Par Guy R. Saint-Cyr *
Soumis à AlterPresse le 18 mai 2011
“Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.”
René Char
Le 14 mai 2011, le chanteur très populaire de la musique haïtienne, Michel Joseph Martelly est devenu le 56e président de la République d’Haïti, mettant ainsi un terme à vingt ans de pouvoir lavalas. Qui l’aurait cru ?
En tout cas, selon certains observateurs avisés de la politique haïtienne, plusieurs facteurs peuvent expliquer l’intrusion de Michel Martelly dans l’arène politique du pays. En effet, la population semblait dégoûtée par la classe politique traditionnelle. Il y avait un manque évident de confiance entre gouvernants et gouvernés. Depuis vingt-cinq ans, c’est-à-dire depuis la chute du dictateur Jean-Claude Duvalier en 1986, la population s’est sentie trahie à maintes reprises par des dirigeants qui promettaient des changements radicaux dans la gouvernance du pays. Les rumeurs de corruption, le grand banditisme, les assassinats politiques et la gabegie administrative n’ont cessé de faire la une !
La gestion calamiteuse du pays après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010 constitue la goutte d’eau ayant fait déborder le vase. À ce sujet, il faut remarquer objectivement que les autorités gouvernementales n’étaient pas du tout à la hauteur pour faire face aux conséquences de ce séisme qui a fait plus de 250 000 morts, qui a mis les institutions de l’État à genou et qui, naturellement, a mis aux abois le secteur privé des affaires. En tout état de cause, la gestion des affaires publiques a été réduite à sa plus simple expression. Le manque de leadership était visible à l’œil nu. C’est donc dans ce contexte troublé qu’il faut situer le succès de Michel Martelly lors de la campagne électorale qui a précédé sa victoire aux élections.
Le discours de Michel Martelly
Michel Martelly, chanteur très excentrique de la musique haïtienne, âgé d’une cinquantaine d’années, a su comprendre et surtout profité de la déception collective de la population vis-à-vis des élites. Homme de droite, dans un premier temps, il a orienté sa campagne sur la nécessité d’arrêter et de juger les responsables de l’État ayant conduit le pays dans ce marasme socio-économique. Auprès d’un peuple très peu éduqué cédant facilement à ses émotions, ce discours a eu beaucoup de succès, surtout chez les jeunes issus des milieux urbains. Mais ce qui a vraiment fait décoller sa campagne, c’est son discours sur la rupture avec l’ordre ancien. De toute évidence, avec un discours volontariste sur l’éducation massive et obligatoire pour tous les enfants en âge d’aller à l’école ; avec l’idée de relocaliser les sinistrés du 12 janvier 2010 qui sont encore, entre autres, sur le Champ-de-Mars, la plus grande place publique du pays ; et, finalement, avec son discours sur la relance de la production agricole afin de diminuer la dépendance alimentaire vis-à-vis des États-Unis et de la République dominicaine, Michel Martelly s’est comporté en véritable porte-parole du peuple haïtien.
Une détermination qui fait peur ?
Le discours volontariste de Michel Martelly sur l’économie, son désir de reconstituer l’armée d’Haïti, son obsession sécuritaire, sa gestuelle frisant l’autoritarisme, bref, sa détermination assumée fait peur. Certains avancent même l’idée d’une dictature de droite pour les cinq prochaines années. Il est bien d’être vigilant, mais gardons-nous tout de même du procès d’intention. Jugeons-le à l’œuvre.
Tout bien considéré, cette détermination à toute épreuve peut être mise sur le compte de l’inexpérience. En effet, il n’a jamais été élu auparavant, il n’a jamais occupé non plus de hautes fonctions politiques. Il ne connaît donc pas la complexité des choses de l’État. C’est ce qui explique probablement ce manque de réserve que l’on retrouve généralement chez les politiciens expérimentés. Toutefois, les prochains cinq ans ne seront pas de tout repos pour le nouveau président. Il faut faire remarquer qu’il n’a pratiquement aucun représentant au Parlement, qui est dominé par l’ancienne majorité présidentielle. Il devra faire preuve de beaucoup de diplomatie et de sens de responsabilités s’il veut atteindre minimalement ses objectifs. Qu’il ne se mette surtout pas dans la tête d’opposer la population au Parlement, comme ce fut le cas en 1991 ! Gare aux dérives ! Gare au populisme ! Les confrontations stériles et irréfléchies ne font jamais avancer un pays dans le sens du progrès social et économique.
Michel Martelly rêve d’une autre Haïti digne, fière et ouverte sur le monde. Pour qu’un monde soit un monde, disait déjà Malraux en son temps, il faut de grands rêves et la volonté inlassable de les incarner. Souhaitons bonne chance au nouveau Président pour le bien-être d’Haïti. Rêvons avec lui.
* Professeur à l’université