Rapport préliminaire d’observation
Soumis à AlterPresse le 25 novembre 2010
La population haïtienne manifeste un grand intérêt pour les prochaines élections législatives et présidentielles qui doivent se tenir le 28 novembre 2010. Cependant, elle confronte aujourd’hui d’énormes problèmes tels que les conditions infrahumaines dans lesquelles sont logées les victimes du séisme du 12 janvier 2010, l’épidémie de choléra qui, en continuant de se propager, a déjà donné la mort à plusieurs centaines de personnes, les conséquences des intempéries qui se sont abattues sur le pays au cours de la période pluvieuse, l’insécurité exacerbée pendant la période électorale, l’insalubrité générale, la cherté de la vie, etc.
Face à tous ces constats, plusieurs organisations de la Société Civile, engagées dans l’observation du processus électoral et signataires de la présente, se font le devoir de communiquer à l’opinion publique quelques-uns de leurs constats, préoccupations et recommandations, ce, dans le but d’aboutir à la réalisation d’élections crédibles et d’éviter au pays une crise post-électorale.
1. Une campagne électorale très animée
Tant au niveau des présidentielles que des législatives, les candidats ne ménagent pas leur peine pour conquérir le vote des électeurs : Posters géants, photos, affiches, slogans, spots, meetings, débats publics, plusieurs moyens de communication sont utilisés par les compétiteurs. Toutefois, la différence entre les ressources financières des candidats est flagrante.
De plus, une certaine modernisation de la campagne électorale est constatée et la publication de résultats de sondages successifs constitue un élément non négligeable dans le déroulement de la campagne.
2. Exécution du Calendrier Electoral
Le Conseil Electoral Provisoire (CEP) a jusqu’ici, respecté pour l’essentiel les grandes étapes du processus électoral. Au plan technique, des dispositions sont prises pour la tenue des élections, le 28 novembre 2010.
A côté de ces points positifs, les organisations signataires de la présente, tiennent à révéler leurs inquiétudes et préoccupations quant aux faits alarmants et irrégularités déjà constatés.
3.- Violence et insécurité
En plusieurs endroits du pays, des cas d’affrontements entre partisans, d’agression de candidats et d’attaques perpétrées à l’encontre de responsables politiques ont été enregistrés. Les villes, théâtre de ces actes barbares sont entre autres, Aquin, Anse d’Hainault, Tiburon, Cayes, Gonaïves, Port-au-Prince, Cité-Soleil, Pétion-ville.
Dans la plupart de ces cas, des candidats proches du Pouvoir en place sont pointés du doigt.
Parallèlement, il se développe au Cap-Haïtien et à Port-au-Prince un inquiétant climat d’insécurité, sur fond de manifestations contre la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), et contre l’actuel Gouvernement.
Dans ces situations, la Police Nationale d’Haïti (PNH) ainsi que l’appareil judiciaire font montre respectivement d’une passivité troublante et d’une complicité évidente vis-à-vis des fauteurs de trouble. De plus, les moyens mis en œuvre dans ces manifestations indiquent qu’il ne s’agit pas de réactions populaires spontanées, mais d’actions commanditées par des secteurs organisés, disposant de ressources importantes.
Les organisations signataires de la présente, se demandent, perplexes, si la finalité de ces troubles, n’est pas de créer un climat d’insécurité et d’intimidation de nature à empêcher une participation massive aux élections.
Elles rappellent que la PNH ainsi que l’appareil judiciaire doivent se placer au dessus des partis politiques, protéger le processus électoral, la population et poursuivre les coupables. Etant donné le degré de frustration du peuple haïtien non disposé à accepter des résultats imposés par la violence, la peur et l’intimidation, tout dérapage peut conduire à des débordements incontrôlables.
4. Irrégularités au niveau du processus électoral
Jusqu’ici, de sérieux doutes persistent sur la fiabilité de la préparation des listes électorales. A ce sujet, il y a lieu de mentionner quelques faits troublants :
• La mise à l’écart par le CEP de l’Office National d’Identification (ONI), dans le processus d’enregistrement des demandes de transfert d’un bureau de vote à un autre, qui normalement est de la compétence de l’ONI ;
• La constitution par le CEP, d’une base de données spéciale mise en œuvre par les Centres d’Opération et de Vérification (COV) ;
• L’acceptation sans justification, par le CEP, après la date règlementaire, d’une liste spéciale de trente-cinq mille (35.000) électeurs, communiquée par l’ONI.
