Analyse du discours officiel d’investiture du nouveau président d’Haïti, Michel Martelly
Par Renauld Govain, Ph.D. *
Soumis à AlterPresse le 17 mai 2011
Le premier discours officiel du président Michel Martelly, très engagé, est délivré dans un élan et une vigueur hors du commun. Mais quel(s) effet(s) a-t-il sur les attentes des uns et des autres ? Nous ne devrons pas oublier qu’un discours ne puisse satisfaire aux attentes de tout le monde. Car nous n’avons et n’aurons jamais les mêmes visions des choses et du monde ! Ce discours était d’autant plus attendu que des citoyens nourrissaient des doutes quant aux capacités stratégiques du nouveau président et sa maturité politique à tenir les rennes d’un pays comme le nôtre dont la gouvernance se révèle de plus en plus difficile.
Il importe ici de savoir, en fait, ce que c’est que le discours. Le discours se définit selon le point de vue duquel on se place. D’un point de vue strictement communicatif, il se définira, par exemple, comme un acte de communication par lequel un locuteur transmet un/des message(s) à plusieurs interlocuteurs formant souvent une assistance. Ces derniers reçoivent le discours qu’ils sont appelés à décoder afin de le comprendre et, éventuellement, de « rétroagir ». De ce point de vue, on dira que le discours du président Martelly est parfaitement réussi car je présume que tout le monde l’a aisément compris pourvu qu’il ait une bonne maitrise des deux langues dans lesquelles il est produit. Cependant, du point de vue politique ou même philosophique, nous définirons le discours par son entéléchie (au sens aristotélicien du terme). Ce qui différencie le discours de la parole, c’est que cette dernière s’envole et le premier fait tache. Chez les philosophes, le discours est la « parole parfaite ». C’est, en fait, ce que veut dire le terme entéléchie. C’est en vertu de cela que ses moindres imperfections sont passées au crible. Le discours est un mouvement de la pensée qui saisit justement les différents contours de son objet ainsi que les attentes de ses récepteurs. Il s’énonce le plus clairement possible en essayant de diminuer les risques de polysémie même si cela se révèle, en réalité, inévitable. Cependant, cette clarté ne le dispense en rien du fond qui doit caractériser les circonstances de son énonciation. Dans tous les cas, le discours dans le contexte qui nous préoccupe est marqué par le caractère formel et protocolaire que lui imposent les circonstances en cause.
On pourrait du même coup poser la question de savoir ce que c’est qu’un homme politique ou, tout court, un politique. La politique étant la « science du gouvernement » ou la « théorie de l’Etat », l’homme politique est un technicien, un homme d’Etat dont la fonction est de s’occuper de la politique. La politique devient sa pratique, son métier, sa préoccupation. Je pourrais dire, plus ou moins vulgairement que la politique est sa seconde nature. Si la politique est l’art de prendre, de garder et d’utiliser le pouvoir, la capacité à rassurer les citoyens, à résoudre des problèmes, à anticiper des problèmes à venir…, diriger un pays dans la bonne direction, celle du développement qui devient aujourd’hui une panacée dans les discours des dirigeants demande et exige beaucoup. Diriger, c’est prévoir, dit-on souvent.
La conquête du pouvoir n’est pas le seul but de la politique (ni la seule vision du politique) mais l’une de ses expressions. Un homme politique qui atteint cette haute fonction de la présidence d’un pays a du coup la mission et donc le devoir de travailler à l’amélioration des conditions de vie des citoyens (politikos, du grec, signifie aussi relatif aux citoyens). Mais le président ne se contentera pas seulement de dire qu’il va améliorer les conditions de vie des citoyens au profit desquels il canalisera toutes ses énergies. Ces énergies sont à mettre en synergie avec celles du cabinet du Premier ministre qui forme avec lui l’exécutif. Avant même d’annoncer qu’il a le projet de faire ceci ou cela, il doit d’abord réfléchir aux voies et moyens qu’il va dégager en vue d’arriver à faire ce qu’il projette de faire pour le bien de la cité.
