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Sous les regards des héros

Haiti-Reconstruction : Aucune attention pour les sans-abris de Champ de Mars

Enquête – Deuxième partie

Dans le cadre du partenariat médiatique « Ayiti Kale Je »*, dont AlterPresse fait partie

P-au-P., 15 juin 2010 [Ayiti Kale Je/AlterPresse] --- Après le séisme de janvier 2010, qui a fait plus d’un million de déplacés, les agences internationales opérant dans le secteur des abris se manifestent beaucoup plus en Haïti.

Selon les informations recueilles par Ayiti Kale Je (AKJ) et le Laboratoire du Journalisme en consultant les procès verbaux de réunions de travail et autres document du Cluster Logement (qui regroupe toutes les agences et organisations œuvrant dans le secteur), les régions touchées par le séisme sont subdivisé en plusieurs zones. A Port-au-Prince 18 agences et organisations travaillent dans ce domaine.

Ces dernières disent projeter de construire 26,594 abris provisoires, de réhabiliter 2,174 maisons et de construire 155 abris permanents à Port-au-Prince. Mais c’est loin d’être suffisant. Selon un rapport de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) datant de mars, 47,059 familles vivant dans des camps de Port-au-Prince sont en attente de logement.

Malgré les planifications et une prétendue division des taches au sein des organisations humanitaires et au niveau du gouvernement, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, aucune agence du secteur logement n’opère dans le camp du Champ de Mars.

L’un des facteurs pouvant expliquer ce fait est que la localisation des agences dans des zones déterminées n’est pas le résultat d’une répartition de tâches ou d’une coordination assurée par une instance suprême. Il n’y a pas de « ministre au Logement » et durant des mois, les réunions nationales du Cluster Logement n’ont bénéficié de la présence d’aucun représentant gouvernemental. Le coordonnateur du Cluster, pour sa part, ne peut que suggérer la zone d’intervention d’une agence.

La Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), chargée d’assurer le relèvement d’Haïti après le 12 janvier 2010, serait une instance appelée à diriger les interventions dans ce domaine. Selon la loi qui l’a créée elle a des objectifs comme « d’assurer la planification stratégique, la coordination et la mise en œuvre de ressources provenant des bailleurs bilatéraux et multilatéraux, des organisations non gouvernementales et du secteur des affaires… » Mais au moins au Champ de Mars elle n’a pas délivré la marchandise.

D’après Emmanuel Gay de l’OIM, instance responsable de la coordination des acteurs humanitaires dans les camps, son organisation n’intervient dans le secteur du logement qu’après de graves intempéries ou dans d’autres situations catastrophiques.

« Aussitôt que le besoin se fait sentir on fait appel à nous et nous répondons surtout à des situations de crise, par exemple en période pluvieuse, nous aidons les personnes les plus vulnérables en leur permettant de sécuriser leurs abris, » a-t-il expliqué à AKJ.

Gay avance en outre que l’OIM envisage de travailler sur un « plan de retour pour les sinistrés », mais a confié : « on n’en est pas encore là. » Difficile de comprendre ce qui retarde à ce point l’exécution d’un supposé plan de retour pour des sans-abris qui ont déjà vécu près de 17 mois dans des conditions si avilissantes.

Le représentant de l’OIM a également fait allusion à l’une des raisons possibles de ce retard :

« Je crois qu’il y a un projet gouvernemental de construction de logements sociaux au Fort National auquel plusieurs des sans-abris [de Champ de Mars] sont souscrits, mais je ne dispose pas de beaucoup de détails là-dessus. »

Peut-être ce projet est la raison pour laquelle aucune organisation travaille sur la question au Champ de Mars ?

Le projet fantôme de Fort National

En effet, Gay faisait allusion à un projet de logements sociaux que le gouvernement a tenté de lancer le 12 janvier 2011. Cependant, le ministre des Affaires Sociales, Gérald Germain, a été accueilli à coups de pierres et de tessons de bouteilles par des citoyens furieux de ce quartier situé à moins d’un kilomètre du palais.

« Nous voulons des explications, nous voulons savoir comment l’Etat compte aider les gens qui, bien avant le 12 janvier, vivaient dans des conditions infrahumaines. C’est inacceptable en plein 21e siècle ! » a dit l’un d’eux à l’agence en ligne AlterPresse.

D’après le ministre sortant de l’Economie et des Finances, Ronald Baudin, le projet avance mais il n’est pas encore au stade d’exécution.

« Une partie du financement est déjà disponible, les plans sont conçus … les maquettes ont déjà été produites. Il ne reste qu’à libérer les sites pour entamer les travaux qui doivent permettre la réalisation de ce projet immobilier », a-t-il dit à AKJ.

Par contre, à en croire une autorité de la CIRH, le projet n’est pas certain. Priscilla Phelps, la Conseillère Principale pour le Logement et les Quartiers au sein de la CIRH s’est exprimée dans un article d’AlterPresse le 12 janvier 2011 : « Il reste beaucoup de questions à clarifier… Le projet doit être passé au crible. Il est assez cher. »

Interrogé plus récemment, Jean-Christophe Adrian, Coordonnateur des Programmes en Haïti pour UN-HABITAT, qui dirige actuellement le Cluster Logement, estime lui aussi que le projet est dans une véritable impasse.

« Je ne suis au courant d’aucun progrès, » a-t-il lâché à AKJ.

