Par Jean-Robert Hérard *
Soumis à AlterPresse le 22 décembre 2010
« Is this book worth reading ? » (Est-ce que ce livre vaut la peine d’être lu ?). C’est la question que m’ont posée, non sans une pointe d’incrédulité voire de mépris, quatre passagers du train qui me ramenait de Camden, dans le New Jersey, où j’étais allé visiter la maison du poète américain Walt Whitman qui avait reçu, en 1882, la visite du dandy anglais Oscar Wilde. Les mémoires du 43ème Président des États-Unis, George W. Bush, un ouvrage de 481 pages intitulé « Decision Points », méritent toutefois d’être lues, ne serait-ce comme « ressource pour quelqu’un qui veut étudier cette tranche d’histoire américaine. » Ce qui est d’ailleurs la prétention de l’auteur qui l’annonce d’entrée de jeu.
Mais, il y a un autre aspect de ce livre qui retient l’attention du lecteur : la dimension humaine et spirituelle de l’homme. Cet homme qui, paradoxalement, a choisi d’envoyer en guerre –donc à la boucherie - dans les montagnes rugueuses de l’Afghanistan et dans le désert caniculaire de l’Irak des centaines de milliers de soldats américains. Dieu seul sait qu’en Irak et en Afghanistan les dommages collatéraux – enfants, femmes et vieillards victimes – dépassent l’entendement. Pourquoi cette décision dont il juge bon de faire le point aujourd’hui de la part d’un leader qui a embrassé Dieu, qui croit que la vie humaine n’a pas de prix et que « chaque mort est un rappel douloureux des coûts de la guerre » ?
« Le sexe après 50 ans »
Sa première bataille, c’est la lutte contre l’alcoolisme. Jeune, Bush avait un fort penchant pour la dive bouteille et il arrivait que certains soirs de libation provoquaient chez lui des comportements des plus insolites et même des plus antisociaux. Comme durant ce dîner à l’Hôtel Broadmoor en 1986 où, ivre comme un pot, il demanda à haute et intelligible voix à une quinquagénaire, amie de la famille, assise à ses côtés : « Donc, comment est le sexe après 50 ans ? ». Le père George H.W., la mère Barbara et les invités sur la table n’en croyaient pas leurs oreilles. Ceux-ci ont baissé la tête de honte et la quinquagénaire a esquissé un sourire nerveux. Un jour, il a même été arrêté et emmené (menotté ? Il ne l’a pas dit !) à un poste de police pour conduite en état d’ébriété. Pris de remords depuis cette fameuse soirée à l’Hôtel Broadmoor, il avait pris la décision de quitter cette habitude qui, moultes fois, l’a mis dans des situations les plus délicates.
Dès ce premier chapitre, le lecteur remarque la candeur d’un homme qui a même conscience – et l’avoue – de ses limites académiques. Il eut à étudier comme un fou dit-il. « L’école était un défi académique sérieux. » Un défi qu’il a fini par surmonter. Sa rencontre avec Laura Welch, qui deviendrait plus tard son épouse, allait ouvrir la voie à la réflexion sur l’existence d’un Dieu vivant, sur les luttes intérieures, les conflits et les doutes comme parties intégrantes de la foi. Sans cette foi, il n’aurait pas pu surmonter les angoisses existentielles qu’il essayait de noyer dans l’alcool. Par la prière et par sa nouvelle croyance dans l’amour sacrificiel dont Jésus Christ a donné l’exemple quand il fut cloué sur la croix, sa décision de conversion a pavé le chemin pour d’autres entreprises plus osées que la gestion conjointe d’une équipe de baseball ou celle des affaires de pétrole au Texas. C’est alors que la politique exerçait sa force d’attraction sur lui.
« Ils ont douté de mon intelligence »
Voilà un chemin atypique emprunté par un Américain qui, s’il nourrissait ce rêve depuis son jeune âge comme beaucoup d’autres avant lui, aurait fait les choses différemment durant sa prime jeunesse. Bien que la politique chez les Bush soit une affaire de famille, rien ne prédisait que W. allait s’y intéresser et voire y réussir, comme il l’a fait. Un premier échec comme candidat au poste de Gouverneur du Texas a paradoxalement renforcé sa conviction et la défaite de son père face à Bill Clinton en 1992 allait sceller définitivement le devenir politique de son frère Jeb en Floride et le sien.
