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Haiti-Cybercriminalité : Nouvelle frontière de la politique de sécurité

Par Blair Chéry *

Soumis à AlterPresse le 7 octobre 2010

Aujourd’hui, comme toutes les autres sources d’insécurité, la cybercriminalité occupe, dans la plupart des États du monde, une place centrale dans leurs politiques de sécurité. En est-il de même en Haïti, à un moment où le souci sécuritaire constitue une préoccupation majeure et où les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) sont omniprésentes dans la vie quotidienne ? Joindre la cybercriminalité à la sécurité, dans cet article, permet de voir comment les technologies numériques appellent une nouvelle approche dans la politique de sécurité.

1. La révolution numérique liée à celle de l’information et de la communication a profondément modifié l‘économie, l’information (ex. twitter), le commerce, les rapports sociaux (ex. facebook), les territoires, l’accès au savoir, l’exercice des droits politiques (ex. le vote électronique), etc. Bref, elle restructure la société dans son ensemble en procédant à un renouvellement de ses méthodes de travail et de sa manière de résoudre les problèmes. À l‘heure actuelle, il est difficile de trouver une sphère d’activités, dans le monde et particulièrement en Haïti, qui échappe totalement aux nouvelles technologies.

2. La criminalité ne s’est pas développée en marge de cette révolution. Les criminels, qui ne s’adonnaient jusqu’à l’arrivée des TIC qu’à des formes traditionnelles de criminalité, saisissent les opportunités offertes par les nouvelles technologies pour commettre leurs forfaits (piratage et paralysie des réseaux de communication, pédopornographie, vol de fichiers, escroqueries, blanchiment d’argent, atteintes à la vie privée, contrefaçon, etc.). Les données, publiées par les différentes institutions spécialisées [1] à travers le monde, révèlent l’importance de la criminalité utilisant les supports numériques. La cybercriminalité est devenue une nouvelle forme de criminalité et de menace pour la société. Ses conséquences peuvent être particulièrement néfastes pour la sécurité et l’économie des États et, bien évidemment, pour les citoyens qui peuvent individuellement toucher dans leur dignité et leurs biens.

3. Empêtrer dans une crise politique permanente, dans des urgences continuelles et des provisoires définitifs, Haïti n’inscrit pas encore la cybercriminalité dans sa politique de sécurité. Par ailleurs, malgré l’inquiétude que suscite l’insécurité dans la société, la criminalité via les TIC, comme d’autres sujets, est totalement absente dans les débats publics (la veille des élections nationales : synonyme de choix importants pour l‘avenir du pays). Sommes-nous trop enfermés dans nos quotidiens oubliant que les risques et les menaces d’aujourd’hui sont à la fois physique et immatérielle ? S’agit-il d’une absence de vision nous empêchant de voir que le monde est en train de changer et que l’immatériel représente la part la plus importante de l’économie moderne ? Notre attitude viendrait-elle de notre incapacité à saisir les grands enjeux de notre temps ? Il suffit de rappeler quelques éléments pour voir l’intérêt d’un tel sujet.

4. De nos jours, la plupart des données produites et utilisées en Haïti, quelles soient de nature économique, sécuritaire, officielle, etc., se trouvent ou sont conservées sur des supports numériques et peuvent faire l’objet d’attaque de la part des pirates informatiques. D‘un autre côté, le cyberespace est devenu une source de nouvelles formes d’atteintes aux droits des citoyens. Les entreprises haïtiennes, connectées aux réseaux numériques, sont exposées aux attaques en ligne. Les institutions publiques travaillant en réseau ou présentes sur le web peuvent subir des instruisons dans leurs systèmes informatiques de nature à les rendre dysfonctionnels. Tous ces exemples montrent, d’une part, qu’on ne devrait pas envisager le déploiement des TIC sans penser aux risques qui lui sont liés et, d‘autre part, les menaces dans le cyberespace sont « multidimensionnelles et multidirectionnelles ».

5. En touchant des domaines divers, les risques et les menaces engendrés par les nouvelles technologies dépassent le simple cadre de la cybercriminalité (infraction en ligne), la sécurité nationale pourrait être aussi menacée par ce type d‘actes. Une attaque de virus contre les industries de réseau en Haïti, certainement inter- connectées via internet, peut bloquer l’ensemble des activités administratives, économiques, sociales, etc. Certains pays qui ont déjà subi ces genres d’attaques massives [2] et d’autres, qui n’ont pas été encore frappés à un tel niveau, ont pris la mesure de cette menace. Les américains, après différentes attaques contre leurs systèmes d’information [3], font du cyberespace le cinquième espace de bataille [4] (après les dimensions aérienne, maritime, terrestre et spatial). Certains États africains (en particulier les dix pays de la sous région Ouest) ont bien compris que la recrudescence de la cybercriminalité influe dangereusement sur leurs images, leurs sécurités et leurs économies [5]. Malheureusement les responsables haïtiens (public et privé) ne manifestent à ce jour aucun intérêt pour cette facette des nouvelles technologies.

