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Haiti-Elections : Risques de pressions politiques sur l’appareil judiciaire aux Coteaux

Hausse des cas de violations des droits de l’homme

Communiqué du Barreau de l’ordre des avocats des Coteaux (Sud)

Soumis à AlterPresse le 28 octobre 2010

Le Barreau des Coteaux est particulièrement préoccupé par la hausse des cas de violations des droits de l’homme et d’abus d’autorité qu’il a pu observer ces dernières semaines dans le ressort de la juridiction du Tribunal de Première instance des Coteaux. Le Barreau se trouve dans l’obligation de dénoncer publiquement le comportement de certains magistrats qui ont exercé et continuent à employer des pratiques illégales, déloyales et arbitraires à l’encontre de justiciables pour des raisons qui semblent liées au contexte électoral.

Le Barreau des Coteaux a eu déjà à intervenir énergiquement dans le cadre de son programme d’assistance juridique sur plusieurs cas problématiques. Fin septembre, sept paysans ont été arrêtés et écroués aux ordres du Juge de paix de Port-à-Piment en dehors de tout cas de flagrant délit et alors même qu’il n’existait aucun début de preuves de leur implication dans un quelconque dossier. Le juge de paix s’est servi du prétexte d’une affaire de meurtre pour priver de liberté ces individus qui ont montré leur affinité politique avec l’un des candidats à la députation se présentant en face du candidat de l’INITE pour la circonscription de Port-à-Piment.

Dans la même semaine, deux autres partisans de ce candidat ont fait l’objet de mandat d’amener sous un autre prétexte, lié à une affaire de cambriolage datant de la nuit du 21 au 22 aout. Ces mandats délivrés dans l’illégalité, décernés le 9 septembre par le Parquet, soit de nombreux jours suivant la commission de l’infraction et donc hors de tout cas de flagrance, se basaient uniquement sur des dénonciations calomnieuses de la part de personnes qui seraient proches du parti au pouvoir.

Dans ce contexte, le Barreau ne peut que mettre en doute la neutralité de certains magistrats devant la partialité des actes posés par eux à l’égard de certains justiciables, ces magistrats se cachant à peine de la nature politique de ces poursuites arbitraires dénuées de tout fondement légal. Le Barreau espère qu’il ne s’agit pas d’une stratégie globale du pouvoir visant à intimider les électeurs de l’opposition et à priver de liberté certains d’entre eux, au moins jusqu’aux élections, dans la perspective de les priver de leurs droits politiques. Grâce à l’intervention énergique et diligente de leurs avocats, le Parquet a été forcé de reconnaitre la nature arbitraire et illégale de ces arrestations et de les libérer après avoir classé sans suite les deux affaires. Le Barreau se doute cependant que sans l’intervention des avocats, ces justiciables seraient très certainement toujours incarcérés.

Plus récemment, le Barreau a pu constater l’aggravation de la situation dans la circonscription de Port-à-Piment. Le 23 octobre, un mandat d’amener à été décerné à l’encontre du délégué de ville de Port-à-Piment, Monsieur Frantz Marette, qui avait pourtant porté plainte la veille contre Raymond Pierre Louis pour voies de fait exercées sur sa personne, plainte qui avait donné lieu sur l’insistance de ses avocats à une enquête de flagrance le soir même de l’infraction et pour laquelle il avait reçu une lettre d’invitation datant du 23 octobre de la part du juge de paix suppléant de Port-à-Piment. Malgré les demandes répétées des avocats de monsieur Frantz Marette, le juge de paix a refusé de délivrer une copie du procès verbal de l’enquête de flagrance pourtant accessible à l’ensemble des parties.

Le Barreau s’étonne de la pratique illégale et déloyale du juge qui se permet d’émettre de manière concomitante et en toute illégalité une lettre d’invitation et un mandat d’amener, laissant ainsi croire à la victime qu’il instruit sa plainte alors que dans le même temps il renverse les faits pour le mettre en accusation. Cette mise en accusation injuste, illégale et incompréhensible du délégué de ville, autorité locale élue et respectée de la population de Port-à-Piment et leader politique investi dans la campagne électorale, est de nature à ruiner la crédibilité de l’institution judiciaire. Le juge de paix s’est également permis de mettre en accusation le témoin à charge proposé par Frantz Marette lors de l’enquête de flagrance ainsi qu’une autre personne.

En la matière, le Barreau ne peut pas ignorer les pressions exercées sur le juge suppléant par la personne accusée originellement, M. Raymond Pierre Louis, qui se trouve être membre du cabinet du Ministre de la justice. A ce sujet, le Barreau doit d’ailleurs rappeler qu’il a du, suite à des plaintes répétées de la population, alerter formellement le Commissaire du Gouvernement le mardi 5 octobre d’une usurpation de titre, le sieur Raymond Pierre Louis étant accusé d’abuser de son titre de membre du cabinet du Ministre de la Justice pour se faire passer pour un contrôleur judiciaire et exercer des pressions sur certains magistrats.

Dans ce contexte, le Barreau a pu percevoir la peur de différents magistrats de la juridiction qui hésitent à prendre en charge leur responsabilité pour appliquer la loi et contrôler, sur requête des avocats, les agissements arbitraires du juge de paix suppléant de Port-à-Piment. Il ressort du déroulement de cette affaire une partialité certaine et une influence démesurée du pouvoir politique sur l’organe judiciaire dont la première règle déontologique devrait pourtant être l’indépendance. Fort heureusement, le recours en référé introduit le 26 octobre par Frantz Marette ainsi que les deux autres personnes injustement accusées a donné lieu à une ordonnance du juge des référés le 27 octobre 2010 qui a constaté le caractère illégal et arbitraire des mandats d’amener décernés par le juge de paix suppléant de Port-à-Piment. Le Barreau se félicite que le juge des référés n’ait pas cédé aux pressions qui ont manifestement été exercées par des personnalités et espère que le principe de la séparation des pouvoirs pourra être renforcé à l’avenir.

Le Barreau veut mettre à disposition toutes ses compétences juridiques pour contester ces actes arbitraires et faire respecter la loi par les magistrats de la juridiction des Coteaux. Il est cependant conscient qu’il faut également agir à d’autres niveaux pour espérer imposer le respect de la loi et des droits humains par les magistrats et le pouvoir politique. La partialité des juges et les pressions exercées sur eux doivent être relayées par les médias et dénoncées par les organisations locales et internationales ainsi que par la population pour que l’on puisse espérer la tenue d’élections libres, démocratiques et respectant les droits politiques de chacun.

28 octobre 2010

Me Jacques LETANG
Bâtonnier de l’Ordre des avocats des Coteaux