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Haïti-2010 : Sombre panorama social

Par Gotson Pierre

Pour AlterPresse et America Latina en Movimiento *

P-au-P., 28 déc. 2010 [AlterPresse / Alai] --- Le panorama social s’est assombri durant les derniers mois en Haiti où les effets du tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 2010 se conjuguent à des faiblesses récurrentes en matière de services sociaux de base et l’absence d’une politique adéquate pour faire face à la situation.

L’exclusion s’est accrue avec les difficultés d’accès notamment à la santé, au logement, à l’éducation, au travail et à l’alimentation, soit comme conséquence directe du tremblement de terre, soit à cause de déficiences du système en place.

Un malheur de plus

L’épidémie de choléra qui s’est déclenchée dans le pays à la mi-octobre a mis à nu l’incurie des équipes successives qui ont eu les rennes du pouvoir durant plusieurs dizaines d’années.

La maladie, apparue dans le Plateau Central (est), s’est rapidement propagée dans les 10 départements faisant, suivant les chiffres officiels de la mi-décembre, plus de 2600 morts, alors qu’environ 115.000 personnes ont été contaminées.

Une polémique persiste sur l’origine de la maladie et le contingent népalais de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti (MINUSTAH) est mis en cause par la population. Les militaires du Népal, qui a connu des poussées de choléra, sont soupçonnés d’avoir déversé des matières fécales dans un fleuve qui traverse la région où les premiers cas ont apparu.

Au-delà des responsabilités à fixer dans cette question fondamentale, ce qui saute aux yeux c’est l’abandon dont est victime la majeure partie de la population, qui vit dans l’insalubrité la plus totale, sans accès à l’eau potable et à des latrines.

Des opérations d’urgence ont été mises en œuvre afin de distribuer de l’eau, du chlore, des médicaments et des sacs mortuaires dans plusieurs régions, tandis que des campagnes de sensibilisation de la population au respect des principes d’hygiène ont été initiées à la va-vite.

Très rapidement, les autorités locales ont été complètement dépassées et structures d’ONG ou de la coopération internationale se sont empressées d’étendre leurs services d’urgence dans les régions les plus touchées, au moment où l’on craint 400.000 cas d’infection dans les prochains mois.

Des facteurs aggravants de cette situation ne pourront certainement pas être adressés à court terme, notamment en ce qui concerne les besoins en eau potable, assainissement et hygiène.

Des estimations disponibles font savoir que seulement 41 % des 10 millions d’Haïtiens a accès à des latrines dans leurs résidences et 51 % à l’eau potable. Dans les zones rurales dépourvues d’infrastructures collectives, moins de 5 % de la population bénéficie de l’assainissement.

Dans les régions éloignées des villes, dans les bidonvilles de la capitale et des grandes agglomérations, beaucoup de personnes sont mortes sans avoir pu atteindre un poste de santé.
La situation a pris une telle proportion dans des régions comme la Grand Anse (Sud ouest) ou le Plateau Central, des franges de la population en viennent à lier le choléra à la sorcellerie. Une vingtaine de personnes accusées de semer une « poudre magique » de choléra a été lynchée.

Elites insouciantes

La propagation du choléra ne peut nullement être vue comme une conséquence du tremblement de terres, qui a fait craindre le déclenchement de vagues d’épidémie dans les régions directement touchées où la promiscuité s’est accrue.

1,5 millions de personnes se sont réfugiées sous des tentes de fortune dans 1300 camps improvisés au lendemain du tremblement de terre. La plupart y sont toujours sans aucun espoir d’accéder à un logement à moyen terme.

Cette réalité a quasiment surpris les élites haïtiennes, alors que depuis longtemps aucune politique de logement n’a été mise en œuvre, livrant le secteur de la construction à l’anarchie.

Résultat : 81% de l’espace bâti dans le pays, avant le séisme du 12 janvier 2010, était des structures fragiles mises en place en dehors des normes, alors qu’avec l’exode rural la pression s’est accrue sur les villes. 72% des habitants de la capitale sont arrivés à Port-au-Prince après 1995, indiquent les experts, qui soulignent que plus des ¾ des 2 millions d’habitants de la capitale sont des sans-abri.

Selon le premier ministre Bellerive, il faudrait 5 milliards de dollars pour offrir à tous ces sinistrés un meilleur abri que des tentes ou des bâches. Mais, ce que souhaitent les sans-abri, c’est plutôt un plan de relogement, qui n’existe toujours pas.

Entre irresponsabilité de l’État et menaces d’expulsion qui affectent environ 17% des camps, des centaines de sans-abri ont à maintes reprises manifesté devant les bureaux du premier ministre pour réclamer des logements décents, en vertu des droits constitutionnels que leur confère la constitution haïtienne.

La question du relogement fait partie de celles qui ont été confiées à des ONG à travers un « Cluster », suivant la formule de l’ONU. Les bailleurs de fonds ont promis de consacrer US$240 millions de dollars à la construction de plus de 100.000 abris transitoires, dont à peine le quart a été construit en un an.

Droits sociaux ignorés

Entretemps, les populations sinistrées demeurent vulnérables aux intempéries et leurs droits sociaux sont ignorés dans un contexte où ces derniers n’ont jamais été véritablement pris en compte.

Les alertes se multiplient sur les risques encourus par les populations démunies de voir s’aggraver par exemple l’insécurité alimentaire qui les frappe. Déjà depuis des années on constatait « un déficit quantitatif et qualitatif dans l’alimentation de la plupart des individus. La majorité des produits de consommation tels le maïs, le riz, le haricot, le sucre, les légumes, le fromage, les fruits, la viande de bœuf ou de chèvre, le poisson, le lait, ne sont pas accessibles aux petites bourses en raison de leur coût élevé sur le marché », selon la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Défense des Droits Humains (POHDH).

Pourtant la situation économique s’est encore aggravée après le 12 janvier, privant des milliers de personnes d’un emploi ou d’une activité quelconque qui leur permettait de subvenir à leurs besoins. Les pertes causées par le séisme sont estimées à plus de sept milliards de dollars au niveau des secteurs productifs, dont 70 % dans le secteur privé et 30 % dans le secteur public. 30 % des emplois disponibles avant le 12 janvier ont été perdus.

Les familles ont cependant consenti des efforts surhumains pour envoyer leurs enfants à l’école, même si le nombre d’enfants oisifs s’est accru avec la destruction de 4200 écoles, dont des établissements publics. Aujourd’hui, 500 000 enfants ne sont pas scolarisés, selon les chiffres officiels du ministère de l’éducation nationale, tandis que 80% de l’offre scolaire est aux mains du secteur privé.

Cette réalité a provoqué en octobre dernier la colère de centaines d’élèves et d’enseignants non rémunérés depuis deux ans, qui ont crié leur désarroi devant le ministère de l’éducation nationale. Ces mobilisations se sont soldées par un mort, le normalien Jean Philibert Louis, 35 ans, décédé des suites de ses blessures après avoir été atteint d’un projectile tiré par la police.

A cette occasion, les parents ont encore dénoncé le gouvernement qui refuse de promulguer une loi en faveur de la réduction des frais scolaires, votée au parlement dans l’objectif de diminuer les charges annuelles consenties par les familles en Haïti. [gp apr 28/12/2010 07 :00]

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* Mensuel de l’Agence latino-américaine d’information (ALAI)