Parler de discours est une chose, mais parler de discours politique en est une autre. En effet, le discours politique est un acte ou plutôt un ensemble d’actes de parole produits par un homme ou une femme politique dans un but politique. L’homme politique produit un discours quand cela s’avère vraiment nécessaire. Ce qui revient aussi à noter que toute prise de parole d’un homme ou une femme politique n’est pas nécessairement un discours politique. A moins qu’il ait un but politique, communautaire. En tant que tel, il cherche toujours à solutionner un problème. Pas un mot n’est superfétatoire. Pas un geste n’est superflu. Nous sommes là devant une approche du discours qui est de type pragmatique, c’est-à-dire le fait d’envisager non seulement le discours effectivement produit qui est en fait un énoncé mais aussi et surtout ses conditions de production (son énonciation). Donc, le discours est à la fois un produit (l’énoncé) et une production (l’énonciation). Pour bien comprendre le produit il faut souvent passer par la production. C’est à peu près de cela que voulait parler mon professeur d’analyse de texte en secondaire quand il nous chantait « le texte sans contexte n’est que prétexte ».
Les principaux thèmes contenus dans le discours
Le discours a abordé les thèmes suivants (présentés ici de manière non exhaustive) : la décentralisation, le contrôle des naissances afin d’agir sur la pression démographique, la lutte contre la corruption, la scolarisation universelle, la gratuité de l’école, la stabilité politique et économique, la justice sociale, la valorisation de nos patrimoines nationaux et de nos spécificités culturelles, le renforcement de la justice, l’amélioration des conditions de vie des citoyens, la question des droits et devoirs de l’Etat et des citoyens, le droit à la santé, la sécurité à tous les points de vue, le changement dans tous les compartiments de la vie nationale, etc.
Donc, une simple analyse, voire une bonne lecture suffisent pour reconnaitre que les thèmes clés sont présents. Le président a promis l’expansion et la valorisation de la culture haïtienne (qu’il considère comme la plus authentique) à travers le monde. Mais aussi à vendre les richesses culturelles nationales sur place telles nos plages qu’il présente comme les plus « belles du monde ». Mais dire qu’on a la culture « la plus authentique » du monde est l’expression d’un certain ethnocentrisme. Car qu’est-ce que l’authenticité d’une culture ou une culture authentique sinon une vue de l’esprit dans la mesure où toutes les cultures se valent et se « prévalent » ? Mais ce n’est pas grave d’être ethnocentriste. Le relativisme culturel, en principe, n’est justifié que par rapport à des faits culturels mais non par rapport aux cultures elles-mêmes en tant qu’entités complexes voire parfois abstraites. A noter que nous interprétons les objets et choses du monde à partir d’un système de perceptions et de représentations. C’est en vertu de ces perceptions que nous consacrons une culture authentique c’est-à-dire la présenter comme LA culture. Dans ce cas, on rejette ipso facto la notion d’« universaux culturels » qui seraient des éléments ou expériences qui seraient communs à toutes les cultures ou à la majorité d’entre elles.
Il est prononcé en trois langues : les deux langues officielles du pays avec une forte dominance du créole et l’anglais auquel il a emprunté une seule phrase à valeur publicitaire : « This is a new Haiti open for business now ! » Le créole marque encore des points ! Cependant, sur le plan du respect des normes de composition, il est à remarquer quelques imperfections à divers points de vue dans la mise en forme du support textuel du discours qui auraient pu être évitées. La Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’Etat d’Haïti peut être utile à ce niveau.
Pour atteindre sa cible, le président utilise un langage à la mode (langaj bredjenn !), se rapprochant ainsi de toutes les couches de la société : « …sekirite pou investisè, pou peyizan kapab pwodui pou tout moun ka kè kal, pou tout moun poze », « Brendjenn yo, ti mesye lari yo », « …Nou konnen kè m fèb pou nou », etc. sans oublier son fameux slogan de campagne qui continue encore « Tèt kale ». Plus qu’un effet de mode, c’est une technique communicative qui donne l’illusion de l’inclusion. Ajouté à cela, un langage se rapprochant de celui des militaires : « Nou te pase pran m tèt kale, pou mwen t al alaso, alaso de chanjman ».
