Analyse
Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P., 20 déc. 2010 [AlterPresse] --- 2010 a été une année difficile pour les migrants. Politiques migratoires dures, violence et discrimination contre les migrants ont jalonné la vie de ce segment populationnel qui a, pourtant, apporté une grande contribution à leurs pays d’accueil et d’origine.
Quel avenir pour les 214 millions de migrants à travers le monde ?
Un apport de plus en plus important
À mesure que le nombre de migrants dans le monde augmente, « passant d’un montant estimatif de 150 millions de personnes en 2000 à 214 millions de personnes aujourd’hui », selon les derniers chiffres publiés par l’Organisation Internationale pour les Migrations (Oim), leur contribution aux pays d’origine et d’accueil, amplement documentée dans des études réalisées dans diverses régions du globe, accroit aussi.
Pourtant, les migrants font de plus en plus l’objet de violence et de discrimination dans des sociétés d’accueil, où des gouvernements adoptent des politiques migratoires dures dites « de repli ».
L’apport des migrants dans les pays d’accueil s’étend dans le domaine économique (contribution à l’augmentation du PIB de différents secteurs économiques, paiement d’impôts parfois sans même avoir reçu de prestations et d’aides des services publics…), social (fourniture de services publics essentiels en qualité de médecins, d’infirmiers, d’agents d’entretien et autres), entrepreneuriale (incidences positives de leur esprit d’entreprise) et même politico-culturel.
Des migrants et leurs descendants tendent de plus en plus à occuper des postes de décision clés dans des pays d’accueil. L’exemple le plus frappant est celui du premier président noir des États-Unis d’Amérique, Barack Obama, fils d’un immigré kényan.
Des migrants font aussi la fierté de leurs sociétés d’accueil dans les domaines de la littérature, de l’art et de la culture en général. À titre d’exemple, on peut citer plus près de nous le cas du romancier canadien d’origine haïtienne Dany Laferrière qui a obtenu en 2009 le très prestigieux Prix Médicis pour son roman « L’énigme du retour ».
La contribution des migrants « remise en cause » par des « politiques de repli »
En dépit de leur important apport au niveau économique, social et même politico-culturel, les migrants font face à de multiples formes de violence, de discrimination et de préjugés dans les sociétés d’accueil, où « de nombreux gouvernements présentent ce groupe de population comme un fardeau pour des économies convalescentes ou les systèmes de protection sociale », souligne l’OIM dans un message publié à l’occasion de la Journée Internationale des Migrants, le 18 décembre dernier.
« La contribution positive des migrants à la société (d’accueil) est remise en cause par des mesures à courte vue prises par de nombreux gouvernements », dénonce l’organisme international qui invite les gouvernements à adopter « un scénario d’ouverture » au lieu d’une « politique de repli ».
« La politique de repli consiste à maintenir un statu quo fondé sur les stéréotypes, la peur et l’opportunisme politique », précise l’OIM, ajoutant que cette politique « est caractérisée par des restrictions à l’immigration et par un dialogue indigent sur la migration à l’échelle nationale, régionale et internationale ».
Euphémisme pour « mesures migratoires dures, inhumaines et attentatoires aux droits humains et à la dignité des migrants », la politique de repli a atteint sa vitesse de croisière dans le monde avec la très conversée Loi d’Arizona qui criminalise l’immigration irrégulière, « en enjoignant aux policiers d’ « enquêter sur le statut d’immigré de toute personne en état d’arrestation ou en garde à vue s’ils soupçonnent cette personne d’être un sans-papiers ».
Tout un spectre d’attitudes et d’actes de discrimination et de violence contre les migrants
La politique de repli se manifeste non seulement dans les législations nationales, mais aussi à travers tout un spectre d’attitudes ou d’actes de discrimination et de xénophobie contre les migrants.
« Les migrants en Europe, aux États-Unis d’Amérique et dans plusieurs autres régions du monde sont victimes des pires formes de discrimination raciale et de xénophobie », a déclaré le premier novembre 2010 le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance, Githu Muigai, à l’occasion d’une conférence de presse au siège de l’Onu à New York.
« Qu’il s’agisse de membres d’une minorité ethnique attaqués ou tués dans un conflit, d’individus soumis à des interpellations, des fouilles, des interrogatoires ou des arrestations en raison de leurs croyances religieuses ou de leur appartenance ethnique, de migrants, de réfugiés ou de demandeurs d’asile qui font face à de la discrimination quotidienne à cause de leur statut, ou de joueurs de football insultés pour leur couleur de peau, tous ces cas confirment, malheureusement, la véracité de ma déclaration », a expliqué l’avocat kényan.
