Débat
Par Gary Olius *
Soumis à AlterPresse le 28 janvier 2010
Nous ne sommes pas de ces nationalistes qui courent les rues répétant à tout passant étranger que « Haiti, la terre de Dessalines, n’est pas à vendre », car ces gargarismes ont fait leur temps et tendent à disparaitre avec ceux-là qui y puisaient un avantage politique à les ressasser. Nous ne sommes pas de ceux qui croient que les étrangers sont des saints ou des philanthropes totalement désintéressés qui sont venus en Haiti avec la seule intention de sortir notre pays de la misère, laquelle misère est collée à notre pays par la presse internationale comme marque de fabrique. Nous ne sommes non plus de ceux qui encensent sans mesure la communauté internationale quand elle s’aligne sur leurs positions politiques démagogiques et qui la diabolise quand elle fait le contraire. En fait, nous sommes de cette minorité singulière et atypique qui croit, dur comme fer, que seuls les haïtiens peuvent sortir Haiti du merdier dans lequel les politicards des dernières décennies l’ont enfoncée. Nous sommes convaincus que, pour cela, il est indispensable de mettre en place un Etat Fort. Oui, un Etat avec grand « E » (comme dans Efficace et Efficient) capable de servir de point d’appui à l’érection d’une société forte et d’un vrai secteur privé national, persévérant, honnête et viable.
Cette croyance et cette conviction intime – somme toute impopulaire – nous génèrent beaucoup de souffrance, car elle ne peut faire recette dans ce milieu où règne sans partage le panalphabétisme, l’attachement indéfectible à l’assistanat international et la xénofolie , lesquels font du coopérant étranger un démiurge avant même qu’il mérite d’être un vrai humain.
En effet, comment ne pas souffrir atrocement en s’efforçant de cultiver une telle vision des choses, pendant que les dirigeants et les élites refusent de faire le contrepoids nécessaire à un équilibre salutaire entre la velléité irrépressible des coopérants de coopérer comme ils veulent et une détermination véritablement nationaliste à préserver l’essentiel, c’est-à-dire d’empêcher que la République soit vilipendée et trainée dans la boue. Comment ne pas se sentir réduit en voyant que ces derniers contrôlent tout : nos ministères, nos hommes politiques, notre calendrier électoral, ce que mange notre peuple et même nos nuits de sommeil. Nous ne citons que ça, juste pour rester strictement dans ce qui représente le minimum-minimorum de l’exercice d’une souveraineté.
Sans risque d’être contredite, une fraction de la communauté internationale tranche – comme bon lui semble – dans nos mésententes. Et pis est, elle impose certaines fois son ignorance comme science. Et, en cela, la plus grande preuve vient d’être donnée à l’occasion du conflit ante et postélectoral. C’était absolument clair et évident qu’il était techniquement impossible d’organiser des compétions électorales acceptables à moins d’un an du tremblement de terre qui a ravagé le pays. Mais, en dépit de cette évidence déconcertante, la volonté immodérée des hommes et femmes du pouvoir de continuer à avoir pignon sur rue, même à l’échéance de leur mandat leur a inspiré l’idée d’établir une corrélation entre le décaissement des fonds par les bailleurs et la réalisation d’élections, peu importe la façon. Pour le malheur du pays, cette velléité s’est retrouvée automatiquement en phase avec le désir de cette communauté internationale d’utiliser ces ressources comme un instrument pour trainer les décideurs par le bout du nez, là où elle veut. Il en est résulté un pacte de facto – du style « tu grattes mon dos, je gratte ton dos » - bâti sur le sable mouvant des faiblesses institutionnelles notoires du Conseil Electoral Provisoire.
