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Haiti-Cholera : Quelle place pour un vaccin ?

Débat

Par le docteur Bernard Liautaud *

Soumis à AlterPresse le 25 décembre 2010

Le recours au vaccin contre le cholera en Haïti a été discuté très tôt au début de l’épidémie de choléra en Haïti par la Pan American Health Organization (PAHO) et des échos de ces discussions avaient été rapportés dans le New-York Times dès le 25 octobre 2010.

Plus récemment le docteur Gérard Chevallier enquêtant en Haïti avec le professeur Renaud Piarroux et les autorités haïtiennes jugeait que l’épidémie est "inhabituelle et sévère". Il soulignait que "Les notifications sont imparfaites, et qu’il il y a des zones où des personnes meurent et personne ne le sait". (voir journal Le Monde du 21 novembre 2010).

Beaucoup s’interrogent encore sur l’absence d’un programme de vaccination pouvant contribuer à prévenir l’extension d’une épidémie que l’OMS prédit catastrophique avec des centaines de milliers de victimes.

Existence de vaccins efficaces :

Des vaccins contre le cholera existent qui pourraient être utilisés en Haïti. Le mieux testé et le seul déjà validé par l’OMS est le Dukoral®. Il est constitué d’une part de Vibrio cholerae O1 (biotype classique et El Tor, serotypes Inaba et Ogawa tués) et de la sous-unité B de la toxine cholérique obtenue par recombinaison génétique. La souche isolée en Haïti est du serotype Ogawa, et donc couverte par le Dukoral. Trois essais cliniques ont établi l’efficacité de la protection à 85% et elle se maintient au-delà de 2 ans pour les adultes et les enfants de plus de 6 mois. Dukoral a été agréé dans 60 pays, et a été utilisé dans les camps de réfugiés de l’Indonésie, du Soudan, de l’Ouganda et dans les bidonvilles du Mozambique. Le vaccin se donne par voie orale en 2 prises espacées de 7 jours. Le fabriquant est SBL Vaccin AB. Ce vaccin offre l’intérêt d’une protection supplémentaire contre un agent très fréquent de diarrhée sévère, l’Escherichia coli entérotoxicogénique.

Un autre vaccin oral le Sanchol® a été mis au point en Corée du Sud et il est produit en Inde par une filiale de Sanofi-Aventis, la Shanta Bioethics. Il est constitué de Vibrio cholerae O1 et ne protège pas contre E.coli. Utilisé au Vietnam ce vaccin se donne aussi par voie orale en 2 ou 3 prises et a une efficacité de 66%. Il est en attente de validation par l’OMS.

Accès réaliste à la vaccination cholérique par les haïtiens ?

Une question vient à l’esprit : pourquoi mettre au point des vaccins si c’est pour les garder en tiroirs ou les réserver aux seules organisations humanitaires capables de payer et ne pas les utiliser quand une épidémie se développe ?

L’un des arguments pour ne pas lancer en octobre un programme en Haïti était qu’il était déjà trop tard pour une campagne de vaccination puisque la protection n’intervient, au mieux, que 3 semaines après le début de la vaccination. Deux autres arguments semblent avoir paralysé la PAHO : la lourdeur connue des campagnes de mobilisation vaccinale de masse et surtout, le prix « prohibitif » des vaccins : US$ 40,00 à 60,00 pour les 2 doses de Dukoral et US$ 1,00 à 2,00 pour le Sanchol. Selon le Dr Chevallier "Une campagne de vaccins nécessiterait d’importantes infrastructures et trois fois 12 millions de doses. Cela prendrait des mois avant d’avoir des résultats et retarderait la réponse sanitaire". Il faudrait donc se replier sur le renforcement des mesures d’hygiène préventive et la prise en charge la plus précoce possible des patients déshydratés.

Il est pourtant évident que le gigantesque déficit de sanitation en Haïti va persister pendant des années et que l’adduction d’eau potable dans les villages totalement négligés par les dirigeants d’Haïti ne sera pas comblée de sitôt. Les recommandations d’hygiène et d’utilisation du chlore pour désinfecter l’eau sont difficilement à portée des villages reculés dont la seule source d’eau potable et pour la toilette restera pour longtemps encore constituée par le cours d’eau du voisinage. Et si dans un camp de personnes déplacées dans le plateau central on ne dispose que de 200 latrines pour 51.000 personnes, cela signifie que ces camps relativement épargnés jusqu’ici restent à haut risque au moindre écart de gestion d’eau potable. De nombreuses contaminations continueront à se faire après la prise en charge en phase aigue des plus de 400.000 personnes qui vont être touchées selon la PAHO et la sanitation est une exigence nationale et un challenge surtout pour le futur.

On est au prime abord choqué par le renoncement à un outil capable d’empêcher des décès massifs parce que cela serait trop coûteux. Mais ceux qui côtoient les décideurs de santé publique savent bien que des vaccins contre l’hépatite B ou contre la Typhoïde (autre épidémie attendue en Haïti, liée au péril fécal), les vaccins contre la méningite (redoutée dans les camps), voire encore les nouveaux vaccins contre le cancer du col ne sont pas à la portée de la majorité des pays à ressources limitées qui en auraient besoin.

