Prise de position du Collectif Non
20 janvier 2004
Soumis a AlterPresse le 20 janvier 2004
Travaillant dans le souvenir ou découvrant seulement aujourd’hui les échos de l’immense popularité dont jouissait Jean Bertrand Aristide au début de la décennie 90, certains journalistes et/ou organes de presse étrangers, certains représentants de la communauté internationale basés en Haïti, ont tendance à minimiser à la fois l’ampleur et la nature de la contestation au pouvoir lavalas. Le fait est que tous les secteurs organisés de la société civile, de l’association paysanne à l’ordre des avocats, de l’organisation de femmes au syndicat, sur toute l’étendue du territoire, concluent que l’avenir d’Haïti requiert le départ du pouvoir lavalas. Toutes les formations politiques abondent dans le même sens. C’est donc l’ensemble des organes représentatifs de la nation, dans ses dimensions sociale et politique, qui exigent le départ du pouvoir lavalas.
Les conséquences de ce refus généralisé sont telles que le pouvoir ne peut pas gouverner. La nation ne lui reconnaît ni autorité ni légitimité et n’obéit pas à ses injonctions. Chaque jour le pays s’enfonce dans le chaos et dans une crise institutionnelle sans précédent.
Perpétuation du chaos
Un argument soutenu par certains représentants de la communauté internationale basés en Haïti est que l’après Aristide, si le président n’achève pas son mandat, peut déboucher sur le chaos. Or, la société haïtienne est en plein dans le chaos. Toutes les institutions administratives et de service sont en situation de dysfonctionnement. Les structures et règlements internes de ces institutions ont sauté. Il n’y a aucune transparence dans l’utilisation des fonds publics. Le pouvoir lavalas ne gère plus rien, sinon sa propre survie. Il est condamné, pour se perpétuer, à perpétuer le chaos, à opérer une perversion des institutions, soit en doublant les structures étatiques d’une structure parallèle à l’exemple du couple milices / police nationale ; soit en détournant les institutions de leur vocation, à l’exemple des fonds de la TELECO affectés au paiement des milices et à leurs équipements à des fins de répression, soit en brisant les chaînes de commandement de la hiérarchie administrative. Le maintien de Lavalas au pouvoir dans ces conditions ne peut que déstructurer davantage l’Etat et miner par-là même les fondements de la société.
Violence répressive
La légitimité du pouvoir Lavalas étant contestée par la nation, son autorité étant niée, il ne lui reste que la violence répressive et chaotique pour se perpétuer. Certains secteurs de la communauté internationale ont tendance à minimiser l’ampleur de la violence répressive. La violence du pouvoir s’exerce de manière quotidienne contre l’ensemble de la population. Les formes les plus répandues de cette violence sont :
1) l’exercice de la violence dans la vie civile, affectant les droits de la personne et le droit de propriété ; nul citoyen n’est à l’abri d’exactions : viols, enlèvements, spoliations, exil, restriction de la liberté de circulation par le refus de délivrer des passeports ou l’interdiction de départ de certains fonctionnaires publics, exécutions sommaires ;
2) l’arbitraire au service de la corruption : le Président dispose à sa guise des fonds publics à des fins de clientélisme politique et d’enrichissement personnel. Les normes administratives systématiquement violées au détriment d’adversaires politiques réels ou virtuels : révocation, pots de vin, manoeuvre d’intimidation de fonctionnaires.
3) L’ « invisibilité » de la répression : l’usage de véhicules sans plaque d’immatriculation, avec des vitres filmées, le port de masque par des policiers indiquent clairement l’utilisation de la police à des fins criminelles par le pouvoir Lavalas. Ces pratiques attestent l’éloignement de la police de sa mission première qui est de protéger et servir.
La contestation, née des élections de mai 2000, s’est amplifiée depuis le 5 décembre 2003, lors de la répression exercée contre les recteur, vice-recteur et étudiants de l’Université d’Etat. Depuis, il ne se passe une semaine sans qu’il n’y ait des manifestations de rues sur tout le territoire regroupant des milliers de citoyens. Il convient de souligner, malgré la répression de proximité exercée par les civils armés à la solde du pouvoir dans les quartiers populeux, la participation de ces agglomérations, tantôt en se joignant directement aux manifestations, tantôt sous forme d’accueil de manifestants réprimés, de mise à disposition d’informations sur l’identité des miliciens, au risque de leur vie.
L’impunité
L’impunité constitue l’une des caractéristiques essentielles du fonctionnement du régime lavalas. Des partisans du pouvoir fracturent les genoux du recteur, matraquent un vice-recteur et des étudiants dans l’enceinte même de l’université : les personnes qui ont revendiqué leurs actes n’ont pas été interpellées ni même inquiétées . De même la presse est bâillonnée, des journalistes persécutés ou mis à mort : cela ne donne suite qu’à des poursuites judiciaires bancales. A chaque manifestation contre le régime de terreur, des blessés, parfois des morts, sont enregistrés sans que les coupables ne soient inquiétés. On a même vu des têtes tranchées et des corps sans tête étalés dans les rues de la capitale sans la moindre réaction, sans aucune tentative d’identification des victimes, voire des coupables, par les autorités constituées. Violence et impunité constituent le lot quotidien des citoyens et sont érigées en système politique.
Tendance à l’insurrection générale
De plus en plus isolé, en net déficit de légitimité, le pouvoir Lavalas se dresse ouvertement contre une population résolue et déterminée à affronter tous les dangers pour l’institution d’un Etat de droit en Haïti. Des poches de résistance se constituent dans les villes de province et à Port-au-Prince pour dire non à l’arbitraire et à la dictature. Certaines villes du pays ont pris leur autonomie par rapport au pouvoir central. Le risque d’une insurrection générale est manifeste.
La communauté internationale, en recommandant à la nation haïtienne une sortie de crise par la cohabitation, conforte le pouvoir Lavalas dans sa folie sanguinaire, prolonge la durée de cette crise et fait augmenter inutilement le nombre des victimes. A la limite, cette posture de la communauté internationale ne fait que renforcer la menace d’un éclatement social.
Le caractère extraordinaire de la violence d’Etat, la nature despotique et tyrannique de ce pouvoir excluent toute possibilité de construire ensemble la démocratie et un Etat de droit.
L’alternative
Face à ce pouvoir qui ne gouverne plus et qui n’a désormais que la capacité de réprimer, il s’agit, pour assurer la continuité de l’Etat et la survie de la nation, d’instituer un pouvoir transitoire capable de créer des conditions propices à l’organisation d’élections. La formule proposée par l’ensemble des secteurs organisés de la société - encore qu’elle puisse faire l’objet de quelques modifications - a le mérite d’être le produit d’un consensus et a déjà fait ses preuves dans l’histoire récente d’Haïti.
Port-au-Prince 20 janvier 2004
Pour le Collectif NON
Magali Comeau Denis
Syto Cavé