Et pour cause, à la mi-journée du 28 novembre 2010, ce pacte a reçu un grand coup quand les deux supposés vainqueurs actuels ont été les premiers à crier au scandale et demander depuis les toits en terrasse l’annulation pure et simple des élections, au grand dam de la Minustah qui en parlait comme d’une fête démocratique. Les résultats, on le sait, ont été ce qu’ils étaient et le pouvoir – pour sauver ses relations privilégiées avec la communauté internationale (la seule instance qui légitimait ses actions) – s’est arrogée l’outrecuidance de demander à l’OEA de venir contre-expertiser le travail réalisé par le CEP. Un appel du pied de plus pour la justification a posteriori de la grande mascarade. Mais c’était bien compté mal calculé, car on a oublié que même la ruse la mieux ourdie pouvait nuire à son inventeur et faire retomber la perfidie sur son auteur. Contre l’attente des hommes et femmes de pouvoir, l’OEA en a profité allègrement pour sauver sa réputation, redorer son blason et effectuer une ultime tentative pour recouvrer sa virginité politique perdue en Haiti depuis les joutes de 2005. Misant sur son double chapeau de juge et parti, elle a publié un rapport qui a eu, dans les milieux gouvernementaux, l’effet d’un pavé dans une marre. Mais tout compte fait, le vrai perdant dans ce jeu de coquins et de crétins, c’est la République d’Haiti.
Quoiqu’on dise, les experts recrutés pour la circonstance étaient à la hauteur de leurs taches. Quoiqu’on dise, les experts n’étaient pas aussi libres qu’on le pense. Quoiqu’on dise les experts ont réussi à démontrer ce qu’ils n’ont eu pas le courage et la liberté de conclure. Sur ce dernier point, personne ne peut nous faire croire que l’expert en statistiques de l’OEA n’était pas à même de comparer le nombre total de procès-verbaux éliminés (ou le nombre de votes non pris en compte) avec l’écart-type des scores de tous les candidats ou même l’écart entre les deux candidats en conflit. Nous n’osons pas croire qu’en pourcentage, le nombre des ces votes n’excède pas 1% ou la différence conflictuelle séparant Sweet Micky et Ti Jude. Nous n’osons pas croire que la quantité de ces votes, supérieure à l’écart-type des candidats en compétition ne serait pas ne nature à entacher la validité du scrutin. Nous n’osons pas croire, non plus, que l’on soit forcé de boire une bouillie salée et exagérément sucrée, sous le ridicule prétexte qu’elle a couté très chère, même si l’on soit diabétique et hypertendue.
Et maintenant que les convives de la « fête électorale » sont à couteaux tirés, ils ont passé de la divagation diplomatique au marchandage tout court. Chacun, à sa manière. D’un coté, il y a la menace de tout foutre en l’air, en faisant revenir au bercail ou en remettant politiquement en selle ceux-là que ceux d’en face ont laissé pour mort et en invalidant la mascarade concoctée. De l’autre, on brandit la menace de sanction économique et d’annulation de privilèges. Le rapport de force étant disproportionné, le bras de fer ne devrait pas durer longtemps. D’autant plus que le temps qui courre sans pitié joue uniquement en faveur d’un seul camp. L’exigence de capitulation est plus qu’une évidence et, disons-le une fois de plus, au-delà d’un homme c’est la République qui va être à nouveau dépréciée.
En fin de compte, tout ce jeu macabre nous parait gratuit et devrait être évité ; du moins si nous avions eu une élite politique digne et des dirigeants qui avaient le sens du sacrifice et un brin d’amour pour la Patrie. Les coopérants étrangers viennent en mission, se réunissent, dépensent des centaines de millions (voire des milliards) et pavoisent, mais les victimes du séisme sont encore sous les tentes et la grande majorité de la population trime toujours dans la misère. Oui, à ce stade, il ne nous reste plus rien. Nous avons tout perdu, même notre dignité de nation. Nous sommes devenus désormais l’emblème de la pauvreté endémique, de l’échec, du naufrage socio-économique et de tout ce qui va avec. A qui cela peut faire mal ? Uniquement à nous, haïtien(ne)s. Donc, à nous aussi de nous relever la tête et de prendre en main le développement de notre pays avec ou sans l’aide internationale.
* Economiste, specialiste en administration publique
Contact : golius_3000@hotmail.com