Dossier
Par Vario Sérant
P-au-P., 2 févr. 04 [AlterPresse] --- Haïti vit depuis plus d’une semaine au rythme d’une nouvelle valse de médiation politique orchestrée par la communauté des Caraïbes (Caricom), au moment où la mobilisation anti-gouvernementale gagne en ampleur à travers le pays.
Cette danse tournante, avec en sous-main un nouveau projet de déploiement de force étrangère sur le territoire, a débuté par des échanges, aux objectifs, flous au départ, les 20 et 21 janvier 2003, aux Bahamas, entre les dirigeants de la Caricom et l’opposition sociopolitique haïtienne.
Le flou
Les propos tenus par les représentants de la Plateforme Démocratique de l’Opposition et de la Société Civile avant et après ces « discussions / négociations » ne sont pas trop différents.
« L’objectif de la rencontre était d’une part d’informer la Caricom de la situation critique qui sévit actuellement en Haïti et d’autre part de présenter aux dirigeants de l’organisation caraïbéenne l’alternative de transition adoptée le 31 décembre 2003 comme solution à la crise politique ».
En conférence de presse à Port-au-Prince le 23 janvier, le pasteur Luc Mésadieu de la Convergence Démocratique et l’avocat Gervais Charles du Groupe des 184 a parlé d’un « échange franc et direct qui a permis aux deux parties de mieux apprécier et de comprendre leurs positions respectives au point que la Caricom a même apporté des modifications à sa propre proposition de sortie de crise ».
La mèche vendue
C’est le premier ministre de la Jamaïque, Percival Patterson, président en exercice de la communauté des pays des Caraïbes, qui a vendu la mèche en dévoilant au journal « Jamaican Gleaner » un projet de déploiement d’une force de sécurité destinée à « rétablir l’ordre » en Haïti.
Adhésion totale
Lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre des Bahamas Perry Christie le 25 janvier, le président Jean Bertrand Aristide a donné son adhésion à la « feuille de route » de l’organisation caraïbéenne proposant entre autres des réformes gouvernementales, la mise en oeuvre du processus électoral, le démantèlement des gangs armés et le respect des droits humains.
La visite de Christie, qui a eu également à s’entretenir avec le coordonnateur du Groupe des 184, André Apaid Junior, un regroupement de l’opposition sociopolitique haïtienne, a été suivie de celle du vice-président de la Caricom, le trinidadien Collin Granderson.
Interlocuteur clé
Celui-ci a rencontré monseigneur Hubert Constant, président de la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH), instante dirigeante de l’Eglise Catholique Haïtienne, au Cap Haïtien, la deuxième ville d’Haïti, le 28 janvier dernier.
L’Eglise Catholique est perçue comme un interlocuteur clé dans le cadre d’éventuelles négociations politiques depuis sa « proposition conjoncturelle de sortie de crise » en date du 21 novembre 2003. Les évêques allaient faire retrait de cette résolution, épousée tardivement par Jean Bertrand Aristide, arguant de la difficulté de sa mise en application en regard de « l’escalade de la violence ».
Offensive têtue
L’offensive diplomatique de la Caricom, partenaire d’infortune de l’OEA - qui garde depuis quelque temps un profil bas - dans la crise politique haïtienne, s’est poursuivie ce 31 janvier à Kingston (Jamaïque) avec une rencontre entre le président Jean Bertrand Aristide et le premier ministre Jamaïcain Percival Patterson.
Calendrier en vue
A son retour à Port-au-Prince dans la soirée, le leader de « Fanmi Lavalas » (La Famille Lavalas) a annoncé la publication fin mars d’un calendrier pour la mise en place d’un conseil électoral provisoire (CEP) et d’un conseil de sages pour entourer le chef de l’Etat jusqu’aux élections.
Isolement
Ce balai diplomatique des dirigeants de la Caricom intervient à un moment où l’isolement du chef de l’Etat et de son régime se précise dans tout le pays.