Le président aurait-il raté l’entrée en matière ?
Le président de Repons Peyizan ne serait-il pas en arrivé à l’évidence qu’il n’est plus en campagne et où il avait une politique fictive à faire valoir en essayant à chaque fois de renforcer la naïveté et l’innocence d’un électorat dont le haut taux d’analphabétisme joue toujours en sa défaveur ? Si la campagne électorale est le lieu de la politique du « Se mwen ki pi bon », l’exercice du pouvoir est, par contre, le lieu de modélisation de moyens, de la canalisation des énergies individuelles et collectives en vue de réussir les 5 ans de gouvernance pour le bien-être de tous.
On s’attendait à entendre le président étaler les moyens de son programme politique, si politique il en avait un (!) Je m’attendais à l’entendre nous indiquer les voies et moyens que son équipe aurait déjà identifiés en vue de mettre en œuvre sa politique et résoudre les nombreux problèmes auxquels notre pays est en proie. Par exemple, il est facile de parler de la gratuité de l’école ou de sortir les enfants des rues. Mais comment faire pour y arriver ? C’est là toute l’ampleur de la question. A noter, que l’orateur n’a pas repris l’argument de la taxation sur les appels internationaux entrants et les transferts d’argent de l’étranger vers Haïti qu’il avait émis il y a deux semaines. Peut-être a-t-il admis avoir précipité et que cela se révèle insuffisant pour parvenir à cette fin. Evidemment, le gouvernement n’est pas encore établi. Mais le programme du nouveau gouvernement ne sera pas différent de la politique générale du président.
L’Haïti de 2011 n’est pas l’Haïti des temps passés. De ce fait, sa gouvernance exige des stratégies différentes. Aussi m’attendais-je à ce que le nouveau président nous étale des moyens à mettre en œuvre en vue d’une bonne gouvernance du pays. Dire qu’on a identifié un problème et qu’on veut le résoudre ne suffit pas. Il faut identifier les moyens tout en étudiant les possibilités pour les avoir effectivement. La tâche du président et de son équipe sera pharaonique. Pour l’accomplir, il faudra des efforts herculéens. On n’oubliera pas qu’il faut toujours de grands remèdes à de grands maux !
Quelques faiblesses ou manquements
Pour commencer, le nouveau président a salué tous les invités (ou presque) là où on s’attendait à ce qu’il salue les personnalités les plus hauts placées. Innovation ou erreur de protocole ? Je pense qu’il peut davantage s’agir d’une innovation. On peut imaginer que, si tous ses invités répondaient à l’appel, les salutations seraient plus pesantes que le discours lui-même, s’il ne l’a pas été dans ce présent état. On peut oser croire qu’il l’a fait dans le dessein de montrer qu’il a le soutient de beaucoup de politiques d’horizons divers, de la région Caraïbe en particulier.
Quid de la question des FAd’H ou de la force publique de sécurité ? Le vendredi 13 mai, les rues de Port-au-Prince refirent une ancienne connaissance qui est venue se mettre à son chevet : d’anciens militaires habillés de pantalons noirs et polos gris confectionnés pour l’occasion. Ils balayaient toutes les rues de la zone du Bas-Peu-de-Chose où je les ai suivis en discutant avec eux pendant une bonne demi-heure. Leur attente ? Que le nouveau président les réhabilite dans leur fonction de militaires gardiens de la sécurité et de la défense nationale. Car, n’oublient-ils pas, il avait promis la création d’une force de sécurité spéciale pour la souveraineté nationale ! En outre, certains d’entre eux croient que le nouveau président a failli être militaire donc, il va tout faire pour remettre les FAd’H sur leurs « deux pieds de militaires ». « La douleur d’un soldat raté est celle de tous les soldats ? » Cela me pousse à poser une question à laquelle je n’ai pas de réponse : « Une femme qui a accouché d’un mort-né est-elle une mère pour autant ? » Que d’illusions habitent la naïveté et l’innocence de mes compatriotes-anciens-soldats ! « Alarive sòlda ! Inosans ou twonpe ! ». Le nouveau président n’a pas dit un mot au sujet des FAd’H !
