P-au-P, 27 mai 2011 [AlterPresse] --- La tâche qui attend la nouvelle administration parait immense et tout semble prioritaire, alors que le premier ministre désigné, Daniel Rouzier, poursuit son opération de séduction auprès du Parlement.
En attendant d’obtenir ou non sa ratification et de présenter sa politique générale, l’Etat de droit, l’éducation, l’environnement et l’emploi sont les quatre axes déjà dégagés par le président Michel Martelly. Quatre axes comme dans la roue d’un cercle vicieux, où chaque défi en appelle un autre.
A plusieurs reprises, les Nations Unies ont signalé que l’instauration d’un Etat de droit est incontournable. L’absence d’Etat de droit mine les institutions publiques avait d’ailleurs estimé récemment Edmond Mulet, ex-représentant de Ban Ki Moon en Haïti.
« E » pour « en finir avec l’impunité »
Selon Pierre Esperance, du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), le procès de l’ancien dictateur Jean Claude Duvalier représente à la fois « un gros défi pour le gouvernement » et un signe qu’Haïti se dirige dans cette direction. Duvalier est dans le collimateur de la justice haïtienne depuis son retour le 16 janvier dernier. Il est poursuivi entre autres pour crimes contre l’humanité et détournements de fonds.
« Il faut qu’ils[les nouveaux responsables] donnent un signal clair, qu’ils veulent rompre avec l’arbitraire et combattre l’impunité » en contribuant à faire avancer le processus, souligne Esperance.
Les organisations nationales et internationales de droits humains ont résolument les yeux rivés sur l’attitude des nouveaux responsables vis-à-vis du dossier de Duvalier. Plusieurs ont, cette semaine enjoint Michel Martelly, d’« affecter les ressources humaines suffisantes à l’enquête et aux poursuites ».
L’une des faiblesses du système judiciaire haïtien, souvent mise en avant, est sa subordination à l’Exécutif. Pour Pierre Esperance, un Etat de droit implique non seulement un appareil judiciaire indépendant mais que « tous les citoyens soient soumis à la loi sans considérations économiques, sociales ou politiques ».
Instaurer l’Etat de droit suppose aussi la réduction des écarts au sein d’une population dont 68% des habitants vivent avec moins de deux dollars par jour, soit en dessous du seuil de pauvreté.
« Il y a trop d’inégalités », souligne Esperance, et l’Etat de droit implique « des institutions fonctionnelles » qui délivrent les services aux citoyens en ayant « la loi comme boussole ».
Il faudra sortir les sinistrés sous les tentes, et préparer un plan de retrait de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti(MINUSTAH), poursuit le responsable du RNDDH entre autres priorités.
« Le retrait de la MINUSTAH ne signifie pas forcément le retour de l’armée d’Haïti… Je ne crois pas que le pays ait besoin d’une armée », précise Esperance plaidant pour une force de police équipée.
La police compte un peu plus de 9 mille agents actifs et Martelly manifeste sa volonté de créer une force de sécurité complémentaire.
« E » pour « éradiquer la misère »
Le président de la République a souvent affirmé son intention de « créer un climat » favorable aux investissements dans le pays considéré comme le mauvais élève en matière de stabilité dans la région. La création d’emplois constitue l’une de ses principales promesses, lui qui a vanté lors de son investiture l’esprit travailleur du peuple haïtien.
Selon un rapport du Bureau International du Travail (BIT) paru en 2010, seules 2,3 millions de personnes sur une population totale de 10 millions d’habitants ont une occupation. Et sur ce chiffre 80% vivent d’emplois informels.
Cependant « il ne s’agit pas d’une question d’emplois mais de conditions de travail et de salaire », affirme Didier Dominique de l’organisation Batay Ouvriye.
Le chef de l’Etat aurait pu montrer sa rupture avec « le statu quo » en réclamant une augmentation du salaire minimum ou au moins le respect de la loi actuelle le fixant à 200 gourdes, explique Dominique.
Le militant rappelle que le président compte appuyer la stratégie d’implantation de zone franche et d’industries de sous-traitance dans le pays. Une stratégie qui, selon lui, a abouti à la destruction de la production nationale et l’exode rural, gage d’un afflux de main d’œuvre pour la sous-traitance. En 2009 ce secteur comptait un peu plus de 300 mille ouvriers et ouvrières.
« Il s’agit d’une démarche des Etats-Unis entamée depuis 30-50 ans et qui n’a abouti qu’à l’appauvrissement et l’exploitation » du pays, analyse t-il.
Didier Dominique juge que le président symbolise en ce sens un « retour en arrière et non le changement ». « Il (Martelly) va mettre une pierre en plus dans l’édifice érigé par les multinationales » et « s’apprête à entrer dans la même logique », anticipe t-il.
Par ailleurs 40% de la population haïtienne travaille dans l’agriculture, selon le BIT. Et dans le milieu rural ce chiffre atteint 72%. Il s’agit d’un secteur marginalisé, ayant une maigre part dans le budget national.
Pour Filfranc Saint-Naré, du Mouvement des Paysans Papaye(MPP), la création d’emploi en milieu rural est une priorité. Selon lui, le gouvernement peut développer toute une série d’activités allant de la construction de routes agricoles à la mise en place de système d’irrigation, « pour que le paysan ne soit pas contraint qu’à prendre une machette [pour travailler la terre] quand il doit envoyer ses enfants à l’école ».
L’administration aura à répondre aux desiderata habituels des planteurs en fournissant encadrement technique, moyens et outils de production, mais aussi en investissant dans la transformation des produits agricoles.
« Aujourd’hui les paysans récoltent mais ils n’ont pas de moulins pour transformer la canne, le manioc », explique Sénaré, appelant aussi à des investissements dans l’élevage.
Eviter une crise environnementale
« Dans plusieurs régions rurales, surtout en période sèche, les pratiques de brulis détruisent non seulement les micros organismes mais aussi les petits arbustes. Et les mornes finissent totalement nues », relève Vilfranc Sénaré. « Il faut rebâtir les forêts de ce pays », ajoute-t-il.
Il appelle en outre à l’« utilisation d’énergies alternatives comme le soleil et l’eau pour réduire la pression qui existe sur les arbres avec le charbon de bois ».
Le charbon de bois représente les trois quart de la consommation en énergie du pays, selon le Bureau des Mines et de l’Energie (BME). En 2006, plus de la moitié des réserves d’arbres du pays était déjà utilisée. [kft apr 27/05/2011 14 :40]