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Conférence avec les bailleurs le 25 juillet

Cadre de coopération intérimaire en Haïti : changements nécessaires

Quelques jours avant la conférence avec les bailleurs de fonds internatioanux, qui se tient à Port-au-Prince le 25 juillet 2006, la Coordination Europe-Haiti (CoE-H) relève des faiblesses dans l’application du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI), de 2004 à 2006, notamment en ce qui concerne le redressement économique (dont l’agriculture) et la participation de la société civile. La CoE-H fait des recommandations aux donateurs et au gouvernement haïtien sur le redressement économique à mettre en branle à partir de la réunion du 25 juillet 2006.

Par la Coordination Europe-Haiti (CoE-H)

Soumis à AlterPresse le 20 juillet 2006

A :

Louis Michel, Commissaire Europeen, en charge de developpement et de l’Aide humanitaire

Stefano Manservi, Directeur Generale, DG Developpement, Commission Europeenne

John Caloghirou, Chef d’Unite, DG Developpement

Lut Fabert-Goossens, DG Developpement

Bruno Montariol, Delegation de l’Union Europeene, Haiti

18 juillet 2006

Messieurs, Mesdames,

En vue de la conférence internationale des donateurs pour Haïti à Port-au-Prince, le 25 juillet, je vous adresse ci-joint une brève analyse des progrès et des lacunes du Cadre de coopération intérimaire (CCI) pour Haïti, selon la perspective de la Coordination Europe-Haïti (CoE-H : un réseau d’ONG européennes) et de nos organisations haïtiennes partenaires.

Notre document porte sur deux aspects du CCI qui nous préoccupent tout particulièrement :

· Les sérieuses lacunes du CCI en ce qui concerne le redressement économique, en particulier dans le secteur agricole. Nous nous référons aux chiffres établis par la Cellule de Coordination Stratégique du bureau du premier ministre haïtien, en mai 2006, qui indiquent que le secteur agricole a reçu 74% de financement de moins que ce que les plans originaux du CCI avaient prévu pour les besoins de ce secteur. La création rapide d’emplois a reçu 87% de moins que ce qui avait été prévu en 2004.

Outre la quantité, notre document met également en question la qualité de l’assistance du CCI. Nous affirmons que le CCI est une tentative très fragmentaire de reconstruction agricole qui n’a pas abordé le double problème du développement de chaines d’approvisionnement agricole compétitives et de la réduction de l’énorme dépendance d’Haïti à l’égard de l’importation alimentaire (qui s’élève à 80% de ses revenus d’exportation). Nous demandons aux donateurs et au gouvernement haïtien :

-  que le redressement économique soit le thème cible de l’engagement futur des bailleurs de fonds

-  de formuler et d’investir dans une politique de développement agricole cohérente et durable qui réduise les importations alimentaires d’Haïti, qui cible des chaines d’approvisionnement agricole particulières et qui investisse plus pour aborder la grave dégradation environnementale d’Haïti.

· Le manque de participation de la société civile dans le CCI depuis ses débuts jusqu’à sa mise en œuvre, son suivi et son évaluation au cours des deux dernières années. Les secteurs les plus pauvres et les plus marginalisés de la société civile haïtienne, ceux qui sont supposés être les plus grands bénéficiaires du CCI, ont été totalement absents de tout processus de consultation.

Nous demandons aux donateurs et au gouvernement haïtien :

-  D’effectuer une évaluation participative du CCI

-  De créer des mécanismes d’engagement de la société civile dans le comité directeur conjoint pour la mise en œuvre et le suivi du CCI (COCCI)

-  De soumettre le dialogue entre les donateurs et le gouvernement haïtien à l’examen attentif du public et de diffuser l’information sur les progrès et la mise en œuvre du CCI à la société civile haïtienne.

N’hésitez pas à contacter la CoE-H si vous avez des questions concernant le document joint. Vos demandes de renseignements peuvent m’être adressées directement ou à  : Alessandra Spalletta, Coordinatrice de la CoE-H, Rue des Tanneurs 165, B 1000 Bruxelles, Tél : +32 2 213 04 18 Mob : +32 (0)486 647 612 ; a.spalletta@broederlijkdelen.be

Nous vous remercions de l’attention portée à nos propositions et vous prions d’agréer, Messieurs, Mesdames, l’expression de notre plus haute considération.

