Port-au-Prince, 8 janv. 04 [AlterPresse] --- Implantée depuis 1998 à l’entrée de la ville de Jacmel, à plus de trois heures de route au sud-est de Port-au-Prince, l’Ecole de Musique Dessaix Baptiste [1] essaie de renouer avec la tradition musicale du département du Sud-Est en offrant aux jeunes des moyens de se ressourcer aux harmonies.
C’est une équipe de jacméliens qui ont pris l’initiative de fonder cette école de musique afin de disposer de ressources locales le cas échéant, vu le manque patent de gens bien formés musicalement et la sollicitation de musiciens d’autres régions en période carnavalesque par la municipalité de la ville, a confié à AlterPresse le journaliste Fritz Valescot, superviseur général à l’Ecole de Musique Dessaix Baptiste.
La démarche de la municipalité de Jacmel, de recourir à des musiciens d’autres régions pour l’animation des périodes carnavalesques, pourrait surprendre dans une capitale du Sud-Est d’Haïti à tradition musicale et ayant acquis, ces dernières années, une grande notoriété avec ce qu’il est convenu d’appeler « le carnaval national de Jacmel », haut en couleurs, très prisé par les habitants de diverses régions du pays et présenté comme l’une des principales cartes de visite du département.
Cependant, l’Ecole Dessaix Baptiste entend partir du bon pied en mettant à contribution les aptitudes des fillettes et garçonnets, qu’elle reçoit dès l’âge de 6 ans dans ses cycles réguliers annuels, de mercredi à dimanche, en plus des camps d’été réalisés en juillet et août. Une bonne partie des professeurs de l’école ne résident pas à Jacmel.
Les enfants, qui ont passé avec succès les examens sur les notions de solfège (théorie musicale, introduction à la musique), ont pu commencer par s’exercer à divers instruments à cordes (violons, violoncelles) mis à leur disposition par l’école.
Au départ, a confirmé Valescot, les parents (mères et pères) de Jacmel n’avaient pas manifesté beaucoup d’enthousiasme. Mais, au fur et à mesure, ils ont tellement pris goût à l’apprentissage des « sons et harmonies » qu’ils accompagnent désormais leurs enfants ou les confient sans rechigner à l’école.
La plupart des 700 enfants fréquentant l’école sont originaires des environs de Jacmel, La Montagne, Cayes-Jacmel, Marigot, Les Orangers. Depuis septembre 2003, une vingtaine d’enfants de rue ont été initiés aux rudiments musicaux à l’Ecole Dessaix Baptiste.
Aujourd’hui, il y a un orchestre philharmonique et deux fanfares mixtes à l’Ecole Dessaix Baptiste où les enfants formés sont en mesure de jouer de la trompette, du saxophone, de la trombone, de la flûte, de la clarinette, du violon, de la violoncelle, de la contrebasse.
Ces jeunes (ils étaient environ 200), vêtus de noir et blanc, ont exécuté la parade pour la ville de Jacmel, à l’occasion du 18 mai 2003, qui marquait le bicentenaire du bicolore bleu et rouge national et la troisième année consécutive de sorties (en pelotons) des élèves de l’Ecole de Musique Dessaix Baptiste. Des élèves de l’Ecole ont aussi offert un spectacle au Musée du Panthéon National (MUPANAH) le 7 avril 2003, correspondant au bicentenaire de la mort au Fort de Joux (France) de Toussaint Louverture, précurseur de l’Indépendance d’Haïti.
Le 1 er novembre 2003, jour de la Toussaint, environ 200 personnes ont assisté à un concert payé présenté par l’Ecole de Musique Dessaix Baptiste à la cathédrale Saint-Philippe et Saint-Jacques de l’Eglise catholique romaine de Jacmel. D’autres concerts sont aussi organisés en été, pendant un mois et demi, pour les périodes de Noà« l, du Nouvel An et de la Fête de Pâques, et aussi dans des occasions spéciales, comme des activités de sensibilisation sur le Syndrome de l’Immuno-Déficience Acquise (SIDA).
