Observations préliminaires du RNDDH et du CNO sur le processus électoral
Document soumis à AlterPresse le 27 septembre 2010
A l’occasion de l’ouverture officielle de la campagne électorale, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) et le Conseil National d’Observation (CNO) tiennent à attirer l’attention de tous sur un ensemble de faits marquant le processus électoral qui, s’ils ne sont pas adressés à temps, sont de nature à compromettre les prochaines élections et à engendrer une crise postélectorale.
Le RNDDH et le CNO rappellent que le 16 octobre 2009, un nouveau Conseil Electoral Provisoire (CEP) a été institué, en raison des allégations portées à l’encontre de l’ancienne structure électorale décriée par des membres de la classe politique et par son Vice-président, pour avoir favorisé les candidats du pouvoir en place au détriment des candidats de l’opposition, lors des élections sénatoriales partielles de juin 2009.
Au prime à bord, ce nouveau CEP a été investi de la mission de réaliser les élections législatives partielles. La responsabilité d’organiser les élections présidentielles ne lui sera attribuée que quelques mois plus tard. Toutefois, dès sa création, ce nouveau CEP est considéré par plus d’un comme étant une institution totalement dépendante du pouvoir en place. Cette impression s’est trouvée renforcée avec la décision de ce CEP d’écarter, d’entrée de jeu, de la course électorale pour les postes à la Députation et au Sénat, des partis politiques reconnus, habitués aux compétitions électorales, dont Fanmi Lavalas, UNION, prouvant ainsi que l’équité procédurale et la certitude légale ne sont pas les conditions d’admissibilité des partis, groupements ou regroupements de partis politiques désireux de participer aux élections. De plus, le CEP a décidé d’enregistrer, en violation de la Loi, la Plate-forme politique du pouvoir en place INITE sous la même dénomination qu’un parti déjà enregistré.
Profil des candidats agréés
Dix-neuf (19) candidats à la Présidence, quatre vingt seize (96) au Sénat et huit cent vingt-sept (827) à la Députation, ont été agréés par le CEP. Plusieurs d’entre eux sont l’objet de poursuites judiciaires pour association de malfaiteurs, incendie et pyromanie, massacre de la Scierie, évasion de prison en date du 19 février 2005, trafic illicite de stupéfiants, viol, vol de véhicule, etc. Mis en détention préventive pour la plupart, ils ont été relâchés sans être passés par devant une instance de jugement. Ils se proposent aujourd’hui d’occuper des postes importants dans le pays, en dépit de la précarité de leur situation.
Parallèlement, des Députés et des Sénateurs décriés en raison de leur implication présumée dans des actes de corruption lors de la 48ème législature, sont candidats à leur succession.
Examen des candidatures à la Présidence
L’examen des candidatures à la Présidence s’est fait dans le mépris total de la Constitution haïtienne de 1987. En effet, le 3 août 2010, le CEP a pris un communiqué illégal autorisant les Candidats à la Présidence, anciens gestionnaires de deniers publics, à ne soumettre que le rapport favorable de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) en lieu et place du certificat de décharge, ce, en violation de la Constitution de 1987 qui prévoit au Titre V, chapitres 2 et 3, comme l’un des critères pour postuler aux postes électifs à pourvoir, que les candidats aient obtenu décharge, le cas échéant, comme gestionnaires de fonds publics.
Il est clair que le communiqué du 3 août 2010 a été pris dans le but de favoriser le dépôt de candidature des hauts fonctionnaires proches du pouvoir en place, qui étaient responsables de deniers publics. En effet, tous les candidats proches du pouvoir en place ont été agréés tandis que, certains candidats ont été évincés de la course électorale malgré la soumission au CEP, de dossiers complets, prouvant ainsi qu’une politique de deux poids, deux mesures, est mise en application dans le cadre de l’examen des candidatures.
De plus, les documents versés aux dossiers des candidats n’ont d’importance que celle que veut bien leur accorder le CEP. En ce sens, il convient de signaler que des candidats sont agréés par le CEP en dépit du fait qu’ils aient fourni des documents non conformes.
Campagne électorale
Dans le calendrier électoral, il a été décidé que la campagne électorale serait lancée le 27 septembre 2010. Cependant, plusieurs candidats ont ouvert leur campagne bien avant cette date officielle. Nous pouvons prendre, à titre d’exemple, Jude CELESTIN, Charles Henri BAKER, respectivement candidats sous les bannières de la plateforme INITE et le parti RESPE.
Des Députés et Sénateurs, candidats à leur succession sous la bannière de la Plateforme INITE, ont aujourd’hui encore en leur possession des matériels de l’Etat, normalement attachés à leur ancienne fonction. Ils les utilisent pour mener leur campagne électorale.