6. Aujourd’hui, avec les TIC, les actes illicites ont considérablement évolué, non seulement parce que les supports se dématérialisent et que les crimes sont commis par le truchement des réseaux numériques, mais aussi parce que les questions relatives à la notion d’infraction, de territoire, de justice, ou plus particulièrement à celle de sécurité se posent en termes inédits. Avec les nouvelles technologies, l’insécurité a changé de visage. Il n’est plus seulement question d’agression physique car les actes sur les réseaux sont virtuels, mais également de menace sur la sécurité intérieure : internet dépasse les frontières nationales. La sécurité nationale est aussi concernée par les dangers du web, en fait, les pirates peuvent handicaper les réseaux de communication d’un pays. Les TIC ont diversifié les menaces, les rendant plus grandes et les dommages peuvent être énormes.

7. En conséquence, il faudra certainement aller plus loin encore et regarder de manière différente la criminalité ou la notion de sécurité en général. Face aux menaces liées à l’usage des nouvelles technologies et la mondialisation qu’elles accompagnent, les frontières de la criminalité vont au delà des formes traditionnelles d’insécurité. En présence d’un tel phénomène, on ne peut plus enfermer la sécurité dans une question d’ordre et de paix ou tout simplement de police. Elle couvre un champ beaucoup plus grand allant de la sécurité intérieure à la défense nationale en passant par les TIC, l’environnement, l’intelligence économique, l’éducation, l’énergie, le renseignement, l‘alimentaire, les assurances, etc. La sécurité est ainsi devenue un concept transversal, plus exactement global. Aujourd’hui, elle doit être pensée dans sa globalité car en cas de crise les effets systémiques ne sont pas à écarter du fait de l’interdépendance des différents domaines d’activités. Le 12 janvier en est un exemple.

8. Le tremblement de terre a en effet frappé tous les secteurs de la société haïtienne. Dans les nouvelles technologies on peut même parler d’un séisme numérique tant les pertes en données informatisées sont considérables. Cela représente un risque réel d’insécurité avec des conséquences économiques et sociales très importantes pour le pays (vol de propriété intellectuelle et de fichiers contenants des données personnels ou d‘informations confidentielles ; perte de compétitivité, de savoir-faire et cessation d’activités pour certaines entreprises ; augmentation du chômage et de l’insécurité, etc.). Ces données, aux valeurs économique et stratégique, seraient selon certaines sources en vente sur le marché et peuvent éventuellement être utilisées à des fins criminelles sur le réseau internet.

9. La solution à apporter aux problèmes d’insécurité est d’une importance capitale. Dans un pays comme Haïti où le risque sismique et les menaces de catastrophes naturelles sont permanents, où les TIC sont en plein essor et où l’économie s’ouvre de plus de plus au monde, il serait inapproprié de répondre aux questions relatives à la sécurité par des décisions sectorielles. La séparation entre l’économie, le social, l’écologie, la sécurité publique, les nouvelles technologies, etc. n’a plus guère de sens. Ces secteurs sont étroitement liés et se conditionnent mutuellement. Donc, la sécurité globale s’impose comme espace de travail pour élaborer une nouvelle politique.

* Doctorant, juriste
Université Toulouse1 Capitole
Contact : blairchery@gmail.com

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Références bibliographiques


[2Par exemple l’Estonie a subi au printemps 2007 une attaque informatique qui rendait indisponible les sites du gouvernement, des opérateurs de téléphonie, des organes de presse et des rumeurs sur la faillite de certaines banques. La deuxième banque a du fermer tous ses accès en ligne depuis l’étranger.

[3Selon le Financial times du 03/10/2007, le pentagone avait été victime, le 20 juin de la même année, d’une intrusion dans ses systèmes d’information.

[4TISSIER Guillaume : Les Etats-Unis préparent la guerre informatique, In Défense nationale et sécurité collective, Paris : 64ème année/mai 2008, p. 127

[5Déclaration de Armand Zinzindo-houé (Ministre de l’intérieur et de la sécurité du Bénin) lors de l’ouverture de la sixième formation de la police des dix pays de la sous région Ouest-africaine en juin 2009.