Le patronat haïtien a recommandé ce 29 janvier à la population des actions de désobéissance civile « en commençant par le non paiement immédiatement des bordereaux de l’Electricité d’Haïti tant pour les résidences que pour les entreprises » et la participation de tous à la « marche des braves » du dimanche 1er février 2004.
Manif monstre
Cette manifestation appelée par l’opposition sociopolitique en protestation contre un communiqué de la police désignant un site unique pour la tenue de rassemblements a réuni à la capitale haïtienne plus de trente mille personnes de tous âges et de toutes catégories sociales.
Retrait sous pression
La veille, Jean Bertrand Aristide avait annoncé, à son retour de la Jamaïque, qu’il allait se concerter avec la police pour le retrait de la décision restreignant le site de manifestations.
L’opposition et divers secteurs de la société avaient ignoré cette décision prise pour casser la mobilisation grandissante, la qualifiant de burlesque et de dictatoriale. Même au temps de la dictature militaire (septembre 1991-1994), pareille disposition n’avait été prise.
Avant d’en venir à cette mesure extrême, la police multipliait les prétextes
administratifs (absence d’accord sur le parcours, difficulté de joindre des
organisateurs, problème de notification de noms et d’adresses, etc.) pour
empêcher la tenue de manifestations anti-gouvernementales.
« Chefs » autoproclamés
Aux Gonaïves, trois responsables du Front de Résistance pour le Renversement
de Jean Bertrand Aristide, ci-devant « armée cannibale », se sont
autoproclamés le 28 janvier maire, directeur départemental (de la police) et
commissaire (de police).
Ces partisans de Amiot Métayer se sont retournés contre le chef de l’Etat
depuis la découverte du cadavre mutilé de ce chef de bande lavalas en
septembre 2003 ; un assassinat dont ils accusent Jean Bertrand Aristide
d’être le commanditaire.
Autonomie
Deux autres villes du pays, Gros Morne et Saint Michel de l’Attalaye,
échappent toujours au contrôle du gouvernement.
Déroute
A Saint Marc où régnait en maître un groupe lavalas armé « Bale Wouze »
(Nettoyer et arroser), la peur a commencé à changer de camp avec l’entrée en
scène depuis quelque temps d’un regroupement politique proche de
l’opposition, le Rassemblement des Militants Consequents de Saint-Marc (RAMICOS), qui parvient à le défier en organisant des
manifestations anti-gouvernementales réunissant des milliers de personnes.
Mobilisation vivace
A Port-au-Prince, la mobilisation anti-gouvernementale reste également
vivace et quasi-quotidienne à l’initiative notamment des étudiants de
l’Université d’Etat d’Haïti et de la plateforme démocratique de la société
civile et de l’opposition (regroupant le Groupe des 184 et les partis
politiques).
Dispersion brutale
Une manifestation estudiantine pour réclamer à nouveau la démission du
président Jean Bertrand Aristide a été violemment réprimée par la police
aidée de chimères lavalas (oisifs recrutés par le pouvoir pour les viles
besognes) le 28 janvier.
On a dénombré un mort, une dizaine de blessés par balle, jets de pierres et
tessons de bouteilles et plusieurs arrestations. La personne tuée, Lionel
Victor, un partisan lavalas agé de vingt-sept ans, avait reçu à bout portant
une grenade lacrymogène (lancée par la police) qui a été se loger au niveau
de son thorax.
Réprobation quasi-générale
La police allait s’illustrer encore plus dans l’après-midi du même jour en
faisant irruption dans un hôpital (l’Hôpital du Canapé Vert), brutalisant et
appréhendant des manifestants étudiants qui s’y trouvaient.
Cette transgression des conventions de Genève concernant la protection des
hôpitaux a provoqué une réprobation quasi-générale dans le pays.
« Faux étudiants, faux policiers, manipulations »
En revanche, le président Jean Bertrand Aristide a dénoncé ce 30 janvier «
des manipulations et l’utilisation de faux étudiants pour prendre le pouvoir
». Il a par ailleurs fait état de l’existence de faux policiers et a indiqué
qu’il fallait être « très sévère pour faire respecter la loi ».