La proximité du pouvoir donne en général un sens du pouvoir et de son exercice. George W. a connu les méandres des diverses campagnes de Républicains comme Ronald Reagan, Gerald Ford et celles de son propre père. Mais ses prétentions suscitaient d’abord l’étonnement, ensuite la risée et la moquerie de ceux-là qui n’ont cessé de le prendre pour un « jerk », un crétin, un farceur. A un certain point, même ses proches parents semblaient cultiver quelques doutes. « Les opposants politiques et les commentateurs ont mis en question ma légitimité, mon intelligence, ma sincérité...Ils se sont moqués de mon apparence, de mon accent et de mes croyances religieuses... » Ces accusations ont coulé sur lui comme l’eau sur le dos d’un canard. Ces attaques publiques, raconte-t-il, ne l’ont pas affecté outre mesure, bien que, parfois, ce soit un peu douloureux pour lui de voir ses enfants et sa femme soumis à des traitements publics aussi diffamatoires de leur père et époux.
Là où « Decision Points » n’est pas du tout décisif ni convaincant, c’est dans le traitement – à vol d’oiseau, il est vrai ! - de la crise électorale de novembre-décembre 2000. George W. Bush a été « nommé » Président par une décision de la Cour Suprême à la fin de décembre par un vote serré 5 contre 4. C’était visiblement tiré par les cheveux. Le Président reconnaît que cette incertitude, qui aura duré cinq semaines, a un lourd impact sur le pays et sur le système. Ces pages laissent des blancs, des vides que les historiens de l’époque peuvent aisément combler. Pour ceux qui ont vécu en première loge les sursauts de cette période de tensions constitutionnelles, légales, politiques et patriotiques, sont tout bonnement laissés sur leur soif...de vérité.
11 septembre 2001 : Jour de feu
Voilà l’événement qui allait changer l’équation politique en Amérique et bouleverser la donne politico-stratégique dans le monde. L’événement qui allait asseoir la présidence de George W. Bush sur des bases « populaires » solides et lui donner un blanc-seing pour protéger son pays et combattre la terreur partout où elle émerge.
Lorsque son chef de cabinet, Andy Card, est venu lui annoncer au tuyau de l’oreille qu’un deuxième jet avait percuté la seconde Tour jumelle du World Trade Center, on n’oubliera jamais le visage crispé, anxieux mais contrôlé de George Bush devant les enfants de l’école élémentaire Emma E. Booker en Floride. Il savait que cette image était en train d’être diffusée à travers le monde. Donc il voulait projeter une image flegmatique, la posture d’un chef en contrôle de la situation. Le leader doit être calme lorsque la population est aux abois.
Le Président Bush avait une obsession cette journée-là : rentrer à Washington pour planifier la réponse à ces attaques. Les conseillers et les Services Secrets ont objecté que la situation à Washington était encore volatile. Mais lui, George W. Bush, n’entendait pas donner aux terroristes la satisfaction de voir le président américain terré dans un bunker souterrain d’une base militaire en Omaha, Nebraska. Le commandant en Chef doit être au Bureau Ovale pour diriger les opérations. Ce qui fut fait dans la soirée du 11 septembre, contre l’avis des Services Secrets et des proches conseillers.
C’est à partir de ce moment crucial de sa présidence que Bush allait émerger sous George W. Dès les premiers instants, le président Bush a pris l’uniforme du commandant en chef en passant des ordres clairs, comme celui d’abattre dans l’espace aérien américain tout aéronef suspect. Ainsi on ne saura jamais – le livre est, peut-être à dessein, flou sur la question – si le quatrième jet qui s’est abîmé dans l’État de Pennsylvanie a été abattu par des « Combat Air Patrols » de l’aviation américaine ou à la suite de l’invasion du cockpit par les passagers en révolte du Vol 93, comme l’accrédite la version officielle. Dans les heures qui suivirent les attentats terroristes de New York et de Washington, la CIA avait déjà donné la source des attaques : Al Qaeda.
Période noire pour l’Amérique des libertés constitutionnelles. Les émotions crevaient le plafond. L’Amérique était prête, peut-être plus que jamais dans son histoire, à partir en guerre contre le terrorisme et contre tous les pays suspectés d’aménager des sanctuaires pour des terroristes sur leur territoire.
Là c’est le patriote qui pérore, un chèque en blanc en mains remis de bonne grâce par son peuple. Même les législateurs démocrates du Congrès n’ont pas marchandé leur soutien au Président. L’Amérique toute entière se ralliait autour de la bannière étoilée. Et pour cause !