Helen Collinson

Responsable des politiques, Amérique latine et Caraïbes
Christian Aid (UK)

Tél +44 1404 814078 ; mob : +44 (0)790 394 7782

Helen@hcollinson90.freeserve.co.uk

Pour : la Coordination Europe-Haïti (CoE-H)

cc :

Annabelle Hagon, DG AIDCO

Jose Soler, DG AIDCO

Claude Mainge, DG AIDCO

Remo Vahl, DG Trade

Valerie Liang-Champrenault, representation francaise

Berbardo Desicart, representation espagnol

Antonio Bullon, representation espagnol

Markus Knauf, representation allemande

Rudolf Gridl, representation allemande

Simon Wells, representation britannique

Steve Williams, representation britannique

Luisa Morgantini MPE

Johann van Hecke MPE

Glyn Ford MPE

Glenys Kinnock MPE

Fiona Hall, MPE

Richard Howitt MPE

P Schapira MPE

P Verges MPE

J Trauffler MPE

B Melis, MPE

Coordination Europe-Haïti (CoE-H) est un réseau de solidarité européenne et d’organisations non-gouvernementales (ONG) travaillant directement avec des ONG partenaires haïtiennes et des groupes populaires. La CoE-H comprend 60 organisations dans 8 pays européens : La Belgique, les Pays-Bas, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Ireland, l’Espagne et la Suisse. La CoE-H travaille en étroite collaboration avec Coordination Haïti-Europe (CoH-E) en Haïti, formée par des ONG haïtiennes pour nouer le dialogue avec les ONG européennes et l’UE.

Cadre de coopération intérimaire : changements nécessaires

Avant la prochaine conférence internationale des bailleurs de fonds à Port-au-Prince, le 25 juillet 2006, la Coordination Europe-Haiti (CoE-H) (1) présente aux donateurs une brève analyse des progrès et des lacunes du Cadre de coopération intérimaire (CCI), à travers lequel les donateurs versent, depuis 2004, des fonds à Haïti. Nous avons analysé ci-dessous non seulement les intentions et les plans originaux du CCI, mais également la mise en œuvre de ces plans durant ces deux dernières années.

Le CCI couvre diverses activités de développement destinées à lutter contre l’extrême pauvreté d’Haïti et à promouvoir la stabilité et la sécurité de ses citoyens, après des années de violence et de troubles politiques. Les donateurs qui ont développé le CCI en 2004 ont proposé quatre axes stratégiques d’intervention, sur une période transitionnelle (le CCI a aujourd’hui été prolongé jusqu’à la fin 2007) :

· Renforcer la gouvernance politique et promouvoir le dialogue national

· Renforcer la gouvernance économique et contribuer au développement institutionnel

· Promouvoir le redressement économique

· Améliorer l’accès aux services de base

Ce document ne tente pas d’analyser les progrès dans ces quatre axes. Il se concentre plutôt sur deux éléments du CCI dont la médiocre performance est particulièrement inquiétante pour la CoE-H et pour ses organisations partenaires haïtiennes.

· Les sérieuses lacunes du CCI en ce qui concerne le redressement économique, en particulier dans le secteur agricole

· Le manque de participation de la société civile au CCI, depuis ses débuts jusqu’à sa mise en œuvre, son suivi et son évaluation.

Cela ne signifie pas que d’autres éléments du CCI ne sont pas tout aussi importants. Nous reconnaissons, par exemple, que la réforme de la police, la réforme judiciaire et la protection des droits humains sont également essentiels. De même, l’accès aux services de base est la clé de la réduction de la pauvreté en Haïti, y compris de l’accès à l’éducation, dont dépend l’avenir d’Haïti. De plus, en nous concentrant sur le besoin d’investissement dans l’agriculture et dans le développement rural, nous ne nions pas qu’il existe de sérieux problèmes de pauvreté urbaine qui doivent également être abordés de façon urgente, en particulier afin de réduire le potentiel de violence. Nous ne souhaitons pas non plus laisser entendre que les lacunes du CCI sont limitées au redressement économique et au manque de participation de la société civile.

Nous ne doutons pas qu’une plus grande transparence et participation dans la formulation et la mise en oeuvre de plans nationaux de développement permettront, à l’avenir, aux organisations haïtiennes de la société civile ainsi qu’aux ONG européennes d’apporter leur expérience et leur expertise diverses à l’éventail complet de secteurs et de problèmes.

I Redressement économique pour Haïti et le Cadre de coopération intérimaire

Le réengagement de donateurs internationaux en Haïti depuis 2004, dans le Cadre de coopération intérimaire (CCI), arrive à un moment critique et avec des défis énormes pour son redressement économique. Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental. Selon des études récentes sur la pauvreté, menées dans le pays, il est estimé que 76 pour cent d’une population haïtienne de 8.4 millions vit au-dessous du seuil de pauvreté (avec moins de 2 US$ par jour), et environ 56 pour cent vit dans une misère noire (avec moins de 1 US$ par jour). Les zones rurales sont les plus touchées : près de quatre haïtiens extrêmement pauvres sur cinq vivent en dehors des villes.

Le Cadre de coopération intérimaire : plans initiaux pour le redressement économique

L’agriculture a été identifiée comme l’un des éléments clés de l’axe du ‘redressement économique’ du CCI. Cet axe inclut également la stabilité macroéconomique, l’électricité, la création rapide d’emplois et la microfinance, le développement du secteur privé, les routes et les transports ainsi que la protection et la réhabilitation environnementales. Chacun de ces secteurs a sa propre ligne de financement et ses propres objectifs.

