Par Dre Guerda Massillon-JL [1]
Soumis à AlterPresse le 21 mai 2011
Les enjeux de l’utilisation des radiations ionisantes en Haïti : l’Université d’Etat d’Haïti vs Ministère de la Santé Publique
La découverte des rayons-X et de la radioactivité à la fin du XIX e siècle a marqué une ère nouvelle dans le développement des applications de la physique en médecine.
Ces applications, qui ont eu un effet transcendantal dans les pratiques médicales contemporaines, peuvent aider à ajuster le futur, vu le potentiel incontrôlable de la physique pour améliorer les résultats de la médecine.
Les radiations ionisantes sont un instrument potentiellement utile pour traiter et/ou diagnostiquer une série de maladies.
Mais, il faut faire beaucoup d’attention, car l’utilisation des rayonnements ionisants exige une connaissance spatiale exacte et précise de la dose absorbée (quantité d’énergie déposée par unité de masse ; 1 J/kg=1 Gy) fournie au patient, pour protéger n’importe quel tissu sain, entourant le volume malade en cas de traitement, et pour éviter l’exposition, sans nécessité, à la radiation en cas de diagnostic.
Dans le cas contraire, les effets biologiques induits peuvent être irréversibles.
Depuis la fin de 2008, il y a toute une série de scandales aux Etats-Unis d’Amérique (EUA), liés à une mauvaise utilisation des radiations ionisantes provenant des CT scanners et/ou traitements de radiothérapie, où les patients ont reçu une surdose suffisante pouvant provoquer des effets immédiats ou à court terme [2],
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Dès lors, la Food and Drug Administration (Fda) a initié une série d’investigations en vue de faire des recommandations.
Dans le dernier rapport de la Fda, daté de janvier 2011, on peut lire ce qui suit :
« The FDA has issued an update on its continuing investigation of excessive radiation exposure from CT brain perfusion scans, including expanded recommendations for radiology personnel performing these procedures. FDA is now aware of 385 patients who received overdoses from these scans in six hospitals. It is well known that some of the patients received doses high enough to produce hair loss and erythema.
But it is important to keep in mind that if a patient’s radiation dose is higher than the expected level, but not so high as to produce obvious signs of radiation injury, the problem could go undetected and unreported, increasing the risk of long-term radiation effects such as cancer. FDA has inspected the manufacturers of the CT equipment used in the overdose cases, and has concluded that the scanners in question do not produce overexposures when they’re used according to the manufacturers’ specifications, and that the manufacturers did not modify their use protocols to cause the overexposures. FDA believes it is likely that the overexposures resulted from use errors by radiology personnel ”. [9].
Imaginez-vous une situation de ce niveau aux EUA, où il existe, depuis 1958, une organisation de scientifiques et de professionnels dénommée Association Américaine des Physiciens Médicaux (AAPM), dont l’objectif primaire est d’identifier et d’implémenter des améliorations pour la sûreté des patients durant l’usage de la radiation en imagerie médicale et en thérapie [10].
La responsabilité des Physiciens Médicaux est de s’assurer que la radiation prescrite en imagerie médicale et en radiothérapie soit délivrée d’une manière sûre et exacte, afin de protéger la vie des patients.
En cas d’imagerie médicale, ils doivent aussi travailler pour une meilleure qualité d’image possible afin d’éviter des diagnostics erronés par les médecins.
Malgré tout, il y a des gens qui ont acheté de faux diplômes de Physiciens Médicaux sans la connaissance requise et qui sont même arrivés à tromper les responsables de FDA et des hôpitaux de renoms aux EUA [11].
Et les Haïtiens ? Dieu seul sait !!!
Pour une meilleure utilisation de la radiation ionisante en Haïti, le pays a besoin de jeunes physiciens ou carrière affine.
Mais, malheureusement, l’enseignement de la Science en Haïti est fait au rabais.
Par exemple, l’unique milieu, où il existe une carrière en Physique, se trouve à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH), l’Ecole normale supérieure (Ens). Le niveau de connaissances, permettant aux étudiantes et étudiants d’affronter les défis de la nouvelle technologie, est mis en doute.
Les étudiants haïtiens ne se sont pas encore tout-à-fait appropriés de la physique moderne, malgré plus de 100 ans de l’enseignement de cette matière qui a eu un impact fondamental dans l’évolution de la science et de la nouvelle technologie.
S’il n’y a pas encore de techniciens rodés, ayant la connaissance dans la matière pour réaliser des recherches, qui va établir les normes ?
Durant ma dernière visite en Haïti au début de cette année 2011, j’ai pu observer des pancartes dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince annonçant soit des images de CT, soit tout simplement des radiographies.
Je me demande combien de patientes et patients, combien d’enfants en bas âge ont reçu une surdose de radiation due à une mauvaise utilisation de ces machines ? Combien de diagnostics erronés, dûs à des artefacts sur les images médicales, donnés aux patients par le médecin ?