Ces formes de violence et de discrimination contre les migrants dans les sociétés d’accueil et parfois de transit prennent parfois une tournure dramatique, quand elles s’associent à la délinquance organisée (trafic de drogue, d’armes…), surtout dans les frontières.
Au cours de l’année 2010, le cas le plus emblématique est celui de 74 migrants provenant de plusieurs pays, principalement de l’Amérique Centrale, du Brésil et de l’Équateur, qui ont été vilement assassinés à la frontière mexicaine par le cartel dénommé « Los Zetas ». Les cadavres de ces migrants, qui tentaient d’entrer de manière irrégulière aux États-Unis d’Amérique, ont été trouvés le 24 août 2010 dans une exploitation agricole (hacienda, en espagnol) située non loin de l’État de Tamaulipas, au Mexique.
La grande majorité des organisations de droits humains ont pointé du doigt, comme principales causes de ce massacre, « les politiques d’immigration et de commerce appliquées par les États-Unis d’Amérique, ainsi que la négligence de l’État Mexicain quant à ses obligations de protéger les gens se trouvant sur son territoire et de garantir les droits fondamentaux de tous et de toutes ».
L’avenir des migrants dépend de l’avenir de notre monde
Quoique le phénomène de la mondialisation rende l’humanité de plus en plus « interconnectée » au-delà des frontières géographiques et culturelles, les gouvernements facilitent la mobilité des capitaux et des biens, mais restreignent celle des personnes.
Par voie de conséquence, les migrants font face à d’énormes difficultés dans les pays d’accueil, principalement dans les nations industrialisées du Nord. Pourtant, en raison de la diminution progressive de la population dans les pays industrialisés qui demandent de plus en plus de travailleurs migrants, le nombre de migrants provenant des pays en développement continuera à augmenter principalement dans le Nord.
« De nombreux pays auront besoin de travailleurs migrants à tous les niveaux de qualification pour répondre aux besoins de connaissances et d’innovation, et pourvoir des emplois que les nationaux ne peuvent ou ne veulent occuper, notamment dans le secteur des soins de santé et des soins à la personne (enfants et personnes âgées), dans les services publics et l’industrie des services, ainsi que dans l’agriculture et la construction », prévoit l’OIM.
Cette augmentation du nombre des migrants pourrait provoquer, comme le montre la tendance actuelle, un plus grand durcissement des politiques migratoires par des pays d’accueil, ainsi qu’une intensification des formes de violence, de discrimination et de xénophobie contre les étrangers.
Pour renverser cette tendance, il faut absolument reconnaitre que la migration est déterminée par des facteurs sociodémographiques, économiques… à l’échelle mondiale et fait partie intégrante de la dynamique de l’économie mondiale.
Il est aussi impératif de valoriser l’apport des migrants qui, selon des économistes, est fondamental pour l’atténuation et même la solution de la crise économique actuelle.
Au lieu d’appliquer une politique de repli qui ne tient pas compte de l’apport des migrants et de la nécessité de leur apport en main d’œuvre, les gouvernements des pays d’accueil devraient, selon l’OIM, « mettre en œuvre des politiques mieux adaptées pour répondre à la demande croissante de migration de main-d’œuvre, protéger les droits des migrants, favoriser un dialogue régulier entre pays d’origine et de destination, et souligner la contribution économique et sociale des migrants dans les pays d’origine et d’accueil ».
En outre, selon le kényan Githu Muigai, les États sont appelés à « faire preuve de vigilance contre les groupes extrémistes et à élaborer des législations nationales solides » qui condamnent et interdisent les organisations et les activités incitant à la discrimination raciale et contre les migrants.
Mais, que faire quand ce sont des gouvernements eux-mêmes qui adoptent des lois, des politiques et autres mesures discriminatoires et attentatoires aux droits humains et à la dignité des migrants et de leurs descendants ?
En un mot, comment concilier les législations nationales (ou de blocs régionaux) avec les exigences du droit international des droits humains et particulièrement des droits des migrants ? Comment faire respecter les droits fondamentaux des migrants par des États qui ne veulent entendre parler que de leur « souveraineté », voire de « leur sécurité » ?
La lutte des organisations de la société civile, dont celle des associations des migrants eux.-mêmes, dans les pays d’accueil reste et demeure un impératif pour la promotion et la défense des droits humains des migrants et de leurs descendants dans un monde globalisé, mais inégal.
L’avenir des migrants dépend, en grande partie, de notre capacité à transformer ce monde en un monde juste, équitable et où les droits humains, les personnes et leur dignité occupent la place fondamentale. [wel gp apr 20/12/2010 09 :00]