Quand l’orateur dit : « …pou jan pep ayitien se pep ki gen kouraj ; kouraj Capois Lamort ; Kouraj Dessalines ; Kouraj Michaelle Jean, Kouraj Wyclef Jean, Duma Siméus et latrye », il semble mettre dans un même panier orange et ananas. Peut-être qu’avec un peu d’explications on serait à même de comprendre la présence de certains ingrédients dans cette recette. Le mot n’a jamais un seul sens, mais dans un seul et même contexte, il ne saurait y avoir deux sens différents en renvoyant à plusieurs autres mots appartenant à une même classe grammaticale. D’un autre côté, comment saluer le courage de Dessalines et de Capois-La-Mort sans dire un seul mot à propos des Forces armées d’Haïti et de la protection de nos frontières qui sont plus que poreuses ?
Les gens vivant sous des tentes sur les places publiques n’entendent pas ce qu’ils voulaient entendre. A ce niveau, il faut bien le souligner, le discours du candidat est différent de celui du président de la République qui en arrive à l’évidence que déplacer les gens des rues à un endroit digne de leur être humain n’était pas aussi facile qu’il ne l’a été dans la conception du discours de campagne. Le président s’est contenté de mettre tout le monde dans un même sac : ouvriers, chômeurs, commerçants, marchands, ouvriers, gens sous les tentes, femmes, handicapés, Brendjenn yo, ti mesye la ri yo… en les rassurant qu’il ne les oublierait pas, que les choses allaient changer, qu’il était fait pour eux. Pour combien de temps encore le Champ-de-Mars, la principale place de la capitale et du pays aura cet aspect de Sentaniz ? Quand se refera-t-elle, enfin, une santé ? En écoutant le discours, je crois avoir entendu le président dire « moun anba tant yo ». Cependant, dans le texte qui est diffusé sur internet dont celui disponible sur le site de Le Nouvelliste (http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=92507&PubDate=2011-05-14) du 14 mai, le mot « tant » ou « tente » est absent. Dans ce cas, on pourrait comprendre que les gens vivant dans des tentes auraient été oubliés dans la préparation du discours du président et que ce dernier, l’ayant aperçu avant de prononcer son allocution l’y aurait introduit.
A propos des problèmes de l’environnement et de la question écologique en général ? Silence total et absolu ! La dégradation de l’environnement est souvent pointée du doigt pour expliquer la plupart des catastrophes naturelles (aux conséquences collectives et communautaires désastreuses) qui ont frappé Haïti ces dernières années. Ici nous ne prenons pas en considération le séisme du 12 janvier 2010, même si certains reconnaissent que certains modes de construction participent aussi de la dégradation de l’environnement et que le nombre élevé de morts à la suite dudit séisme en est une conséquence.
Le président aurait pu ne pas louer l’intervention de la communauté internationale dans les affaires intimes du pays se référant au dénouement de la crise électorale (à deux reprises). Même la modalisation « une fois de plus, une fois de trop » n’a, à mes yeux, pas atténué cette intervention qui fait voir une fois de plus que nous ne sommes guère capable de nous prendre en charge à divers point de vue. Quand on ne sait pas bien comment nommer le mal, le simple fait de le nommer est le faire exister et l’accepter comme tel ! Contrairement aux invités de Pi Lwen Pi Fon (Radio Vision 2000) du dimanche 15 mai, – le professeur Deroneth et Me Canton – je n’y vois une mise en garde de la Communauté internationale à s’immiscer dans les affaires internes du pays. Mais l’éloge, pour ainsi dire, de ce qui s’est passé.
La polémique se poursuit (?)