Un travail de recherche, réalisé en Haïti en l’année 2000, sur l’évaluation de la dose de radiation reçue par les patients et la qualité de l’imagerie médicale durant des examens radiologiques dans 7 centres hospitaliers du pays, a révélé que seulement deux (2) d’entre eux avaient une qualité d’image médicale acceptable [12].
Cela implique que bon nombre de patients haïtiens peuvent être soumis à des traitements équivoqués.
Heureusement, l’Ueh a déjà pris des initiatives !
Après le séisme du 12 janvier 2010, plusieurs activités ont été organisées par le rectorat de l’Ueh afin de préparer un curriculum pour les programmes en Sciences de bases, qui soient de qualité et qui puissent répondre aux besoins de la société haïtienne.
Comme premier résultat de ces activités, du 8 au 23 janvier 2011, une école d’hiver en Sciences de base et de Génie, patronée par la Universidad Nacional Autonoma de Mexico (UNAM), a été organisée à l’Ueh.
L’objectif de cette école était de donner une formation de base aux étudiants de dernières années, leur permettant d’identifier un problème local afin de réaliser une thèse pour obtenir leur diplôme de fin d’études universitaires et en même temps proposer une solution à la nation haïtienne.
Les professeurs mexicains ont dispensé 14 cours spécialisés en physique, chimie, mathématique, biologie et génie avec la participation de plus de 300 étudiants, sans compter les professeurs haïtiens.
Parmi les matières prioritaires, un cours de Physique Médicale a été dispensé aux étudiants intéressés.
Aujourd’hui, un groupe de plus de 20 étudiants de l’Ueh attend impatiemment la possibilité de réaliser leur projet de thèse dans les hôpitaux haïtiens, là où l’on fait usage des radiations ionisantes.
De ce fait, avec l’installation de nouveaux équipements sophistiqués, comme le cas du nouveau CT scanner [13],dans les hôpitaux du pays, le nouveau gouvernent à travers le ministère de la santé publique et de la population (Mspp), a l’obligation de travailler en partenariat avec l’Ueh pour résoudre ces problèmes, s’il veut vraiment travailler pour le bien-être du peuple haïtien.
Ce partenariat permettra aussi de préparer les jeunes pouvant travailler dans le prochain département d’imagerie médicale et de radiothérapie de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) qui devrait être reconstruit sous peu [14].
Avec les professeurs haïtiens, les travaux de recherche des étudiants haïtiens pourront être supervisés par des scientifiques mexicains et collègues d’autres nations intéressées à aider Haïti dans le processus de reconstruction.
Une fois cette étape terminée, le Mspp pourra compter sur les connaissances et l’expérience, acquises par les jeunes universitaires pour la création d’une instance indépendante pouvant commencer à régulariser l’usage des radiations ionisantes sur le territoire national, comme ce qui se fait ailleurs.
Mexique DF, le 21 mai 2011
Dre. Guerda Massillon-JL, Ph.D.
Assistante Professeure
Institut de Physique, UNAM, Mexico
[1] Née à Bassin-Bleu, dans le Nord-Ouest d’Haïti, Guerda Massillon a fait ses premières études universitaires en physique à l’Ecole normale supérieure (Ens), de l’université d’Etat d’Haïti (Ueh), Bénéficiaire d’une bourse au Mexique en 1998, elle a obtenu, en 2001, un diplôme de Maitrise en Physique Médicale à l’Université nationale autonome du Mexique (Unam).
En 2006, elle a défendu sa thèse de doctorat en Sciences (Physique) avec spécialité de Physique des Radiations Ionisantes et de Dosimétrie dans la même université (Unam).
De 2007 à 2009, elle a été invitée au National Institute of Standards and Technology (NIST) Gaithersburg, Etats-Unis d’Amérique (EUA), où elle a fait des études postdoctorales travaillant dans un projet de recherche concernant l’établissement d’un Standard National pour l’utilisation des rayons-X de base énergies (utilisés en radiographie conventionnelle, mammographie, CT scanners et traitement de braquiterapia) et de particules beta.
Actuellement, elle est Assistante Professeure à l’Institut de Physique de l’Unam au Mexique et membre correspondante de l’Association Américaine des Physiciens Médicaux (AAPM).
Depuis après le séisme du 12 janvier 2010, elle accompagne le rectorat de l’Ueh dans les efforts de réforme universitaire pour les domaines de Sciences de base et de Génie.
[12] .G. Massillon J.L. and Cari Borrás, Estimation of Patients Radiation Doses during Radiologic Examinations in the Republic of Haiti, Contributed Papers of the International Conference on Radiological Protection of Patients in Diagnostic and Interventional Radiology, Nuclear Medicine and Radiotherapy, Spain, Papers Series 7/P IAEA (2001) pp 71-74
[14] Dr. Jacques Pierre-Pierre, communication personnelle (HUEH, Janvier 2011).