P-au-P., 02 Janv. 04 [AlterPresse] --- La République d’Haïti a vécu une journée sous haute tension le 1er janvier 2004, à l’occasion du bicentenaire de la proclamation de son Indépendance célébré dans un climat de contestation du régime au pouvoir, ont pu constater les journalistes d AlterPresse.
Des dizaines de milliers de personnes ont gagné les rues de la capitale et d’autres villes du pays pour réclamer la démission du président du 26 novembre 2000, Jean Bertrand Aristide, au moment où celui-ci commémorait, avec des milliers de partisans et des délégations internationales restreintes, les 200 ans de la première et unique révolution antiesclavagiste mondiale sur la pelouse du Palais National.
Parmi le nombre limité de représentants internationaux à assister à la cérémonie gouvernementale ce 1er janvier 2004, on peut citer le président de l’Afrique du Sud Thabo Mbeki ainsi que le vice président du Surinam, le Premier Ministre des Bahamas, une congresswoman députée étasunienne, un représentant du Vatican et des ambassadeurs accrédités en Haïti.
Aristide, qui semble ne pas faire cas de la grogne grandissante contre sa présence à la tête du pays, a promis une liste de 21 dispositions qu’il compte prendre d’ici l’année 2015 en Haïti, a-t-il annoncé dans ce qu il appelle les 21 coups de canon du bicentenaire. Ce qui laisse supposer que Aristide croit son régime lavalas être en mesure, voire avoir les moyens de perdurer au pouvoir durant encore plus de dix ans.
Ce qui laisse présager également un possible renforcement de la répression, dans les jours et mois à venir, à l’encontre de toutes les catégories sociales de la population en train de se révolter contre le brigandage lavalas institutionnalisé, depuis l’agression sauvage le 5 décembre 2003 contre deux facultés publiques, au cours de laquelle le recteur de l’Université d’Etat Pierre Marie Paquiot a eu les deux genoux sévèrement fracturés et de nombreux étudiants furieusement malmenés par la milice lavalas, sous les yeux complices de membres de la police nationale.
Entre-temps, plus d’une centaine de détenus de la prison civile de Port-au-Prince ont profité des festivités du 1 er janvier 2004 pour se mettre en cavale. D’autres détenus se sont échappés également à Gros Morne, à environ 200 kilomètres au nord-ouest de la capitale, pendant qu’une foule de manifestants en colère saccageaient le commissariat de police de la ville et incendiaient deux autobus publics sur le point d’emmener des gens aux Gonaïves, la Cité de la proclamation de l’Indépendance à 171 kilomètres au nord de Port-au-Prince.
Dans une atmosphère marquée par le crépitement de rafales d’armes à feu, Jean Bertrand Aristide a tenu à délivrer rapidement un discours sur la place d’arme des Gonaïves, au milieu d’une ceinture de containers et de dispositifs impressionnants de sécurité dressés pour éviter d’éventuels affrontements avec des militants armés du quartier populaire de Raboteau situé à proximité de la place d’armes.
Thabo Mbeki n a pas participé à la courte cérémonie des Gonaïves, malgré la présence dans cette ville depuis quelques jours de militaires sud-africains qui, avec des policiers haïtiens, sont même allés perquisitionner à une station privée Radio Etincelle. Mbeki aurait décidé d’annuler sa visite aux Gonaïves après qu’un hélicoptère de reconnaissance sud-africain eut essuyé des tirs d’armes en survolant la ville.
Pour une célébration de bicentenaire, cela a été paradoxal d’enregistrer la présence de militaires étrangers venus garantir la sécurité d’officiels nationaux, déplorent les analystes.
Suivant les correspondances de presse, la population des Gonaïves s’est terrée chez elle durant la journée du 1 er janvier 2004, en signe de colère contre les agressions policières dont elle est victime depuis fin septembre 2003. Une partie des habitants a pu tout de même réussir un mouvement de protestations ayant pour slogan « A Bas Aristide ».
Des groupes de personnes, venues de Saint-Marc et d’autres régions d’Haïti, ont pour leur part manifesté sur la place d’armes en faveur du respect du mandat controversé de 5 ans d’Aristide. Pour laisser la ville, ces partisans du pouvoir auraient éprouvé des difficultés avec les membres du Front de Résistance des Gonaïves. Toujours est-il que des véhicules officiels ont essuyé des tirs nourris après le passage éclair d’Aristide sur la place d’armes.
Se retrouvant au sein du Front de Résistance anti-Aristide des Gonaïves, les militants armés, anciens partisans d’Aristide, (ils n’ont pas cessé de confirmer que c’est le pouvoir lavalas lui-même, pour protéger le régime, qui leur avait confié les armes aujourd’hui en leur possession) occupent presque quotidiennement les rues des Gonaïves pour demander justice pour leur chef de bande, Amyot Métayer, dont le corps a été retrouvé mutilé le 23 septembre 2003 à Saint-Marc, à 96 kilomètres au nord de la capitale. Au moins 30 personnes, dont un bébé de 15 jours, ont été tuées et plus d’une centaine d’autres blessées, depuis cette date, dans des opérations punitives conduites par la Police Nationale d’Haïti à Raboteau.
