une chaine de sans-gênes, malins récalcitrants ; de tous plumages, même de certaines connaissances ou d’amis pour qui j’éprouve de l’estime.

Dans ce tableau, on peut comprendre la frustration de ces respectueux citoyens, soucieux de l’ordre et la discipline, de se voir ainsi railler par un clic de malappris. C’est une situation qui me met en boule, et face à laquelle je demeure cruellement impuissant.

A force d’endurer ce genre de contraintes, et bien d’autres tout aussi intolérables, mon cœur, un jour, fatalement, s’en ressentira.

Ce témoignage met en cause le comportement irresponsable d’un citoyen.

Il le condamne sans rémission, tenant compte de la notoriété dont il jouit dans la société. Et la question préoccupante à se poser est : Comment un individu, ayant une telle formation académique et une telle carte de visite, peut se laisser aller à de telles dérives ?

La réponse est tout aussi simple : « l’habit ne fait pas le moine ».

Dans notre société, cette catégorie d’individus est légion. Ils se retrouvent dans tous les milieux et à toutes les sauces. Leur réputation repose, malencontreusement, sur la naïveté de certains et la crédibilité que leur confère l’obtention d’un diplôme académique, décroché le plus souvent en terre étrangère, et sur le prestige équivoque dont ils sont revêtus.

Tout le reste n’est que fanfaronnade et accessoires d’apparat. Et comme le disait, avec justesse, cet étonnant démagogue, bluffeur de son état, sans y croire : L’exemple doit venir d’en haut. Le dilemme est que, d’en haut, la plupart de ces "élus" flottent sur leur nuage. Et vogue la galère.

Ainsi va notre société. Plus on se gave de discours pompeux, mieux on s’assure une place au soleil.

On pourrait comprendre, sans l’admettre, encore moins sans le cautionner, le comportement indiscipliné de certains individus qui n’ont, comme horizon et référence, que le désordre qui les encadrent journellement. Ce sont, le plus souvent, des incultes qui se sont formés sur le tas et ne se sont jamais frottés aux normes de la modernité.

Cependant, que penser de ces privilégiés qui ont eu l’avantage de vivre, à l’extérieur, dans des milieux évolués ?

Dire que des étrangers résidant dans le pays, appartenant même, à des organisations prestigieuses ou diplomatiques, se complaisent dans de telles déviances ! C’est avec raison que l’on dit : « l’homme est fonction de son milieu ».

Ce récit est une histoire entre milles, dont la trame pourrait être alimentée par des faits qui se déroulent dans différentes sphères de notre société.

Quel que soit le milieu, les réflexes et les comportements de la plupart des citoyens coïncident, en absence d’un projet national commun, dans un même objectif : Un sauve-qui-peut individuel à travers les aléas d’une survie précaire.

Nous vivons dans une société de chen ak chat, c’est-à-dire, d’ennemis prêts à s’entre-déchirer, une société mankemelanj, c’est-à-dire, de brasseurs d’affaires impénitents.

Dans ce capharnaüm, très peu de place est laissé à l’initiative innovatrice et au mérite personnel, de telle sorte que les plus entreprenants et les plus courageux se trouvent pris au piège de sordides projets.

N’est-ce pas la cause de la perte de ce noble chevalier que fut Guiteau Toussaint ?

Contact : paretrobert@yahoo.fr

* Architècte