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Haïti a-t-elle fait le « choix » de mourir de faim ?

Mini-enquête

P-au-P, 17 juin 2011 [AlterPresse] --- Haiti semble avoir fait le « choix » de mourir de faim ou de « vivre » continuellement dans la dépendance alimentaire selon ce qui ressort d’une mini-enquête conduite par AlterPresse.

« On a l’impression de devoir dépenser beaucoup plus pour la nourriture quand on perçoit beaucoup plus en terme de salaire. Et l’avenir est plutôt incertain. Aujourd’hui vous avez un job, mais en tant que contractuel (…) La sécurité de l’emploi n’est pas garantie. Et c’est pratiquement impossible de faire des économies ».

Ces propos sont ceux d’un père de famille, qui dit préférer garder l’anonymat. Il cumule deux emplois et semble vivre entre la contradiction et le doute.

Plus de 3 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire dans le pays, selon Gary Mathieu, directeur de la coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa) qui dit ne pas écarter un chiffre beaucoup plus élevé.

La Cnsa est actuellement en train de finaliser une enquête qui doit être publiée en aout prochain, annonce t-il. En attendant d’autres sources avancent près de 5 millions de personnes touchées par l’insécurité alimentaire, soit la moitié de la population.

Contexte fragile

Selon la Cnsa, le nombre de jours de travail pour acquérir le panier alimentaire a augmenté pour les ménages pauvres, passant de 22 jours en 2009 à 27 jours en 2011, alors que le revenu de ces ménages a diminué d’environ 600 gourdes.

L’épidémie de choléra a eu des effets négatifs sur la sécurité alimentaire, notamment dans l’Artibonite, sans oublier l’ouragan Thomas (fin 2010) qui a détruit une partie des cultures dans le Sud du pays. La saison des cyclones fait craindre le pire des scénarios.

Mais pour Camille Chalmers, responsable de la plateforme de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda), organisation chef de file dans la lutte pour la souveraineté alimentaire en Haïti, le problème est plus complexe.

« La question de la faim est liée à des choix notamment des politiques publiques, le choix de produire et d’utiliser la terre à des fins spécifiques. Par exemple en Haïti on sait qu’il y un combat historique entre l’exigence qui est faite pour les denrées d’exportation et la culture alimentaire », explique Chalmers.

Selon lui, la souveraineté alimentaire implique de pouvoir contrôler ses ressources et les utiliser suivant ses besoins, et non uniquement de s’approvisionner en aliments suffisants. Or, le pays d’abord contraint à « une économie de dessert : café, sucre, cacao », est réduit à la « rente et la spéculation », alors que les classes dominantes ont fait main basse sur les terres.

« Les paysans haïtiens sont placés dans une situation d’extrême pauvreté et [cela] explique qu’ils s’attaquent à des ressources forestières », relève t-il.

« République paysanne », république entravée

Selon un rapport du Bureau International du Travail(BIT) paru en 2010, 72% de la population active en milieu rural travaille dans l’agriculture. Ce secteur a une part de 8% dans le budget national et les agriculteurs n’ont pas accès aux crédits.

« Le cœur de la question est la relation pathologique entre l’État et la nation. Un État qui s’est construit contre la nation, un État qui s’est construit contre la paysannerie et qui n’a jamais reconnu la paysannerie comme force motrice et un élément central dans le pays », explique le responsable de la Papda.

Outre les rapports entre les différents gouvernements et la paysannerie, Chalmers critique en même temps certains choix économiques à l’image de l’ouverture du marché aux produits d’importation et l’endettement.

« La question des tarifs douaniers… a affecté grandement la production alimentaire en Haïti et a entrainé la pauvreté et le chômage en milieu rural », souligne l’économiste.

Les premiers accords ayant amené à la dépendance alimentaire du pays ont été signés à partir de 1983 durant la dictature de Jean Claude Duvalier, rappelle Chalmers.

Les choses se sont durcies depuis 1995 quand le parlement haïtien a permis que « 80% des produits (alimentaires étrangers consommés en Haïti) entrent sur le marché, libre de taxe en douane » et favorisé « une détaxation brutale sur des produits stratégiques comme le riz, le mais et les poissons », ajoute t-il.

Par ailleurs en dépit des annonces faites au lendemain du séisme, le pays est toujours endetté. Il faudrait ainsi, pour Camille Chalmers, obtenir l’annulation totale de la dette qu’il juge « illégitime, illégale et odieuse » et renégocier avec tous les mécanismes de financement international.

Il faudrait trouver « des stratégies qui permettent au pays d’avoir accès à des fonds qui ne l’obligent pas à appliquer des politiques anti-paysannes » et n’impliquent pas le dumping, prône t-il.

Mais en dépit de la nécessité de rupture, d’autres menaces et défis semblent se profiler.

Le spectre Monsanto

L’introduction en Haïti de semences produites par la multinationale Monsanto suscite de vives craintes au sein des organisations paysannes. Récemment une pétition a été signée par des personnalités haïtiennes et internationales contre les produits de cette compagnie et pour demander au nouveau gouvernement de les interdire.

Cette pétition fait suite à des mobilisations en milieu rural contre les semences Monsanto, dont une importante manifestation en juin 2010 à Hinche (Nord-Est). La crainte des planteurs réside dans le fait que ces produits pourraient accentuer la dépendance du pays, alors qu’il existe des semences locales.

« On ne devrait jamais introduire dans un contexte d’urgence de nouvelles variétés qui n’ont pas été testées sur le site agroécologique en question et dans les conditions de gestion des paysans », indique une étude menée par la chercheuse Louise Sperling du centre international d’agriculture tropicale (Ciat).

Selon cette étude, mentionnée dans une enquête du consortium médiatique Ayiti Kale Je, les distributions de semences réalisées après le tremblement de terre n’avaient aucune justification.

Monsanto avait offert 475 tonnes de semences à Haïti au lendemain du séisme à titre de don. Une partie de ce don était encore attendue cette année. [kft gp apr 17/06/2011 09:00]