A l’exception de Jacmel, dans le Sud-Est, l’Eglise catholique romaine n’a pas réalisé de Te Deum, cérémonie religieuse officielle organisée à l’occasion des grands événements suivant une convention de 1860 avec le Vatican. Les prêtres des Gonaïves avaient eux-mêmes refusé de chanter une quelconque messe le 1 er janvier 2004, suite à l’investissement de la cathédrale de la ville, peu de jours auparavant, par des policiers à la recherche de membres du front de résistance. Ces policiers auraient même tiré `a l’intérieur de la cathédrale des Gonaïves, rapportent les correspondants de presse.
Cependant, de nombreux manifestants se sont rués dans les rues de plusieurs autres villes du pays (Artibonite, Sud-Est, Nord-Ouest, Sud-Ouest) pour exiger le départ du président.
A Port-au-Prince, la manifestation antigouvernementale a été interrompue en début d’après-midi par les policiers qui ont argué d’une situation difficile au centre-ville avec l’évasion de détenus de la prison civile. Les manifestants, qui allaient se regrouper un peu plus tard pour relancer leur mouvement de plus belle, ont été pris en chasse par les policiers, qui ont utilisé des gaz lacrymogènes et leurs armes automatiques, pour disperser la foule qui grossissait au fur et à mesure.
Un nombre indéterminé de manifestants antigouvernementaux ont été blessés par balles ou contusionnés dans leur tentative de ne pas inhaler les vapeurs des gaz lacrymogènes. Ils ont du se réfugier dans des maisons avoisinantes, au cœur de la capitale, pour échapper aux policiers de la Compagnie d’Intervention et de Maintien de l’Ordre (CIMO), qui auraient sauvagement battu des manifestants avant de les conduire à un commissariat de la zone métropolitaine.
Des partisans lourdement armés du pouvoir lavalas ont aussi pisté les manifestants, brisé les pare-brise de plusieurs véhicules dans différents quartiers du centre-ville et lancé des pierres contre diverses maisons. Auparavant, dans la matinée, la milice lavalas s’était emparée de plusieurs véhicules privés, dont un de la station privée Télé Haïti aperçu, des heures plus tard, bondé de gens sur la route nationale # 1 en direction des Gonaïves.
Au cours de cette journée de haute tension, le journaliste David Sincère a été molesté par des policiers des Gonaïves qui l’ont emprisonné avant de le relâcher quelques heures plus tard. Des partisans du régime lavalas ont menacé d’appliquer prochainement la formule « koupe tèt, boule kay » (décapiter les opposants au régime et brûler leurs maisons) aux journalistes de diverses stations de radiodiffusion indépendantes privées, qu’ils accusent de fomenter la violence dans le pays.
Un spectacle culturel, déroulé au Palais National avec des artistes cubains et haïtiens et en compagnie du cinéaste américain Danny Glover (ami de Jean Bertrand Aristide), a clôturé les festivités gouvernementales du bicentenaire, boudées par de nombreuses composantes sociales du pays, dont la plupart des artistes regroupés autour du Collectif « NON » depuis fin septembre 2003.
Dans la nuit du 31 décembre 2003 au 1 er janvier 2004, plusieurs centaines de personnes s’étaient rendues au Champ de Mars, la principale place publique à proximité du palais présidentiel, pour tenter de se donner une contenance pour le nouvel an. En dépit du marasme économique et de la morosité ambiante, beaucoup d’habitants de la capitale tenaient à boire un coup, à consommer certains mets spéciaux dans les rues et à mettre de la musique d’animation à certains endroits.
Les partisans du régime ont organisé ça et là quelques manifestations dansantes dans leurs quartiers. Des feux d’artifice ont éclairé le ciel à l’occasion, tandis que des rafales d’armes lourdes ont été entendues à minuit dans divers quartiers de Port-au-Prince.
Malgré la situation et les conditions difficiles d’existence dans le pays, différentes familles ont pu boire la soupe traditionnelle de giraumont au matin du 1 er janvier 2004, qu’ils ont partagée avec des proches.
Les observateurs supputent que les prochains jours en Haïti risquent fort d’enregistrer une confrontation entre les partisans du statu quo, qui se retrouvent dans le camp lavalas, et les défenseurs d’une nouvelle alternative de gestion nationale répartis parmi les diverses couches de la population en faveur de changements profonds pour un meilleur vivre ensemble.
Quoi qu il en soit, une volonté de prendre en main les destinées de la nation, en dehors des magouilles et combines de politiciens, paraît évidente chez de nombreux secteurs vitaux en quête d une unité organique de transformation véritable des structures institutionnelles nationales.[rc apr 02/01/04 16:00]