Quand les élèves de l’école se déplacent du Sud-Est pour aller dans d’autres régions, ce sont les hôtes de ces régions qui prennent en charge les frais, y compris logement et nourriture.
A la fin de décembre 2003, une cinquantaine d’élèves musiciens de l’Ecole Dessaix Baptiste se produiront en concert aux Cayes, troisième ville d’Haïti, au profit d’une autre école de musique dénommée Othello Bayard dont l’ouverture est prévue pour janvier 2004.
« Le public de Jacmel était davantage accoutumé à la musique des mini-jazz du compas (la musique dansante haïtienne) jusqu’à l’arrivée de l’Ecole Dessaix Baptiste, qui cherche à revaloriser ces types de concerts oubliés ou disparus depuis plusieurs années dans la région du Sud-Est », se félicite Fritz Valescot soulignant l’habileté des élèves de l’école à pouvoir orchestrer plusieurs des anciennes compositions traditionnelles populaires du pays, comme « Panama m tonbe » et « gede nibo ».
Pour une « étude musicale continue »
L’Ecole de Musique Dessaix Baptiste a pour ambition de former des musiciennes et musiciens à dimension internationale, quoique cet objectif reste très difficile à atteindre, reconnaît Valescot.
C’est dans ce but que, vu la tendance à l’exode des jeunes vers la capitale haïtienne, l’école accueille des fillettes et garçonnets qui seront alors en mesure, après plusieurs années de formation, de parvenir à maturité au moment d’intégrer l’université. Sitôt qu’ils peuvent rejoindre l’orchestre, l’école les mettra à la disposition de la municipalité.
« La musique s’est tellement développée de nos jours qu’il est possible à celles et ceux qui s’appliquent d’obtenir un doctorat dans ce domaine. Aussi, est-il impérieux pour nous autres en Haïti de cesser de la négliger, mais d’adopter résolument des dispositions pour permettre aux jeunes de bénéficier de l’encadrement et de la formation appropriés, jusqu’à exporter des musiciens à l’instar d’autres pays des Caraïbes ».
En plus de la remise sur pied des cours de solfège dans les établissements scolaires classiques, particulièrement dans les lycées, Fritz Valescot souhaite que chaque ville d’Haïti puisse avoir une école de musique, comme celle de Jacmel, et que le pays dispose d’un conservatoire national de musique. Ces écoles de musique ne devraient pas se confiner aux marches militaires, mais être en mesure d’exécuter tous types de partition : musique classique, jazz, salsa, etc.
Il faut arriver à avoir des musiciens nationaux (à l’exemple des défunts compositeurs haïtiens Occide Jeanty et Ludovic Lamothe) pouvant accompagner n’importe quel artiste étranger pour des prestations sur le territoire. Et la relève ne sera assurée qu’avec la formation de jeunes dans des écoles de musique appropriées, non pas seulement avec celles et ceux qui peuvent accéder à des cours internationaux de haut niveau.
De même, l’Ecole Dessaix Baptiste vise aussi la création d’un centre de recherche sur la musique haïtienne, depuis la période coloniale pour aboutir à l’époque actuelle. Quoique l’école ait son propre local, elle n’a pas encore d’espace adéquat y relatif. A rappeler que diverses compositions musicales originaires du Sud-Est font partie du patrimoine musical national.
Ressources
Sur les 700 élèves initiés aux notions musicales à l’Ecole Dessaix Baptiste, ils sont peu nombreux à avoir versé régulièrement les 150 gourdes mensuelles (environ US $ 3.50) de cotisation.
« Au fond, les contraintes économiques représentent la cause fondamentale de ce manquement chez les parents qui ne sont pas de mauvaise foi », admet Fritz Valescot.
