Extrait du discours du recteur de l’Université d’État Haïti, le professeur Vernet Henry, à l’occasion de la fête du drapeau et de l’université, le 18 mai 2011
Document soumis à AlterPresse le 19 mai 2011
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En tant que représentant de la plus grande et de la plus ancienne institution
universitaire de ce pays, je me trouve ici aujourd’hui, en levée de rideau de l’exercice
de ce mandat présidentiel pour fêter notre bicolore, symbole de notre
indépendance et pour fêter également l’Université.
Je frémis d’émotions face à ce symbole meurtri et froissé sous des bottes.
Ce drapeau porte à travers le temps et les générations successives le rappel
pathétique de nos souffrances, de nos luttes, et de cette décisive victoire qui a
consacré notre existence de peuple libre. Ce symbole matérialise, à jamais, le principe
consensuel qui a mis en place la fondation sur laquelle s’est érigée la création de cette
nation. Nous sommes, encore une fois, en ce 18 mai 2011, réunis à l’Arcahaie pour
cet historique pèlerinage de célébration et de commémoration des plus hautes valeurs
humaines, mises en évidence par l’action de nos ancêtres. La bravoure, la
transcendance d’intérêts particuliers, la solidarité et l’union ; autant de valeurs
héritées d’eux et dont il faut reprendre le culte pour orienter nos démarches de sortie
de crise et inverser la tendance de la destruction physique et morale de notre société.
L’association de la fête de l’Université d’Etat ou de l’Université tout court à celle du
drapeau est un arrimage spécial, conçu par un ministre de l’éducation du temps de la
première occupation américaine (Dantes Bellegarde), pour signifier à toute notre
jeunesse estudiantine la responsabilité de la défense des valeurs qui sous-tendent
notre République. L’université est une institution à sauvegarder. Il faut la protéger,
garantir son indépendance et son autonomie ; il faut la renforcer, pour lui permettre
de jouer son véritable rôle de pourvoyeuse de professionnels qualifiés et
responsables, constamment préoccupés d’assurer un avenir meilleur pour ce pays et
tous ses habitants.
Aujourd’hui, plus d’un an après le séisme du 12 janvier 2010, l’Université d’Etat, hormis nos établissements de province, consiste en un ensemble de bâtiments détruits à
80% et une population de « 15 mille personnes incluant étudiants, personnels
enseignants et administratifs ». Nous formons un microcosme pensant, technique et
pratique au service de la nation. La contribution de l’UEH à la nation est généralement
sous-estimée, même oubliée, parfois volontairement. Pourtant, les principaux cadres du
pays et une bonne partie de ceux évoluant à l’étranger ont été des étudiants de l’UEH.
Le moment s’y prête pour que, dans la conjoncture actuelle, un autre regard soit jeté sur
cette institution et qu’un ensemble de dispositions nouvelles soient prises pour inclure
l’UEH dans l’exécution des activités de l’Etat, voir même les prises de décision à partir
des résultats d’études ou de recherche qu’elle aura effectuée. Ce devra être un signal
fort et suffisant pour marquer la volonté d’inclusion et de changement de paradigme de
fonctionnement. Cette volonté de changement exprimée, pour être traduite en actes
palpables, interpelle la responsabilité d’universitaires, de techniciens, d’ouvriers
qualifiés et de travailleurs de ce pays. Le nouveau pouvoir devra établir des relations
avec l’UEH prête à apporter sa contribution aux activités entreprises pour la satisfaction
des besoins de notre population.
Un statut d’institution indépendante a été acquis et consacré par la constitution de 1987,
puis maintenu par la récente révision controversée de mai 2011. Cette autonomie dont
jouit l’Université d’Etat, établit divers niveaux de responsabilité distribués entre ses
Facultés, Instituts et Ecoles. Ces entités assurent une chaîne d’actions précises et
impliquent une importante quantité de gens à intérêt divers qu’il convient de gérer pour
le bien de chacun, dans le sens du bien-être de la population, voire pour l’humanité toute
entière ; Car, la production du savoir revêt cette singularité d’être au service du monde.
L’Université d’Etat organise et administre un enseignement supérieur d’une portée
stratégique indispensable pour la reprise et la croissance de la production nationale.
Notre pouvoir politique gagnerait à ne pas l’ignorer.
L’UEH vit de deniers publics, elle a donc un devoir de restitution. Notre Conseil
Exécutif a toujours pris le soin d’écrire formellement au gouvernement, de solliciter des
rencontres avec des ministres pour traiter des questions relatives à la participation de
nos diplômés et de nos structures de recherches à l’exécution de projets de l’Etat. En
tant qu’institution autonome, l’UEH est sans nul doute l’un des établissements de l’Etat
où la corruption n’a pas droit de cité. D’ailleurs, le budget qui lui est alloué se révèle
nettement insuffisant pour honorer les salaires de ses professionnels ainsi que le cumul
des arriérés et pour fournir un cadre d’apprentissage adéquat à ses étudiants. La fronde
exprimée, parfois bruyamment et souvent de manière intempestive dans certaines
facultés traduit, en plus du malaise social, la faiblesse des structures de fonctionnement
de l’UEH en termes d’espaces d’accueil, de laboratoires, de bibliothèques, de logement
et de restauration.
La lutte à mener contre l’obscurantisme, les forces du sous-développement et tous les
maux de notre société, ne peut être gagnée sans une Université d’Etat porte étendard de la
refonte et de la reconstruction d’Haïti. Notre pays doit faire de l’enseignement
universitaire un facteur indispensable de la croissance économique. Tous les pays
émergents le reconnaissent. Certaines grandes institutions internationales, non des
moindres, admettent aujourd’hui qu’elles ont eu tort, dans certaines régions du monde,
de ne pas avoir encouragé et soutenu l’investissement dans l’enseignement supérieur et
que ce dernier doit être un bien public accessible à ceux qui ont la compétence,
indépendamment de leur condition socio économique.
L’Université d’Etat dispose de réserves de sciences prêtes à être mobilisées, des
laboratoires qui demandent à être fonctionnels pour le contrôle de qualité de certains
articles de consommation courante, moyennant la reconstruction de structures adéquates.
Ne laissons plus languir nos professionnels, en les laissant abimer leur savoir et leur
savoir-faire dans des ONG sans lendemain où on dépense non pour Haïti, mais à propos
d’Haïti pour répéter un collègue.
En cet anniversaire de la création du bicolore national et de la fête de l’Université, je
saisis cette occasion solennelle pour rappeler que la construction de campus de l’UEH est
un impératif et la réforme du système d’enseignement Supérieur une des clés pour la
réussite de la nouvelle administration. Nous avons un grand intérêt à contribuer à ce
changement que nous appelons de tous nos vœux.
(…)