Mais voilà que des voix d’experts se lèvent en face du drame haïtien pour appeler à un assouplissement du dogme de la PAHO.

D’abord trois experts, dans l’édition du 24 novembre 2010 du New England Medical Journal ont exprimé leurs regrets face à la non disponibilité des vaccins pour la population. Ils évoquent les bénéfices énormes qu’aurait offert la vaccination, y compris dans la prévention d’une extension aux bidonvilles de Santo Domingo et un apaisement de la tension à la frontière des 2 pays voisins. L’extension à d’autres pays fait que le cholera est déjà une préoccupation régionale et non plus uniquement haïtienne.

Puis les études de la souche haïtienne du vibrion publiées le 9 décembre et le rapport d’enquête épidémiologique du Professeur Piarroux ont souligné le caractère explosif de l’épidémie haïtienne et l’hypervirulence de la souche importée d’Asie. Sous la pression, une réunion d’experts s’est tenue à Washington le 17 décembre sous les hospices de la PAHO et celle-ci envisage désormais de procéder à un essai de vaccination en Haïti vers mars et avril, car ils ont découvert que les stocks de vaccins Sanchol disponibles sont plus importants qu’on ne l’avait cru. Selon le Dr Ciro de Quadros de l’Institut Sabin de vaccination, à eux deux les fabricants actuels pourraient produire 2 à 3 millions de dose de vaccin contre le cholera par an.

Pour des raisons logistiques incontournables et vu le retard pris il est donc impossible d’envisager dans l’immédiat une vaccination à grande échelle pour protéger les populations exposées. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faudrait y renoncer pour les zones les plus à risques comme les bidonvilles. Contrairement au Sanchol, le Dukoral a déjà subi plusieurs essais cliniques et il est déjà agréé par l’OMS, faudra-t-il obligatoirement attendre les essais du Sanchol en Haïti pour une l’adoption d’un programme vaccinal ? On ne peut pas dire qu’une accélération de production soit hors de portée de l’industrie pharmaceutique après l’impressionnante démonstration de ses capacités de créer et produire massivement un nouveau vaccin contre le virus H1N1 responsable de la dernière épidémie de grippe….Question de coûts ? Certes, on se heurte à la brutale réalité économique d’une Haïti devenue totalement dépendante de l’aide externe. La responsabilité de militaires de l’ONU déplacés d’une zone d’épidémie vers Haïti et de possibles négligences de génie sanitaire ont été incriminés dans l’origine de l’explosion épidémique dans la Caraïbe. Une demande des autorités haïtiennes pour un engagement de l’Organisation dans un programme vaccinal pourrait avoir un accueil d’autant plus favorable que l’enquête ouverte par les Nations Unies elles-mêmes mettra du temps avant une conclusion ferme. Enfin seule une organisation d’envergure a la capacité de négocier à la baisse les prix des vaccins avec les fabriquants.

Objectifs réalistes à court et moyen terme : Si la vaccination de masse reste problématique, rien n’empêche de se pencher sur des catégories particulièrement vulnérables qui devraient pouvoir bénéficier des stocks de vaccins déjà disponibles chez les fabricants.

1. Les travailleurs de santé haïtiens et étrangers qui s’occupent des patients dans les Centres de Traitement du cholera (CTC) et qui sont malgré les précautions sanitaires plus exposés aux éclaboussures d’ excreta humains. Certains infectiologues considèrent que des contacts secondaires avec des patients en phase diarrhéique aigue pouvaient être infectants malgré un inoculum faible. Une telle contamination secondaire a probablement eu lieu pour le premier patient diarrhéique rapatrié d’Haïti en Martinique et trouvé porteur de cholera.

2. Les personnes fragilisées par une autre pathologie apportant un risque supplémentaire d’évolution sévère : patients ayant une basse acidité gastrique soit pathologique soit entretenue par médicaments anti-acides, patients VIH et ceux atteints d’autres pathologies graves.

3. Les personnes travaillant dans la restauration et dans la manipulation des aliments destinés à la commercialisation. La campagne erronée conduite contre la consommation des poissons et fruits de mer aura endommagé l’économie de plus de 300.000 familles vivant de la pêche en Haïti. Une fois bien cuits et non contaminés ensuite par de l’eau polluée ou par une personne porteuse de cholera, il n’y a pas plus de danger à consommer la viande que le poisson. Une vaccination prioritaire dans ces secteurs professionnels s’ajoutant à un resserrement des normes d’hygiène pourrait toutefois recréer la confiance des consommateurs et, en consultation au plus tôt avec les pays importateurs, prévenir d’éventuelles restrictions à l’exportation qui seraient catastrophiques.

4. Les personnes contraintes de vivre de façon prolongée à plus de 3 heures des centres de soins du cholera

Cela fait déjà beaucoup de candidats potentiels au vaccin... Il ne s’agit ici que de suggestions et de pistes non limitatives, la responsabilité et les choix relevant en dernière instance du MSPP. Mais on peut difficilement accepter que les vaccins contre un cholera qui tue ne restent accessibles qu’aux voyageurs, aux étrangers des organisations humanitaires ou encore aux missions diplomatiques et militaires en Haïti.

* Membre fondateur du GHESKIO et des Centres GHESKIO
Service des Maladies Infectieuses et Tropicales de Fort-de-France