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Haïti-Élections : Pour un vrai débat autour de la politique migratoire

Par Wooldy Edson Louidor

P-au-P., 11 mars 2011 [AlterPresse] --- Les récentes interventions, surtout médiatiques, des deux candidats à la présidentielle du 20 mars 2011, Mirlande Manigat et Michel Martelly, lors de leurs tournées en Amérique du Nord et en République Dominicaine, pourraient bien constituer un point de départ pour un vrai débat sur la nécessité d’une politique migratoire en Haïti.

Si les deux candidats n’ont pas hésité à aborder deux aspects fondamentaux de la problématique migratoire haïtienne, à savoir les rapports haïtiano-dominicains et les déportations de nos compatriotes par les États-Unis d’Amérique, le thème reste pourtant à peine effleuré dans la campagne électoral présidentielle.

Vu la pertinence du thème migratoire pour Haïti, dont un tiers des ressortissants (plus de 4 millions sur une population de 10 millions vivant à l’intérieur du pays) se trouve dans la diaspora, on s’attendait à des propositions beaucoup plus concrètes et à une plus grande profondeur en ce qui concerne la politique migratoire haïtienne dans son ensemble.

A une semaine du second tour des élections, les deux candidats présidentiels auront-ils le temps de nous dévoiler les principaux axes de leur politique migratoire, si fondamentale pour le pays ?

Observations sur les interventions des deux candidats sur le thème migratoire

Première observation : l’ex première dame Mirlande Manigat et le chanteur populaire Michel Martelly ont abordé le thème migratoire, sous-entendant que ce thème concerne principalement la diaspora haïtienne et les principaux États de destination des Haïtiens, la République Dominicaine, les États-Unis d’Amérique et le Canada.

Seconde observation : leurs interventions se sont portées sur des phénomènes plutôt conjoncturels, à savoir : les déportations des ressortissants haïtiens par les États-Unis d’Amérique et l’état actuel des relations haïtiano-dominicaines.

Troisième observation : la teneur de leurs propositions se résume fondamentalement à des promesses (et non un programme articulé) qu’ils comptent réaliser, si l’un ou l’autre parvient à être élu.

Il faut « travailler avec le gouvernement dominicain pour améliorer les relations entre les deux pays qui partagent l’île », clame Martelly dans le pays voisin, alors que Manigat entend « négocier avec Washington pour trouver un compromis, en leur faisant comprendre que les déportations augmente le taux de criminalité en Haïti » et constitue « un fardeau supplémentaire pour le pays ».

L’objectif immédiat de l’ex première dame serait de porter l’administration américaine à adopter un moratoire sur les déportations des ressortissants haïtiens, principalement ceux ayant des casiers judiciaires.

Martelly propose, pour sa part, la réactivation de la Commission Mixte Bilatérale Haïtiano-Dominicaine comme canal institutionnel privilégié pour « prendre de bonnes décisions » concernant, entre autres thèmes, « le fait que les haïtiens sont ici (en République Dominicaine) sans papiers, sans accès à la santé, aux programmes sociaux, (…) ne sont pas reconnus dans la société (et sont victimes de) déportations ».

Quatrième observation : la voie que les deux entendent choisir pour mettre en œuvre leurs propositions est le dialogue et la négociation.

Manigat essaierait de convaincre les autorités américaines en leur expliquant que le pays fait face à une surpopulation carcérale, qu’« il n’y a pas de mécanisme d’accueil de ces haïtiens et il n’y a pas non plus de moyens ».

Pour sa part, le chanteur populaire Martelly privilégierait la voie du dialogue pour harmoniser les rapports haïtiano-dominicains. Il entend aussi renforcer les institutions haïtiennes et réactiver la Commission Mixte Bilatérale pour aborder les problématiques binationales.

Des interventions plutôt conjoncturelles

Les tournées et interventions des deux candidats présidentielles en Amérique du Nord et en République Dominicaine surviennent dans une conjoncture bien particulière. La candidate Mirlande Manigat s’est rendue du 3 au 7 mars dernier au Canada et ensuite aux États-Unis d’Amérique, alors que Michel Martelly était en visite en République Dominicaine le 28 février.

Il y a lieu de souligner ces deux principaux faits récents : d’une part, la mort d’un ressortissant haïtien dans une prison d’Haïti, une semaine après sa déportation par les États-Unis d’Amérique le 20 janvier 2010 ; d’autre part, les expulsions violentes de migrants haïtiens dans la matinée du 28 février dernier par des groupes communautaires dominicains de quelques quartiers de Santiago de los Caballeros.

D’un côté, la Commission Interaméricaine des Droits Humains (Cidh) de l’Organisation des États Américains (Oea) et des organisations de défense des droits humains des migrants ont exigé que l’administration américaine arrête les déportations de ressortissants d’origine haïtienne vers leur pays d’origine.

De l’autre, des organismes de droits humains et même l’Ambassade étasunienne en République Dominicaine ont dénoncé le laxisme des autorités dominicaines face aux groupes extrémistes, tout en le sommant de veiller au respect des droits humains des migrants haïtiens.

À souligner que les rapports haïtiano-dominicains ont connu des moments de tension, depuis la découverte du choléra en Haïti à la mi-octobre dernier. La lutte des autorités dominicaines contre la propagation du choléra dans leur pays a été accompagnée d’une chasse aux haïtiens. Dans ce contexte, des groupes extrémistes dominicains ont profité de l’occasion pour expulser les haïtiens de leurs communautés.

Le risque de mettre la charrue avant les bœufs

En abordant le thème migratoire à l’étranger et sur des problèmes plutôt conjoncturels, les deux candidats risquent de « mettre la charrue avant les bœufs ».

L’État haïtien a besoin, avant tout, d’adopter une politique migratoire cohérente accompagnée d’une diplomatie efficace et coordonnée.

Les négociations avec les gouvernements américain et dominicain en la matière devraient se situer dans les grandes lignes de cette politique migratoire qui articulerait des propositions concrètes et en profondeur en termes de mesures ponctuelles, de mécanismes institutionnels, d’instruments légaux et d’accords bilatéraux ou multilatéraux sur des thèmes communs.

Parmi ces thèmes pourraient figurer la régulation du flux migratoire, le contrôle frontalier terrestre, maritime et aérien, les différents échanges binationaux, la coopération bilatérale pour lutter contre la traite, le trafic et d’autres formes de criminalité transnationale, pour protéger les droits humains des citoyens de chaque pays, l’élaboration (ou l’application et la révision) d’accords pour les mécanismes de rapatriement…

Vu l’ampleur et la complexité des flux migratoires haïtiens et leur impact négatif (avouons-le) sur les rapports d’Haïti avec les autres pays de destination des haïtiens, il s’avère de plus en plus nécessaire d’engager un vrai débat sur la politique migratoire haïtienne. Si l’origine de la migration haïtienne part est Haïti, la solution doit également provenir du pays.

Donc, il faudrait adopter une politique migratoire qui soit à la hauteur de la complexité des flux migratoires haïtiens, pas seulement vers l’Amérique du Nord et la République Dominicaine mais aussi l’Amérique Latine et l’Europe (voire l’Afrique). Il faudrait également réveiller la diplomatie haïtienne en sommeil depuis presqu’une décennie. [wel gp apr 11/03/2011 04 :00]