Adrian se souvient pourtant des rencontres qui avaient lieu presque tous les jours au Palais National sur des planifications visant l’évacuation du Champ de Mars et un retour des sinistrés dans leurs quartiers d’origine.

« C’était une initiative du Président Préval, » reconnait-il, et selon lui les agences étaient très enthousiastes pour la réussite de ce projet pilote et se sont accordées sur le fait que « la seule solution est de permettre aux gens de retourner dans leurs quartiers. »

Cependant les rencontres et les discussions ont soudainement été interrompu.

« Bon, on n’a pas toute l’information mais, en fait … d’après ce que j’ai pu comprendre, la décision qui a été prise était celle de faire une grande opération sur Fort National, » s’est rappelé Adrian.

A l’instar de Phelps, Adrian ne pense pas que de grands projets de logements sociaux soient la meilleure solution. L’une des raisons est que, historiquement, c’est souvent la seule classe moyenne qui en bénéficie.

Ayiti Kale Je s’est tourné vers le maire de Port-au-Prince, Muscadin Jean Yves Jason, pour lui demander des informations sur les interventions en faveur des réfugiés du Champ de Mars qui sont, après tout, des résidents de sa commune.

Selon ses révélations, la mairie n’a jamais été impliquée dans le projet de Fort National.

« C’était une position en faveur de la plateforme présidentielle Inite en vue de courtiser l’électorat du Bel Air », a soutenu le maire dans une entrevue réalisée par courrier électronique.

En outre, Jason informe avoir tenté de libérer quelques places le 12 mai dernier, soit deux jours avant l’investiture du nouveau chef d’État Michel Martelly, mais sans succès, regrette-t-il. Il indique également avoir sa propre proposition sur l’établissement de logements sociaux à Morne à Cabrit, montagne sèche située au nord-est de la capitale. Ce projet pilote destiné à 6 000 familles est évalué à $76,065,000 dollars US (US$12,677.50 par famille), a-t-dit.

Le nouveau président a récemment a fait circuler un document intitulé « Fermeture de six camps prioritaires au travers du lancement de la reconstruction définitive . » Les camps du Champ de Mars ne figuraient pas parmi ces six camps considérés « prioritaires ».

Personne ne peut prétendre avoir la vérité sur le temps qu’auront à passer ces citoyens dans cette situation à peine descriptible. Mais une vérité n’échappe à personne : si un héros est quelqu’un qui « se distingue par ses actions » ou « qui tient le rôle principal dans une histoire, » tel que le définit le dictionnaire, plusieurs acteurs – dont des ONG, des agences des Nations Unies, des maires, des ministres et la CIRH entre autres – agissent de manière presque contraire, aux yeux des occupants du camp du Champ de Mars.

Peut-être que les vrais héros sont les sans-abris. Chaque jour ils luttent pour leur survie contre les pluies, le choléra, l’absence de logement, l’insuffisance des toilettes, le manque d’accès aux écoles, aux emplois et peut-être même le manque d’espoir. [akj apr 15/06/2011 09 :40]

…………..

* « Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est une initiative de partenariat médiatique en vue d’assurer des investigations journalistiques sur la reconstruction d’Haïti suite au séisme dévastateur qui a frappé le pays et fait 300.000 morts et autant de blessés.

Le Groupe Médialternatif est un des partenaires de cette initiative, à travers son agence multimédia AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), avec la Société pour l’Animation de la Communication Sociale (SAKS - http://www.saks-haiti.org/). Deux réseaux participent également : le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et l’Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA), qui est composé de stations de radios communautaires à travers le pays.

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Les étudiants du Laboratoire du Journalisme, de l’Université d’Etat d’Haïti, ont collaboré à cette sérié.

NB : Le journaliste et étudiant Kendi Zidor a subi une attaque armée et a été dévalisé alors qu’il recueillait des données pour cet article sur la Place Jean-Jacques Dessalines le 1er juin 2011 à 1:30 de l’après-midi.

La place est à quelques pas du Palais National surveillé par des agents la Police Nationale et parfois des soldats des Nations Unies. Ayiti Kale Je a appris plus tard que le Champ de Mars et le périmètre des camps sont réputés pour les vols et autres actes de violence.

Zidor témoigne qu’après avoir pris la dernière photo il vit un jeune homme armé s’avancer vers lui et exiger qu’il entre dans une tente.

« Je préférais la mort au kidnapping, j’ai résisté, » a-t-il dit à AKJ.

« Peut être qu’il me prend pour un représentant d’organisme de l’état ou d’une organisation humanitaire qu’il estime complice dans sa situation », s’est dit Zidor qui continue : « J’ai brandi ma carte de presse mais cela ne l’a pas dissuadé. »

Quatre ou cinq voyous ont encerclé Zidor. Ils ont pris son ordinateur, sa caméra, des téléphones portables, son passeport, son argent et beaucoup d’autres objets et documents personnels.

Tous les fichiers audio et photo pour cette enquête ont été perdus.

« J’ai assisté impuissant à la séparation du butin, » affirme Zidor. « Dans cet espace bondé de gens je n’ai bénéficié d’aucun secours, les spectateurs ne se sont même pas montrés surpris de la scène », regrette-t-il.

Une fois qu’ils ont tout emporté, le voyou armé agitait son pistolet dans le visage de Zidor, en lui disant « M ap tire w ! » (« Je te tue ! »), mais a ensuite dit : « Kouri ! » (« Enfuis toi ! »).

Zidor a ainsi échappé à la mort.

La police n’a signalé aucune arrestation.