Organes techniques du CEP
D’une manière générale, les Bureaux Electoraux Départementaux (BED) ainsi que les Bureaux Electoraux Communaux (BEC) ne sont pas bien équipés en matériels de fonctionnement même si les employés semblent en certains endroits, motivés et expérimentés.
De plus, le CEP a procédé à l’installation des Centres d’Opération et de Vérification (COV) qui sont appelés à recevoir les déclarations de perte de cartes d’identification nationale, à aider les électeurs déplacés à faire choix d’un centre de vote où ils aimeraient remplir leur devoir civique, à confirmer les centre de vote des potentiels électeurs et à recevoir les déclarations d’inscription des électeurs. Le travail du COV se confond intimement avec celui de l’Office National de l’Identification (ONI), soulevant ainsi la question de l’importance de cet organe nouvellement créé. En effet, les fonds alloués au fonctionnement des COV estimés à plusieurs millions de dollars américains auraient pu être utilisés pour le renforcement des capacités de l’ONI.
Par ailleurs, à date, la réponse de la population vis-à-vis des COV reste timide et, rares sont les électeurs qui sont informés de l’existence de cette structure ou même qui sont imbus de son utilité. A titre d’exemple, le département du Sud-est accueille cent vingt cinq (125) COV pour cent vingt cinq (125) centres de vote, à raison d’un COV par centre de vote. Sur six (6) COV visités le vendredi 17 septembre 2010 par une délégation du RNDDH et du CNO, cinq cent quatre vingt huit (588) personnes seulement sont enregistrées alors que les COV disposent en moyenne de dix-neuf (19) jours pour accompagner la population.
Le RNDDH et le CNO tiennent à souligner qu’il s’agit là d’une opération de grande envergure car, les informations recueillies doivent être acheminées à la Direction du Registre Electoral (DRE) pour être utilisées dans le cadre de la mise à jour de la liste électorale avant sa publication.
Il convient aussi de noter que la liste électorale, telle qu’elle se présente aujourd’hui, doit impérativement être actualisée car, après le séisme du 12 janvier 2010, des milliers de potentiels électeurs figurant sur l’ancienne liste électorale ont perdu la vie.
Office National de l’Identification (ONI)
L’ONI n’est pas à la hauteur de la tâche qui lui est attribuée, savoir, fournir la carte d’identification nationale aux citoyens qui en produisent la demande. A date, plusieurs bureaux décentralisés ont été éparpillés à travers le pays pour combler les attentes de la population en âge de voter. Cependant, des files d’attente sont constatées tant aux abords du bureau central de l’ONI qu’aux alentours des bureaux déconcentrés. Très peu de demandes sont agréées. Des personnes ayant produit des demandes depuis plusieurs mois voire, plusieurs années, ne sont toujours pas satisfaites.
Si des milliers de cartes en stock depuis 2005 ne sont toujours pas réclamées par leurs propriétaires, aucun effort n’est fait par les responsables en vue de les délivrer. A titre d’illustration, les responsables de l’ONI des communes de Jacmel, des Gonaïves, du Cap-Haïtien, détiennent respectivement deux mille onze (2.011), huit mille (8.000) et huit mille cinq cents (8.500), soit au total, dix-huit mille cinq cent onze (18.511) cartes non encore délivrées à leurs propriétaires. Pour la seule 6ème section communale de Petite Rivière de l’Artibonite, plus de huit cents (800) cartes ne sont pas encore réclamées.
Parallèlement, le personnel de l’ONI travaille dans des conditions difficiles qui ne facilitent pas un rendement efficient et efficace. Les bureaux sont logés dans des commissariats, dans des mairies et, en certains endroits, sous des tentes qui, souvent sont en mauvais état. De plus, le personnel est insuffisant pour répondre aux multiples demandes de la population. Pour le bureau de l’ONI situé à Quartier Morin, un seul employé abat aujourd’hui le travail que réalisaient neuf (9) personnes, en 2009.
Les officiels haïtiens et étrangers se targuent d’avoir tout mis en œuvre pour la réalisation d’un scrutin libre, honnête et démocratique. Cependant, sur le terrain, la réalité est toute autre et les observations faites par le RNDDH et le CNO démontrent que déjà, le processus électoral est entaché de graves irrégularités et de problèmes majeurs, susceptibles de compromettre le scrutin du 28 novembre 2010 et, par ricochet, la stabilité du pays. Si, aux dires du représentant des Nation-Unies, l’Etat haïtien ne pouvait sanctionner les candidats ne détenant pas leur certificat de décharge, osera-t-il sanctionner les potentiels électeurs qui ont fait la demande de leur carte d’identification nationale depuis plusieurs mois, voire, plusieurs années ?
Port-au-Prince, le 27 septembre 2010