Le chef de l’Etat s’exprimait en recevant l’épouse du militant lavalas tué
par un policier lors de la marche anti-gouvernementale d’étudiants du 28
janvier.
Encore des victimes
Aux Gonaïves, deux riverains ont été tués par balles et cinq autres blessés
dans la soirée du 30 janvier à Descahos à la suite d’une intervention menée
conjointement par la police et un groupe de chimères lavalas.
Cet incident porte à une cinquantaine de morts et une centaine de blessés le
bilan des violences enregistrées dans la Cité de l’indépendance depuis le 23
septembre 2003.
Au Cap-Haïtien, deux personnes ont été blessées par balles le 31 janvier à la suite de la
dispersion violente d’une manifestation de l’opposition par des partisans de
Jean Bertrand Aristide.
A Miragoâne (ville côtière, Sud Ouest), des présumés partisans du pouvoir
ont tué un policier dans la nuit du 30 au 31 janvier tandis que celui-ci
s’interposait dans une bagarre lors d’une veillée funèbre en mémoire d’un
militant lavalas abattu le 11 janvier dans des circonstances non élucidées.
Réduction d’effectif diplomatique américain
On a appris ce 30 janvier auprès du département d’Etat que les Etats-Unis
vont prendre des mesures pour réduire leur effectif diplomatique en Haïti
en raison du climat de violence politique qui prévaut dans le pays.
Un responsable du ministère américain des Affaires étrangères cité par
l’agence France Presse a indiqué que « certains membres de l’ambassade dont
la présence n’est pas indispensable, de même que leurs familles, vont être
autorisés à revenir aux Etats-Unis ».
« Petit monstre local »
Un regroupement haïtien dénommé Collectif Solidarité Identité et Liberté
(CASIL) a dénoncé dans la presse la création par certains secteurs de la «
communauté internationale » d’un « petit monstre local » - allusion à Jean
Bertrand Aristide - pour « intimider les haïtiens et les porter à accepter
une nouvelle occupation du territoire ».
L’organisation rappelle que l’intervention militaire effectuée en 1994, à la
demande de Jean Bertrand Aristide, alors président constitutionnel en exil,
avait contribué à attiser l’insécurité en laissant des gangs armés pour «
piéger la démocratie ».
Suspicion
L’offensive diplomatique de la Caricom se développe dans une atmosphère de
suspicion motivée par la position jugée traditionnellement partisane et
intéressée de l’organisation caraïbéenne et de sa « soeur siamoise », l’OEA,
à l’égard du président Jean Bertrand Aristide et de son régime.
Après sa participation aux festivités officielles du bicentenaire de
l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804, le Premier ministre des Bahamas,
Perry Christie, avait déclaré que Jean Bertrand Aristide demeurait très
populaire dans son pays et que c’était un petit groupe de personnes qui
réclamait son départ.
Lettre ouverte à la Caricom
Ce 30 janvier, des intellectuels et artistes haïtiens regroupés au sein du «
Collectif Non » ont écrit aux chefs de gouvernement de la Caricom pour leur
demander de condamner les méthodes anti-démocratiques du pouvoir lavalas,
qui ne bénéficie, selon le document, d’aucune légitimité.
Bouée de sauvetage
Face à la contestation grandissante de son régime, Jean Bertrand Aristide,
qui est obnubilé par l’idée d’achever son mandat quinquennal en 2006, est
prêt à donner sa bénédiction à un nouveau déploiement de troupes étrangères
dans le pays.
L’offensive diplomatique de la Caricom : une opération pour sauver Aristide
et alliés (internationaux compris) ou pour aider réellement à résoudre la
crise née des élections contestées de l’année 2000 ?
Une question lancinante qui alimente les conversasions en Haïti. [vs gp 02/02/2004 00:50]