L’éthique de la guerre
La décision d’envoyer des soldats en guerre n’est pas une mince affaire. Le Président Bush le reconnaît. Pour avoir lu plusieurs biographies d’un président de guerre, Abraham Lincoln, et appris à connaître l’état d’âme d’un commandant en chef qui prend la décision de partir en guerre pour une cause qu’il juge noble et juste. Le choix d’Abraham Lincoln, le modernisateur, le président qui partit en guerre pour créer les conditions objectives pour l’épanouissement du capitalisme face au féodalisme sudiste, est plus qu’éloquent et jette un éclairage sur un homme accusé, à tort peut-être, de raciste.
Ces mémoires nous apprennent une chose dans le processus de prise de décision dans les moments de crise et de déploiement de la force militaire : les autorités militaires ont leur mot à dire. Les militaires dans la chaîne de commande sont aussi des penseurs stratégiques. Le Général David Petraus, Chef des forces armées en Afghanistan, est un Ph.D. de Princeton University et l’auteur du manuel de contre-insurrection utilisé actuellement par les forces armées américaines. Ce qui n’est pas une mince affaire ! Très clausewitzien, en plus !
On ne voit pas pourquoi on s’étonne outre mesure que George W. ait conduit le monde dans deux guerres simultanément. L’historien américain Geoffrey Perret, dans son chef d’œuvre « A Country Made by War : From Revolution to Vietnam », a étudié et fait comprendre comment l’éthique de la guerre a participé à l’ascension des Etats-Unis à la puissance mondiale. Et pourquoi pas aussi une approche de la guerre comme fondation du « capitalisme à visage humain » depuis le New Deal, comme base de reproduction et d’expansion de l’État-Providence et des valeurs de générosité et solidarité dont font montre les Etats-Unis avec les États et nations qu’ils considèrent comme des alliés naturels et stratégiques ? On peut être certain que, parmi les biographies de Lincoln qu’il dit avoir dévoré durant son passage à la Maison Blanche et avant, doit figurer celle de ce même Geoffrey Perret sur Abe Lincoln comme l’un des plus grands présidents américains des temps de guerre !
Bref, l’éthique de ce pays se fonde sur une pédagogie des causes justes, pour lesquelles il vaut la peine de partir en guerre et de verser le sang. Président Bush nous apprend que ce n’est pas une décision facile d’envoyer de jeunes américains sur le champ de bataille. Le cri de George W. Bush semble être vraiment un cri du cœur. Les multiples tours dans les hôpitaux pour saluer les blessés, visiter près de 550 familles de « héros tombés dans les déserts afghan et irakien », écrire des lettres de réconfort à ces endeuillés nous disent beaucoup de son état d’âme, de ses conflits intérieurs, de ses souffrances et de sa responsabilité comme président et protecteur de sa patrie. Il y a aussi quelque chose comme ce sens de culpabilité tout puritain qui s’inscrit dans la psyché de cette nation.
La plupart des familles des victimes de la guerre ont montré leur solidarité et exprimé leur fierté au président durant ces tournées. Mais tout n’était pas toujours en rose : Bush raconte une tournée à Fort Lewis dans l’Etat de Washington où il s’est fait prendre à partie par une femme qui a perdu son fils en Irak : « Vous êtes un aussi gros terroriste que Osama ben Laden », a-t-elle lancé au président. Elle a perdu son fils, donc elle a le droit d’exprimer ce qu’elle ressent vis-à-vis de l’homme qui a envoyé son fils sur le champ de bataille. « J’étais désolé que son chagrin ait créé tant d’amertume. Si exprimer sa colère contribuait à atténuer sa douleur, je n’ai aucun problème », commente Bush.
Bush, un raciste ?
Dans l’émission télévisée « Oprah Winfrey Show », on a vu, lors du lancement de son livre, on a vu le visage meurtri d’un homme apparemment blessé de l’accusation de racisme à laquelle il a dû faire face aux lendemains de l’inaction de Washington face au désastre de Katrina dans la Louisiane et autres Etats de la Côte du Golfe. Il a tenté d’expliquer sur des pages les raisons de cette « inaction ». Tout en faisant son mea culpa, il reconnaît en même temps les limites du gouvernement fédéral qui ne pouvait pas déployer des troupes sans l’aval du Gouverneur de l’Etat. Mais le racisme ne saurait l’expliquer, lui qui a été élevé dans la croyance que le racisme est l’un « des plus grands maux de la société. »
Plus loin, il consacre tout un chapitre à sa politique africaine qui, sans le 11 septembre, serait devenue le point d’appui de la politique étrangère des Etats-Unis. Il a avoué que ses nombreux échanges avec Condoleezza Rice, bien avant la présidence, l’avaient sensibilisé sur la question africaine. Il a même évoqué l’ « effet Lazare », expression utilisée par les Africains – se référant à Jésus ressuscitant son ami Lazare !- pour décrire le programme des Etats-Unis en Afrique contre l’épidémie du VIH/SIDA. Le PEPFAR (Plan d’Urgence du Président pour le Soulagement du SIDA) y est décrit comme la plus grande initiative sanitaire internationale pour combattre une maladie, qu’on a d’ailleurs considérée comme une sorte de version médicale du Plan Marshall conçu au profit, cette fois, de l’Afrique noire.