Des traces énonciatives de la polémique se remarquent dans le discours du président Martelly. Nous entendons par polémique une critique visant à combattre une doctrine ou une conception adverse. Elle met en présence deux individus ou institutions. Mais ce sont les individus qui l’expriment au nom de l’institution. Son mode d’expression se fait entre un locuteur et un interlocuteur présent ou absent plus ou moins identifiable. Dans le cas qui nous concerne ici le locuteur est identifié, mais la deuxième entité ne l’est pas clairement. Pour pouvoir inférer une certaine personnalité à cet allocutaire, il faut avoir suivi l’ensemble de la campagne qui a conduit à l’occasion de ce discours sans négliger aucun acteur en même temps qu’il faut considérer certains comme plus enclins à être l’objet de ce discours polémique.
Comme exemple, je considèrerai deux cas de traces énonciatives de la polémique. Quand le premier citoyen de la nation annonce que « Yon Ayiti kote tè pral labouré, kote semans ap disponib, kote dlo pral rouze plantasyon nou, kote rekolt pap gaspiyé paske ke rekòl pral fè pri… » et ajoute « Se sa ki repons peyizan yo », cela est de la polémique. Cela sous-entend qu’avant lui les terres n’étaient pas labourées, les semences pas disponibles… En outre, on peut remarquer la polémique dans la séquence où il soutient « Yo di mwen fou paske mwen di lekòl gratis »… Il en est de même pour l’énoncé : « Kanta zafè pou moun panse que Ayiti se Potoprens sèlman, e byen desantralizasyon an pral vin kanpe an fas nou ».
Parfois la polémique se formule à la première personne du pluriel à valeur inclusive où le locuteur donne l’impression de se prendre aussi en charge dans son énoncé alors qu’en réalité il n’en est rien. C’est le cas, par exemple, quand M. Martelly dit « Sa fè lontan n ap sèvi ak mizè peyi a pou nou regle zafè nou. Twòp moun sèvi ak mizè peyi a pou geri bosko yo. Fòk sa sispann ». Si on regarde bien au milieu de l’énoncé on verra que cette première personne du pluriel se transforme en une troisième personne du même nombre se référant à la fois aux anciens dirigeants haïtiens voire à la communauté internationale. C’est ce que nous appelons dans notre parler créole une « parole daki », de l’anglais « dark » (obscurité), « parler daki » étant l’équivalent de « s’exprimer en des termes voilés, obscurs ».
Nous soulignerons que l’heure n’est plus à la polémique. Elle est au travail, à la concentration des énergies, au redressement de la justice, à la justesse et la bonté de la gouvernance. Il est peut-être trop tôt pour critiquer le nouveau président de n’avoir pas le verbe de nature à préciser ses actions, sa politique, son dessein de chef d’Etat, son programme de gouvernement, son plan et son horizon d’actions pour les 5 ans de gouvernement et pour le long terme, puisque le sage nous invite à voir plus loin que le bout de notre nez. Car il est des hommes qui sont meilleurs en actions qu’en parole (et les actions valent mieux que de beaux discours ou des discours qui font plaisir à tous) ! Si tel était le cas, le pays en bénéficierait. Et c’est notamment en cela qu’il pourrait dépasser son prédécesseur. Mais si son niveau d’actions se mesurait à la pertinence de son premier discours officiel de chef d’Etat, il ne se démarquerait guère de lui et il pourrait rater le coche.
La polémique n’est pas dangereuse en soi. Mais on sait qu’elle vise davantage à la victoire qu’à la vérité ou encore la justice. Or, dans le cas qui nous préoccupe ici, la victoire ne sera complète que quand elle va avec la vérité et la justice. Nous voyons se dégager ici, encore une fois, une autre différence entre les expériences de la campagne électorale qui se prête à la polémique et l’exercice du pouvoir conquis à la faveur de ce type de campagne. Donc, s’il n’y pas rupture entre le discours du candidat et celui du président de la République, la mayonnaise pourra ne pas prendre ou pourra mettre beaucoup de temps avant de prendre.