L’école existe à partir de dons et subventions reçus d’organismes publics (ministères de l’Education Nationale, de la Culture et du Tourisme) et d’organisations internationales ou de développement, comme le Fonds des Nations Unies, pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO), l’Union Européenne, la Coopération française, Aide à l’Enfance Canada, la Fondation haïtienne Connaissance et Libertés (FOKAL), a-t-il ajouté à AlterPresse.
C’est à partir de ces dons et subventions que les professeurs de l’école sont rémunérés. De temps à autre, l’école bénéficie de l’apport technique de volontaires européens, étasuniens et cubains.
Fritz Valescot estime que l’Etat doit soutenir les efforts de vulgarisation et de valorisation de la connaissance musicale, non seulement en rendant la musique obligatoire dans le curriculum scolaire, mais aussi en réduisant les taxes douanières perçues sur les instruments, dont le niveau actuel risque de décourager les mélomanes et toutes celles ou tous ceux intéressés à s’investir dans ce domaine. Par exemple, une contrebasse coûte environ 4,700.00 dollars américains.
Au début, l’Ecole Dessaix Baptiste n’avait pas mis de pianos et guitares à la disposition des élèves, à cause des coûts élevés de ces instruments, du manque de fonds nécessaires au paiement d’honoraires à des professeurs spécifiques et du fait que l’établissement ne voulait pas former des jeunes aptes seulement à jouer des sérénades, mais dépourvus de connaissances musicales approfondies.
Maintenant, en plus des autres instruments cités ci-dessus, l’école possède à présent 3 pianos (un professeur de piano y prête ses services depuis avril 2003) et une vingtaine de guitares (les exercices de guitare ont commencé en juin 2003).
Garder l’espoir
Quid des débouchés sur le marché pour les jeunes musiciens qui seront formés ? De quelle manière mettront-ils les connaissances acquises au service du pays ?
A ces questions, Fritz Valescot ne veut pas faire de promesses.
« L’Ecole Dessaix Baptiste, qui a fermé de nombreuses portes (qu’il n’a pas précisées) entend remédier à la carence d’établissements de formation musicale. Ce sont les jeunes musiciens formés qui détermineront les voies à suivre. Car, le ministère de l’Education Nationale, qui porte la responsabilité de la disparition de la plupart des fanfares scolaires, devrait tâcher d’encourager la diffusion du savoir musical en la rendant obligatoire dans les écoles », dit-il en formant des vœux pour l’implantation, par l’Etat, d’un conservatoire de musique et la promotion d’échanges techniques avec des professeurs de musique internationaux.
Il y a quelques années, des fanfares florissaient dans différents lycées et collèges de la capitale : lycées Pétion, Toussaint Louverture, Pétionville, collèges Frère Adrien du Sacré Cœur, Saint-Martial, institution Saint-Louis de Gonzague. Aujourd’hui, parmi les rares écoles à avoir maintenu des cours de solfège, vient en bonne place l’Ecole de Musique Sainte Trinité de l’Eglise Catholique Anglicane (non romaine) qui continue à tenir le flambeau de la formation de plusieurs générations de musiciens versés dans des instruments à cordes et à vent.
Quoi qu’il en soit, le superviseur général de l’Ecole de musique Dessaix Baptiste, Fritz Valescot, garde beaucoup d’espoir en l’avenir.
« Il s’agit d’une lutte qui devra porter fruit avec la mise en œuvre d’écoles de musique sérieusesÂ… dans le pays », escompte Valescot.
[1] Jacmélien d’origine, Dessaix Baptiste fut professeur de musique, chef d’orchestre et compositeur. L’une de ses œuvres les plus connues s’appelle « Fière Haïti », exécutée traditionnellement à l’occasion du 18 mai, fête du drapeau. C’est en reconnaissance à cette œuvre musicale que l’école de musique de Jacmel porte le nom Dessaix Baptiste. Le papier à en-tête de l’école de Jacmel contient l’effigie de Dessaix Baptiste, dont la flûte a été remise en don par sa famille à l’école.