Tout au long du livre, l’ancien président a parlé sans trop d’amertume de ses échecs politiques, notamment dans sa tentative de réforme de la sécurité sociale et celle de l’immigration, ces bills « tués » par un Congrès hésitant ! Ceci a la vertu de montrer les limites du pouvoir d’un président si un Congrès est déterminé à agir ou à ne pas agir.
Un président à la larme facile
Après la raideur de l’argumentation sur la crise économique et l’émotion inévitable des élans lyriques d’un président qui avoue qu’il est un « weepy man », un homme à la larme facile, on a eu droit à des instants de fou rire. Comme, par exemple, lorsque la quinquagénaire qu’il avait mise dans l’embarras au Broadmoor Hotel, en 1986, lui avait envoyé un billet après son investiture en tant que Gouverneur du Texas (il avait lors 50 ans) : « Bien, George, comment tu l’as trouvé ? » Le sexe après 50 ans !
Ou encore, lors d’un safari dans la Nature Reserve de Mokolodi en Botswana. Ce jour-là, toute la presse était invitée à une séance de « photo-opportunité ». En attendant l’arrivée du Président, de son épouse et de l’une de ses filles, les caméras étaient braquées sur un groupe d’éléphants. C’est alors qu’un jeune éléphant, visiblement en rut, est monté sur le dos d’une femelle, elle aussi en chaleur, sous les yeux des caméras de la presse internationale. Les membres de l’advance team, qui n’avaient pas prévu cette « atteinte publique » à la pudeur, ont pâli de honte sous la canicule africaine, mais la famille présidentielle en a rigolé, à gorge déployée. « On n’avait pas donné le script [de ce scénario de « photo-opportunité »] aux éléphants », écrit le président.
À part d’être le véhicule à partir duquel l’ancien président des Etats-Unis articule la défense de sa doctrine [1], « Decision Points » reste une apologie du courage, de la bravoure des Américains, citant à titre d’exemple cet officier de police, George Howard, qui, quoiqu’en congé en ce jour historique du 11 septembre, s’est rendu sur le site des attentats se porter volontaire. Il y trouvera la mort. Le Président conserve, comme un talisman, le badge du policier que la mère de George, Arlene, lui a remis). Il met aussi en valeur le sens de sacrifice de ses compatriotes, leur résilience face aux malheurs (Bush a rencontré a Biloxi, Mississipi, un homme assis sur les ruines de sa maison détruite par Katrina qui lui dit : « Je suis en pleine forme…je suis vivant, ma mère est vivante »), leur générosité, leur sens de la solidarité.
Ce livre plonge le lecteur dans l’imaginaire américain, dans tous les mythes, réalités et valeurs qui fondent cette Nation. Derrière certains personnages politiques et militaires décrits dans le livre, comme derrière le président lui-même, on voit les ombres envahissantes de Tom Sawyer, de Huckleberry Finn de Mark Twain ou Young Goodman Brown de Nathanaël Hawthorne. Bref, une histoire de conflits intérieurs, de culpabilité, de respect de l’alliance avec Dieu et d’héroïsme pur et simple !
« Quel que soit le verdict sur ma présidence, je suis à l’aise avec le fait que je ne serai pas là pour l’entendre. C’est un point de décision que prendra seulement l’Histoire », conclut Bush. Des propos étonnamment confiants qui ressemblent à une sorte de version édulcorée de l’histoire m’absoudra. Il reste donc persuadé qu’il avait absolument raison de se lancer dans la défense des intérêts de l’Amérique en menant cette guerre sans merci contre la terreur.
* Ex-ambassadeur d’Haiti au Venezuela (2001-2004)
Contatct : jeanroherard@yahoo.com
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[1] Ne pas distinguer entre les terroristes et les nations qui les protègent, combattre l’ennemi outre-mer avant qu’il n’attaque le territoire américain, confronter la menace avant qu’elle ne se matérialise et avancer la cause de la liberté et de l’espoir comme alternative à l’idéologie de répression et de peur de l’ennemi.