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HaitiWebdo, numero 60

La situation sociopolitique haïtienne est toujours sur la pente de la dégradation. La perspective d’une issue à la crise conjoncturelle née des élections controversées de l’année 2000 demeure hypothétique. Le pays balance entre velléité de négociation politique et mobilisation tous azimuts pour débarrasser le pays du régime lavalas. Les pays dits " amis " d’Haïti jouent sur les cordes de l’attentisme et de la légitimation. La presse indépendante est sur la corde raide.

HAà TI : LE TEMPS DES INCERTITUDES

Par Vario Sérant

Alors que l’OEA qui a conduit plus d’une vingtaine de médiations infructueuses dans la crise haïtienne depuis les élections contestées de l’année 2000 garde ces derniers temps un profil bas, son partenaire d’infortune, la Caricom, occupe cette semaine les devants de la scène avec une séance de travail aux objectifs ambigus avec l’opposition sociopolitique haïtienne prévue les 20 et 21 janvier 2004.

La Communauté des Caraïbes prévoirait de rencontrer ultérieurement le Chef de l’Etat haïtien Jean Bertrand Aristide.

« Il n’y a pas lieu de parler de négociation », ont rétorqué les membres de la Plateforme Démocratique de la Société Civile et de l’Opposition à leur départ ce 20 janvier pour les Bahamas.

Selon le secrétaire général de la Fédération Protestante d’Haïti, Edouard Paultre, la plateforme se limitera à « renseigner les dirigeants de la Caricom sur la dégradation de la situation sociopolitique et exposer son point de vue sur la voie royale pour résoudre la crise ».

Cette voie, l’opposition sociopolitique l’a martelé, c’est le départ du pouvoir de Jean Bertrand Aristide.

N’empêche que les étudiants de l’Université d’Etat d’Haïti, fer de lance de la contestation du régime lavalas depuis le raid sanglant des hordes de partisans de Jean Bertrand Aristide contre l’espace universitaire le 5 décembre 2003, ont les participants à cette réunion à l’oeil.

L’inquiétude des étudiants est motivée par le fait que l’OEA et la Caricom sont perçues dans l’opinion haïtienne comme des alliés de Jean Bertrand Aristide.

Après sa participation aux festivités officielles du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804, le Premier ministre des Bahamas, Perry Christie, avait déclaré que Jean Bertrand Aristide demeurait très populaire dans son pays et que c’était un petit groupe de personnes qui réclamait son départ.

Un intellectuel haïtien, l’historien Michel Soukar, a appelé l’opposition sociopolitique haïtienne à faire preuve de vigilance, craignant que la Caricom ne cherche, à travers la réunion des Bahamas, à créer une fissure au sein de l’opposition à Jean Bertrand Aristide.

Pour sa part, le secrétaire d’Etat à la communication, Mario Dupuy, qui fait office de porte-parole du gouvernement, prétend que la plateforme démocratique n’a pas divulgué au public les véritables motifs de sa mission aux Bahamas. Car, il est toujours difficile, a-t-il dit, de se déjuger « quand on a été sur une position extrémiste sans avoir les moyens de sa politique ».

Lors de sa participation au sommet des chefs d’Etat de Monterrey, au Mexique, les 12 et 13 janvier dernier, le président Jean Bertrand Aristide, qui souhaite achever son mandat quinquennal en 2006, a promis la tenue d’élections législatives en Haïti dans les prochains six mois.

En réaction, l’opposition, à travers l’ancien maire de Port-au-Prince Evans Paul, avait estimé que de tels propos étaient destinés à la consommation internationale et que « ces paroles n’engageaient que Jean Bertrand Aristide vu qu’il est considéré comme hors-la-loi par les secteurs vitaux de la société haïtienne ».

Auparavant, le 18 décembre 2003, le chef de l’Etat avait épousé tardivement une proposition de sortie de crise présentée le 21 novembre 2003 par la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH), instante dirigeante de l’Eglise Catholique Haïtienne.

Cette velléité manifestée par Aristide avait aussitôt été assimilée par l’opposition sociopolitique à une tentative désespérée de celui-ci de se maintenir au pouvoir.

Outre le régime lavalas, la résolution de l’Eglise Catholique avait reçu les faveurs de pays dits « amis » d’Haïti dont les Etats-Unis, à travers le secrétaire d’Etat Colin Powell, et la France, par l’organe de son ministre délégué à la coopération et à la francophonie, Pierre André Wiltzer.

Cependant, cette proposition de sortie de crise paraît aujourd’hui morte et enterrée, la Hiérarchie de l’Eglise Catholique ayant admis la difficulté de sa mise en application en regard de l’escalade de la violence.

