Débat
Par Guy Pierre *
Soumis à AlterPresse le 27 janvier 2010
1. La situation nationale s’est considérablement aggravée avec le débarquement inopiné, le 16 janvier dernier, de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier à l’aéroport international. Et ce d’autant qu’au lieu d’émettre immédiatement contre lui un mandat d’arrêt et le faire emmener directement en prison, ce qui aurait montré que la nation n’entend pas revivre les années noires de 1957-1986, le gouvernement a fait accompagner M. Duvalier à son hôtel par une escorte policière. Depuis, la question des élections est reléguée au second plan de l’actualité. Un débat sur les crimes commis par celui que le peuple a chassé du pouvoir le 7 février 1986 est lancé.
2. Ce débat interpelle les citoyens et citoyennes sur l’un des principaux problèmes de base que la nation doit résoudre pour pouvoir avancer, le problème de la justice. La nation ne peut encore trouver un moyen pour l’aborder sérieusement et punir tous ceux qui pillent les caisses de l’Etat, qui assassinent des citoyens, qui exploitent impunément les biens publics ou qui s’enrichissent par la contrebande. Un nombre réduit d’individus et de parasites de toutes sortes, fortement liés aux différents gouvernements en place, s’y opposent. Les arguments qu’avancent les avocats de l’ancien dictateur le montrent. Les banalités également que le Président de la République a dévidées en terre voisine. Du reste, tout comme les avocats de l’ancien dictateur et certains hommes politiques et intellectuels, le gouvernement ne veut pas que justice soit rendue. Il cherche à banaliser l’affaire et compte pour cela sur plusieurs facteurs.
3. Il faut encourager tous ceux, toutes les victimes des sévices des hordes des Duvalier à porter plainte contre le tyran et à réclamer son arrestation en faisant pression sur l’Etat pour qu’il assume ses responsabilités, c’est-à-dire qu’il déclare, avec l’appui de toute la nation, que les crimes commis par Jean-Claude Duvalier ne sont pas prescriptibles et qu’il doit être jugé, comme les dictateurs argentins des années 70-80. La nation réclame justice. De nombreuses voix internationales l’appuient et lui demandent d’agir.
4. Mais il y a plus grave. Contrairement à ce que l’on pourrait comprendre, après le coup manqué de Roger Lafontant en 1990, les duvaliéristes n’ont pas renoncé à l’idée de se réinstaller au pouvoir. D’ailleurs certains d’entre eux ont publié récemment des ouvrages et des affiches visant à présenter la période de 1957-1986 d’une façon différente de celle que l’histoire matérialise dans les ouvrages « Papa Doc et les Tontons macoutes et le Prix du sang » de Bernard Dietrich, ou Les Comédiens de Graham Green. On notera par ailleurs avec intérêt que Jean-Claude Duvalier et le candidat Martelly ont les mêmes conseillers juridiques...
5. Il ne faut sans doute pas se hâter de conclure, mais la coïncidence surprend. Elle mérite d’être expliquée. Les souvenirs des relations de « bamboche » d’autrefois peuvent sans doute aider à le faire. En tout cas, une chose est certaine : M. Duvalier entend trouver, selon le premier discours qu’il a prononcé, un poulain pour réhabiliter totalement son père et le régime déchu. Le chanteur serait le candidat parfait.
6. Toutefois la stratégie des duvaliéristes pour se réinstaller au pouvoir ne se limiterait pas seulement à la possibilité de conquérir le candidat classé troisième dans les résultats préliminaires du CEP. Le camp de Jude Célestin, peut aussi, s’il reste dans la course, leur servir de marche-pied. Ceci en raison du fait que le groupe qui l’appuie est un ramassis d’aventuriers en quête d’argent et de miettes de toutes sortes. Ils sont disponibles. Certains secteurs de Lavalas également, et ce d’autant qu’ils peuvent en profiter pour signer avec les duvaliéristes un accord sur le retour d’Aristide au pouvoir.
7. Comme nous le voyons donc, la situation est extrêmement complexe. La nation se trouve brusquement à nouveau, c’est-à-dire comme en 1990, face au danger du retour au pouvoir de ceux – les Mme. Max Adolphe et les Luc Désir - qui l’ont empêché brutalement, par sadisme et cynisme, d’accroître et d’améliorer, pendant la deuxième moitié du XXe siècle, « le peu » qu’elle avait accumulé durant la Deuxième Guerre Mondiale et la Guerre de Corée.
8. Il faut barrer la route aux duvaliéristes. Leur retour au pouvoir par le biais du chanteur ou d’un lavalassien quelconque aggraverait davantage encore la crise dans laquelle le pays se trouve. Le pillage des caisses de l’Etat augmenterait, des centaines de milliers d’enfants continueraient à être privés d’école, les compatriotes qui vivent sous les tentes depuis le tremblement continueraient à y croupir, le système de production national ne pourrait pas reprendre, les grandes questions foncières et d’irrigation retomberaient dans l’oubli, le coût de la vie ne diminuerait pas, le nombre déjà impressionnant de sans travail et de chômeurs augmenterait, le mouvement d’exode de cadres et de travailleurs à l’étranger s’intensifierait, aucune politique de recherche et de formation de cadres de haut niveau ne pourrait être envisagée. L’Etat ne pourrait aborder la refonte du système d’enseignement universitaire, le déficit du système de santé par rapport aux besoins de la population augmenterait, le taux de mortalité infantile ne diminuerait pas. Bref, le pays accélérerait sa marche à reculons, les principaux acquis politiques du 7 février 1986 et du 29 mars 1987 seraient remis en cause.
9. En somme, dans l’hypothèse d’une réhabilitation du duvaliérisme, l’étranger continuera à définir d’autorité la politique du pays, à définir ses priorités, à soutenir son budget par de petits appoints de misère, à lui dicter des ordres sous forme de recommandations, bref à contrôler et à orienter son destin.
10. Nous devons éviter ce scénario, et il nous est possible de le faire en nous mobilisant, en obligeant la justice à reconnaître les plaintes des citoyens contre Jean-Claude Duvalier et à le juger, en dénonçant toutes les formes de financement occulte des campagnes des candidats populistes et toutes les formes de tractations éventuelles que les secteurs duvaliéristes et populistes s’apprêteraient à entamer dans les prochains jours avec le CEP et le président sortant, en obligeant, enfin, la communauté internationale à ne pas forcer les résultats des élections. Le pays ne peut pas retourner aux années macabres des Ti-Boulé et des Roger Lafontant ou des Zakari-Delva et Gracia Jacques. Il doit aussi mettre fin à la longue période anarcho-populiste et néolibérale de Préval-Aristide et définir, de manière souveraine et dans un cadre unitaire et patriotique, un véritable processus d’institutionnalisation politique et de progrès économique.