• La différence de 71.030 électeurs qui existe entre les listes électorales affichées par le CEP et celles de l’Office Nationale d’Identification.
Tous ces faits démontrent que la Loi électorale n’a pas été respectée par le CEP dans la prise des décisions susmentionnées.
Si certains efforts ont été consentis par le CEP dans le domaine de la communication, il n’en reste pas moins vrai que l’organisme électoral n’a pas toujours fait montre de transparence dans la préparation de la liste électorale nationale et des listes électorales partielles afin d’assurer tous les acteurs impliqués dans le processus ainsi que les observateurs, sur la fiabilité des listes présentées. Aussi, les organisations signataires de la présente, formulent-elles toutes leurs réserves par rapport à la régularité de ces listes.
Par ailleurs, ces organisations notent qu’à quelques jours des élections, une opération absolument illégale de remplacement de superviseurs de centres de vote et de membres de bureaux de vote est en cours. Cette opération est dénoncée par différents partis politiques, par certains conseillers électoraux et risque de compromettre le processus électoral, en raison des réactions de colère et de violence qu’elle provoque.
En effet, selon l’article 11 de la Loi électorale, les superviseurs doivent être recrutés sur concours et leur responsabilité principale est de superviser les centres de vote et de distribuer le matériel sensible c’est-à-dire : bulletins de vote, formulaires de procès-verbal etc. Quant aux membres des bureaux de votes, selon l’article 140 de la même loi, ils sont recrutés par tirage au sort sur des listes préalablement fournies par les partis politiques, soixante (60) jours avant le scrutin.
Cette opération de remplacement arbitraire et unilatérale de superviseurs et de membres de bureaux de vote est une violation flagrante de la loi électorale. Elle répond sans nul doute à une logique partisane qui ne peut que décrédibiliser le processus électoral.
Des partis politiques dénoncent également la création sans raison apparente, de nouveaux centres de vote situés en des endroits où ils seront facilement contrôlables par des dirigeants des partis politiques ou toutes autres personnalités qui auraient intérêt à frauder lors du scrutin et influencer ainsi, les résultats du vote.
5. Recommandations
Fort de toutes ces considérations, les organisations signataires de la présente
Demandent instamment au Gouvernement, d’assumer ses responsabilités régaliennes telles qu’elles sont fixées par la Constitution Haïtienne de 1987 et les Lois de la République, c’est-à-dire, de garantir la sécurité de toute personne évoluant sur le territoire national et de maintenir la paix publique, avant, pendant et après les élections ;
Recommandent aux candidats, à quelque parti qu’ils appartiennent, de renoncer à la violence ;
Exigent que la Loi électorale soit scrupuleusement respectée à toutes les étapes du processus électoral et en particulier que les superviseurs de centres et les membres des bureaux de vote illégalement nommes soient écartes avant la tenue des élections.
Demandent au CEP d’organiser, dans l’esprit de l’article 26 de la Loi électorale, avant le jour du scrutin, une séance spéciale de vérification du registre électoral, au cours de laquelle des observateurs et des représentants de partis politiques, avec le concours d’experts en informatique, pourraient s’assurer qu’aucun biais n’ait été introduit dans la préparation des listes électorales ;
Enjoignent le CEP à mettre à la disposition des observateurs et des partis politiques le « Manuel de Procédures » du Centre de Tabulation afin de bien informer tous les acteurs des dispositions prévues dans chaque situation et d’éviter une répétition de cette fameuse mise en quarantaine de votes qui a entaché les élections sénatoriales de 2009 ;
Invitent enfin la population à ne pas se laisser intimider par les actes de violence mais à se rendre massivement aux urnes pour accomplir leurs devoirs civiques et défendre leurs droits politiques.
Port-au-Prince, le 23 novembre 2010
Suivent les signatures des organisations :
Conseil d’Observation Electorale (CNO)
Initiative de la Société Civile, (ISC),
Réseau Nationale de Défense des Droits Humains (RNDDH)
Conseil Haïtien des Acteurs non Etatiques (CONHANE)
Centre d’Education, de Recherches et d’Actions en Sciences Sociales et Pénales (CERESS)
Mouvman Fanm Aktif Kafou (MOFKA)