« L’Eglise avait de bonne foi présenté à la nation le 21 novembre 2003 une proposition conjoncturelle de sortie de crise. Malheureusement, depuis le 5 décembre 2003, nous assistons à une escalade de la violence, une insécurité croissante qui ont créé une situation intenable dans le pays au point que des secteurs invités à participer à la recherche de solution refusent maintenant de prendre part à toute négociation », soulignent les évêques.

Les prélats ajoutent que le climat actuel contraste avec l’appel au dialogue et à la paix lancé par le pouvoir.

L’opposition a qualifié de courageuse la position de l’Eglise Catholique, tout en invitant celle-ci à être encore plus clair en demandant sans détour la démission de Jean Bertrand Aristide.

Le pouvoir a quant à lui minimisé la décision des évêques. Selon Dismy César, conseiller du chef de l’Etat, « une fois qu’elle a été présentée à la nation, la proposition du 21 novembre n’est plus la propriété exclusive de l’Eglise. Elle peut par conséquent servir de base de discussions pour la résolution de la crise politique ».

Mais toute la question est : « comment négocier quand il ne vous reste plus d’interlocuteurs (haïtiens) », notent des observateurs.

Le groupe de Rio, comprenant dix-neuf pays d’Amérique Latine s’est montré ce 21 janvier préoccupé par la crise politique en Haïti et a, à travers un communiqué du ministère brésilien des affaires étrangères, convié les acteurs politiques à ouvrer pour une solution pacifique.

Le régime de Jean Bertrand Aristide fait face à une contestation sans précédent qui gagne chaque jour en ampleur.

Des manifestations anti-gouvernementales quasi-quotidiennes se tiennent dans diverses régions du pays.

Deux villes, Gros-Morne et Saint Michel de l’Attalaye (Artibonite, centre-ouest), échappent depuis environ une semaine au contrôle des autorités, selon des sources concordantes, alors que d’autres prennent des allures d’une poudrière.

C’est le cas par exemple aux Gonaïves où l’opposition armée cantonnée dans le quartier de Raboteau, ancien fief de Amiot Métayer (chef de bande lavalas retrouvé assassiné en septembre 2003 et dont les partisans attribuent la mort au régime de Jean Bertrand Aristide) continue de défier la police.

Ce 20 janvier, des partisans de cette opposition armée (le front de résistance pour le renversement de Jean Bertrand Aristide, ci-devant armée « cannibale »), ont lynché (exécuté sommairement) un indicateur de police, un attaché prénommé Wilson et mis le feu au commissariat de police mobile installé sur la Place d’Armes des Gonaïves.

La situation n’est pas moins explosive à Saint Marc où des violences politiques ont fait le 11 janvier dernier un mort par balles, plusieurs blessés, six maisons et trois automobiles incendiés.

Le pays fonctionne au ralenti. La réouverture des classes qui devait être effective depuis le 7 janvier ne l’est toujours pas. Les portes de nombreux établissements scolaires de la capitale et de certaines villes de province demeurent toujours fermées alors que d’autres fonctionnent avec un effectif réduit.

Le Collectif Non, un regroupement d’artistes et d’intellectuels pour la défense des libertés, dit craindre une insurrection générale en Haïti, tenant compte de la violence répressive exercée de façon systématique par le pouvoir sur la population civile.

Amnesty International a, dans un communiqué transmis à Alterpresse ce 19 janvier, exprimé sa vive préoccupation face à l’ampleur de la violence en Haïti et appelle au respect des droits fondamentaux des haïtiens.

L’organisme de défense des droits humains presse le gouvernement haïtien d’entamer une enquête sérieuse et indépendante sur les violations des droits humains, la répression des manifestations anti-gouvernementales et les attaques contre les journalistes et la presse indépendante perpétrées durant ces dix derniers jours.

Le 13 janvier dernier, un commando armé avait saboté, à l’aide notamment de masses et de marteaux, les émetteurs d’une dizaine de stations de radio sur le site de Boutiliers, dans les hauteurs de Pétion Ville (banlieue sud-est de la capitale d’Haïti).

Le président directeur général de Radio Kiskeya, l’une des stations victimes, Sony Bastien a divulgué les noms des neuf individus ayant participé à cette action criminelle et affirmé qu’ils sont liés à un ancien député du parti au pouvoir, Simson Libérus. Ceui-ci a rejeté cette accusation.

« Ce gang a agi sur ordre d’un autre proche de Jean Bertrand Aristide, Jean Claude Jean Baptiste, un ancien directeur de la Police Nationale d’Haïti », a révélé pour sa part le sénateur dissident lavalas Dany Toussaint.