Par Sylvestre Fils Dorcilus
Hinche (Haïti), 22 juin 2011 [AlterPresse] --- Des milliers de paysannes et paysans ont marché pendant plusieurs heures, le mardi 21 juin 2011, dans plusieurs rues de la ville de Hinche (chef-lieu du département géographique du Plateau central, à plus d’une centaine de kilomètres au nord-est de la capitale), a observé l’agence en ligne AlterPresse.
« L’accaparement des terres du pays, un danger pour la souveraineté agricole » : tel a été le thème retenu par les organisateurs de la marche, déroulée pacifiquement sous la protection d’une patrouille de l’unité départementale pour le maintien d’ordre (Udmo) de la police nationale d’Haïti (Pnh).
Cette initiative de plusieurs regroupements et plateformes d’organisations sociales, dont des organisations de femmes et de défense de droits humains, avait, entre autres objectifs, de promouvoir la biodiversité agricole en défendant les semences locales.
« Il faut que les autorités gouvernementales du pays puissent enfin assumer leurs responsabilités face à la dégradation notre agriculture. Il faut qu’il y ait une vraie politique agricole », ont scandé les manifestantes et manifestants.
A travers cette mobilisation, les organisateurs de la manifestation entendaient plaider en faveur de dispositions institutionnelles susceptibles d’assurer la souveraineté alimentaire, la réfection de l’environnement et la construction d’une nouvelle Haïti par une exploitation harmonieuse des terres agricoles dans le pays.
« Nous sommes tous des paysans de plusieurs départements géographiques du pays, qui sont venus participer à cette marche pour dénoncer la politique agricole du gouvernement haïtien », a indiqué le porte-parole du Mouvement des paysans de Papaye (Mpp), Chavannes Jean-Baptiste.
Les manifestantes et manifestants paysans portaient, pour la plupart, des chapeaux en paille et étaient vêtus de maillots de couleur rouge, sur lesquels étaient inscrits : « vive l’agriculture haïtienne ; vivent les semences locales ; vive la nourriture de chez nous, etc. »
Exprimant leur indignation face au mode de gestion agricole du pays, mis en place par les autorités centrales qu’ils qualifient d’« irresponsable », les milliers de manifestants, en grande partie des agricultrices et agriculteurs, ont plaidé pour l’implantation d’une politique agricole adaptée à la réalité haïtienne.
« Il faut une politique agricole adaptée à la réalité de notre pays. Il faut que les dirigeants cessent d’importer les denrées agricoles ainsi que les semences étrangères dans le pays », exigent-ils, en criant haro sur les semences et produits importés.
Le processus d’invasion des terres nationales, par des investisseurs privés partout dans le pays, constitue une menace pour les populations locales, privées de leurs moyens de vie et de subsistance, a témoigné Camille Chalmers, de la plateforme de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda), présent à la mobilisation du 21 juin 2011.
Comme d’autres manifestants, Chalmers s’est prononcé pour une politique agricole cohérente, reflétant les réalités nationales, en vue, dit-il, de garantir la souveraineté agricole et l’indépendance du pays.
« En déstructurant les économies locales, l’afflux sur le marché local de denrées agricoles, produites dans les pays du Nord de manière intensive avec d’énormes moyens mécaniques, ruine l’agriculture vivrière respectueuse des êtres humains », a déploré Jean-Robert, agriculteur, résident à Papaye, section communale à environ une dizaine de kilomètres à l’est de Hinche.
Plusieurs milliers de fermes agricoles disparaissent chaque année dans le pays. Si cette tendance se perpétue, il n’y aura, bientôt, plus de paysans dans nos campagnes, ont souligné les agricultrices et agriculteurs ayant soutenu la mobilisation du 21 juin.
De plus, l’agriculture paysanne est progressivement remplacée par une agriculture industrialisée.
« Chaque jour, nous voyons des voisins abandonner le travail agricole, faute de revenus décents. De jeunes paysans, désireux de pratiquer l’agriculture, se retrouvent très souvent découragés par le manque de perspectives économiques, le prix prohibitif des terres et une situation de campagnes vidées de leurs agricultrices et agriculteurs », a fait remarquer Jérôme, planteur depuis 25 ans.
« Nous sommes convaincus qu’il n’y aura pas de futur viable pour nos sociétés, sans paysans vivant dignement de leur production. Par cette initiative, nous lançons donc un signal d’alarme et appelons au regroupement des forces pour sauver l’agriculture paysanne dans le pays », souhaite Chavannes Jean-Baptiste.
Il faut une réforme en profondeur dans la politique agricole en Haïti. D’autres politiques agricoles et alimentaires, plus légitimes, plus justes, plus solidaires et plus durables, sont nécessaires dans le pays pour répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire, ont fait valoir plusieurs agricultrices et agriculteurs ayant pris part à la mobilisation du 21 juin 2011.
Mise en branle à Papaye aux environs de 10:30 am locales (15:30 gmt), la marche a pris fin sur la place Charlemagne Péralte de Hinche vers 1:00 pm (18:00 gmt), avec notamment une distribution symbolique de semences agricoles locales, de plantules fruitières et forestières aux agriculteurs en signe d’encouragement à la production nationale. [sfd rc 22/06/2011 17:40]