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Haïti-Elections-Choléra : Les leçons d’une petite revue de presse…

Par Eric Sauray *

Soumis à AlterPresse le 24 novembre 2010

Faut-il renvoyer le scrutin du 28 novembre 2010 à cause de l’épidémie de choléra ? C’est la grande question qui me taraude aujourd’hui, 24 novembre 2010. Au lieu d’y répondre en juriste, en politologue ou en citoyen, j’ai décidé d’y répondre en faisant une simple revue de presse. Je ne ferai donc aucune analyse savante sur la prétendue exigence constitutionnelle relative à la tenue des élections, le dernier dimanche de novembre de la cinquième année du mandat du président en place. La raison est évidente : le président n’est pas dans la cinquième année de son mandat ! A défaut de trouver la réponse dans les textes, j’ai essayé de la trouver dans les éléments de langage des acteurs politiques retranscrits dans la presse. Bien entendu, je me suis fait la promesse de ne pas commenter outre mesure les réponses qui seront apportées à la question. Je laisse donc au lecteur le soin, en fonction des pistes de réflexion que je lui fournirai, d’analyser les réponses et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Néanmoins, je dois préciser que cet article s’inscrit dans le cadre d’une réflexion qui part de l’hypothèse suivante : la communauté internationale est le premier acteur politique en Haïti. Sous le prétexte de jouer un rôle d’arbitre, elle dicte leur comportement aux autorités politiques haïtiennes et donc aux Haïtiens. Cela légitime ainsi, à tort ou à raison, les thèses de ceux qui sont persuadés que l’échec de la transition politique en Haïti depuis la chute des Duvalier est, avant tout, l’échec de la communauté internationale.

Quoi qu’il en soit, les auteurs des réponses à la question : « Faut-il renvoyer le scrutin à cause de l’épidémie de choléra ? » devraient être considérés comme les personnes qui veulent à tout prix la tenue de ces élections qui paraissent surréalistes à l’opinion publique internationale. A ce titre, les réponses fournies par ma revue de presse sont édifiantes.

L’ambassadeur américain en Haïti s’est prononcé contre le report. Il a affirmé qu’aucun « obstacle » ne s’oppose à la réalisation de ces élections qu’il juge essentielles pour l’avenir d’Haïti.

L’émissaire de l’Union européenne en Haïti a déclaré que l’épidémie de choléra ne doit pas empêcher la tenue des élections. Pour justifier sa position elle a fait valoir que : « Ne pas avoir des élections en ce moment pourrait mettre en péril la stabilité politique en Haïti. On est en pleine reconstruction d’un pays où on a besoin d’un gouvernement capable de gérer la situation. Il ne peut pas y avoir d’interruption dans l’élan mis en place après le séisme ».

Le chef de la Mission de stabilisation de l’ONU (MINUSTAH) a déclaré que : « Le processus électoral suit son cours, le gouvernement et la vaste majorité des candidats sont déterminés à ce que ces élections se déroulent comme prévu le 28 novembre ».
En ce qui concerne la France, lors des heurts entre les habitants du Cap-Haïtien et les agents de la MINUSTAH, le porte-parole du Quai d’Orsay avait déclaré que : « La France lance un appel au calme pour que les élections du 28 novembre puissent être organisées dans un climat serein, permettant au peuple haïtien d’exprimer librement son droit de vote ».
Les autorités internationales ont décidé. Il n’y a donc pas d’alternative. La communauté internationale veut qu’il y ait des élections en Haïti malgré le choléra, malgré la violence de la campagne électorale et malgré l’absence de garantie sur la crédibilité du processus. Pourtant la presse et l’opinion internationales ne cessent de s’interroger sur le maintien du processus électoral malgré le contexte catastrophique actuel en Haïti. Mais, toutes ces déclarations ne s’expliquent-elles pas par le fait que les Etats-Unis, l’Union européenne et l’ONU ont supporté la majeure partie des dépenses nécessaires à la tenue des élections ? Ces déclarations ne s’expliquent-elles pas par le fait que le report des élections leur ferait accuser une perte sèche ? Ces déclarations ne s’expliquent-elles pas par le fait qu’ils seraient obligés de trouver de nouveaux financements pour de nouvelles élections ?

Malgré tout, animé de la volonté de procéder à un traitement équitable du problème, j’ai cherché la réponse des autorités haïtiennes à la question principale : faut-il renvoyer le scrutin à cause de l’épidémie de choléra ? Cela aurait permis d’apprécier s’il existe également une volonté haïtienne de maintenir ces élections. Les réponses trouvées me laissent dubitatif. Que dit le Président haïtien ? Rien. Que dit le Conseil électoral ? Rien à part cette déclaration sibylline : « Le Conseil Électoral déplore les actes de violence et appelle instamment tous les secteurs de la vie nationale, les Partis Politiques, les Autorités judiciaires et policières en particulier, à collaborer en posant des actions claires, concrètes, et proportionnelles en vue de rétablir un climat stable, calme et serein, nécessaire à l’organisation des élections. »

Seul le Premier ministre, Jean-Max Bellerive a, lors d’un entretien accordé à Madame Nancy Roc, donné un avis digne de Ponce Pilate : « Maintenant, les élections, cela se fait avec des candidats et des électeurs. Il s’agit donc de voir comment ces deux groupes vont réagir par rapport à une situation extrêmement complexe dans le pays (…) Maintenant, je le répète, les élections se font avec des candidats et des électeurs et ce sont eux qui vont vraiment décider du respect de ce calendrier électoral » [1]

A 4 jours de la date fatidique, les autorités haïtiennes attendent-elles le 28 novembre pour faire connaître leur position ? Doit-on considérer que les autorités internationales ayant décidé que l’élection devant avoir lieu quel qu’en soit le prix, les autorités haïtiennes n’ont rien à dire ?

Enfin, je ne cache pas mon étonnement face à une telle situation : les réponses de la communauté internationales sont fermes et catégoriques. Elles ne laissent même pas la place à l’incertitude. En revanche, les réponses des autorités haïtiennes, quand elles daignent en donner, sont vagues et ambiguës. D’un côté le langage du maître, de l’autre, le langage du marron ? Dès lors, pour jouer le Candide jusqu’au bout, je pose la question suivante : en Haïti qui décide pour les Haïtiens ? Dans l’attente de la réponse, je vais procéder à quelques recherches afin de répondre à cette question quasi existentielle : quel ambassadeur haïtien s’est-il un jour prononcé pour ou contre le report des élections dans un quelconque pays du globe ?

Le lecteur avisé a bien compris que l’objectif ici est de mettre l’accent sur une absurdité : la communauté internationale fait croire qu’elle assiste Haïti. Elle le fait. Mais en même temps, celui qui décide de ce qui est possible ou de ce qui ne l’est pas, assiste-t-il ou décide-t-il ? L’apathie des autorités haïtiennes, leur manque de moyens financiers et l’habitude prise par les Haïtiens à renoncer aux idéaux de 1804 expliquent en partie cette situation. En économie comme en politique, tout le monde sait que c’est toujours le financeur qui décide. Mais, quand même !

………………………

* Docteur en droit public - Diplômé de l’Ecole de Formation Professionnelle des Barreaux de la Cour d’Appel de Paris


[1Nancy Roc, Haïti : Le Premier ministre Bellerive confirme la tenue des élections le 28 novembre, in Le Nouvelliste du 10 novembre 2010.