La chute du discours est marquée par la polémique à travers les mots d’une chanson protestante où les protestants lancent une polémique à Satan, l’adversaire. Et l’orateur tout en adaptant les paroles à sa situation invite les auditeurs présents sur le lieu de « délivrance » du discours à prendre part à la formulation de cette polémique : « Ayiti yo pa vle wè a » et l’assistance répond « Se li yo va wè ! »
Il est peut-être curieux de constater que le nouveau président n’a fait allusion à aucune action menée sous la présidence du président Préval et qui vaudrait la peine d’être prise en considération ! Après la salutation rituelle et protocolaire, la seule fois qu’il a évoqué son prédécesseur qu’il a cité nommément, c’est quand il dit : « Aujourd’hui, dans le calme et la sérénité, je prends le relais du président René Garcia Préval. Comme ses prédécesseurs, il a écrit une page d’histoire, histoire de cette fille caraïbe, singulière… ». La vigueur avec laquelle il l’a dit – qui est aussi celle qu’on lui connait depuis la campagne, cette vigueur polémique – fait que certains s’attendaient à ce qu’il ajoute immédiatement une note discordante. A tel point que M. Préval, les yeux un peu hagards, se mit immédiatement à gratter la tête en regardant partout et nulle part. Merci Monsieur le Cameraman !
Cela veut-il dire que rien de sérieux n’a été réalisé sous sa gouvernance et qui mériterait que cela fasse l’objet d’une certaine continuité ? Je doute fort que cela ne puisse être le cas ! Il devrait y exister au moins une seule expérience louable ! Si tel est le cas, il faudra comprendre que le pays vient de perdre cinq nouvelles années de son histoire. S’il n’y a rien qui puisse marquer une certaine continuité, c’est que l’équipe d’avant ne dirigeait guère.
Pour ne pas conclure…
Le président se présente comme le garant de la morale et des valeurs dans/de notre société. Et cela doit être bon pour notre avenir. Aussi a-t-il laissé entendre qu’une société sans morale, une société sans valeur c’est la même chose qu’une voiture sans chauffeur. Une belle comparaison ! N’est-ce pas ? Il est donc le chauffeur. Embarquons, comme il nous y a invités ! Il nous conduira à bon port (?) De même, il se présente dans le discours comme un leader responsable. Et, si on comprend bien le discours, un leader responsable en est un qui s’acquitte de ses devoirs envers les citoyens de la cité, qui fait que l’école devienne obligatoire et gratuite, etc. Il se présente comme le garant de l’ordre et de la discipline sur toute l’étendue du territoire de la République. Ainsi soit-il ! Si sur ce plan tout se passait comme il promet, nous aurions une tout autre société après son (premier ?) quinquennat.
Je terminerai sur deux cas d’implicite, parmi d’autres, qui ont attiré mon attention. Quand le nouveau président demande à la communauté internationale de lui faire confiance, qu’il va lui offrir un nouveau leadership, une bonne gouvernance dans la transparence et l’honnêteté, cela sous-entend que son (ses) prédécesseur(s) ne pratiquai(en)t peut-être pas une bonne gouvernance ou une gouvernance qui ne se faisait ni dans la transparence ni dans l’honnêteté, que le leadership d’avant serait critiquable. De même, s’il lui demande de lui faire confiance, c’est qu’il ne serait pas naturellement digne de confiance. Cet appel à lui faire confiance se trouve au début et à la fin de son allocution. Mais comme on ne le connait pas encore comme chef d’Etat, s’il y avait quelqu’un qui, dans ce contexte, n’était pas digne de confiance, ce ne serait surement pas lui, mais son (ses) prédécesseur(s). Quand M. Martelly dit « Ayiti t ap dòmi, ebyen jodi a li pral leve kanpe », cela présuppose que son (ses) prédécesseur(s) n’ont rien fait pour « mettre le pays debout ». Si le pays dormait c’est qu’eux aussi dormaient d’un sommeil léthargique.
* Professeur d’Analyse du Discours
UEH / FLA