Parallèlement au développement agricole et à l’aide aux petites et moyennes entreprises, le CCI affirme que le programme de redressement économique encouragera le développement du secteur touristique et de zones de libre-échange. Au moment de l’élaboration du CCI, en 2004, un certain nombre d’organisations haïtiennes de la société civile et d’ONG internationales ont soulevé de grandes inquiétudes au sujet de l’accent porté sur le tourisme et sur les zones de libre-échange. Ces inquiétudes provenaient du fait que des tentatives précédentes de développement de ces secteurs avaient très peu bénéficié aux pauvres d’Haïti.

Zones de libre-échange. Le nombre d’emplois créés dans les zones de libre-échange d’Haïti n’est pas impressionnant jusqu’à présent et l’emploi total dans le secteur est en déclin depuis la libéralisation du commerce (environ 30 000 emplois aujourd’hui par rapport à 60 000 en 1980). Ces emplois sont également de mauvaise qualité. Selon le Ministère de l’économie et des finances, ce secteur apporte le moins de valeur ajoutée et a un salaire annuel le plus bas comparativement à d’autres industries dans le pays.

Tourisme. L’infrastructure insuffisante d’Haïti signifie que toute stratégie pour aborder le tourisme n’est pas susceptible d’être pro-pauvres. Elle reposera sur des investissements étrangers importants, mais créera un petit nombre d’emplois mal rémunérés et à faibles niveaux de compétences, les profits seront transférés à l’étranger et le secteur reposera, en grande partie, sur des apports importés, avec peu de liens avec l’économie locale.

Agriculture. Etant donné l’extrême pauvreté rurale, il est essentiel d’aborder le développement agricole. En Haïti, soixante-dix pour cent de la population dépend directement ou indirectement de l’agriculture, qui est principalement artisanale. Le secteur agricole subit, depuis vingt ans, un déclin spectaculaire. La production nationale a baissé (aussi bien pour l’exportation que pour le marché local) et l’importation alimentaire a énormément augmenté. Bien que l’agriculture haïtienne ait traditionnellement souffert de nombreuses limitations (propriétés foncières de petite taille, déforestation, manque d’irrigation, d’espace d’entreposage, de transport, etc.), il n’y a aucun doute que la récente tendance du déclin de la production nationale est également liée à la libéralisation du commerce. L’économie d’Haïti est l’une des plus ouvertes du monde et 80% de ses revenus d’exportation sont dépensés, aujourd’hui, pour l’importation alimentaire.

Malgré cette situation critique, il ne semble pas que les donateurs adoptent une approche stratégique de la reconstruction agricole, bien que celle-ci ait été identifiée comme étant un secteur prioritaire dans l’axe de redressement économique du CCI. En effet, l’approche de l’agriculture semble être représentative du manque général de cohérence des plans des donateurs pour Haïti. L’accent est placé sur les activités ponctuelles plutôt que sur l’amélioration de la compétitivité globale des chaînes d’approvisionnement agricole en Haïti. Ceci ne cadre pas avec les approches du développement agricole des donateurs dans d’autres pays, où le ciblage de chaînes d’approvisionnement particulières est une pratique courante, et où des problèmes clés comme la production, la finance, la distribution et le marketing sont abordés de façon globale pour une chaîne d’approvisionnement donnée.

Dans l’axe du redressement économique du CCI, les activités principales prévues pour le développement agricole incluent :

· la vaccination du bétail et la lutte contre les maladies

· la réhabilitation des routes rurales, des canaux et des pompes d’irrigation

· la distribution de semences et d’outils

· l’appui à la production de fruits et l’intensification des activités relatives au petit bétail

· l’appui aux activités de commercialisation et de transformation

· le renforcement de la capacité du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural

De plus, le plan agricole du CCI n’aborde pas le problème clé concernant la possibilité de mettre en place, en Haïti, des chaînes d’approvisionnement agricole compétitives avec une économie si ouverte aux importations. Etant donné qu’Haïti dépense plus de 80 pour cent de ses revenus d’exportation pour l’importation alimentaire, il est fortement recommandé, purement dans une perspective de balance des paiements, que le gouvernement haïtien adopte une stratégie de réduction des importations alimentaires pour les remplacer par une production nationale. Il est donc essentiel d’aborder la compétitivité des chaînes d’approvisionnement des produits agricoles vendus sur les marchés locaux parallèlement à un réexamen de la politique commerciale. Cependant, le CCI ignore cette question clé.

Le facteur clé à l’origine de la crise agricole d’Haïti est son extrême dégradation environnementale due à la déforestation, à l’érosion du sol et à des pratiques agricoles non-durables qui persistent depuis des années, comme l’a reconnu le document original du CCI. La dégradation environnementale est également une cause essentielle de la vulnérabilité particulière d’Haïti aux inondations et aux glissements de terrain. Et pourtant, moins de 2% des promesses de fonds du CCI dans le budget établi en 2004 concernaient la protection et la réhabilitation environnementales.

Evaluer les progrès du CCI

En février 2006, les donateurs sont convenus, lors d’une réunion à Washington pour discuter du CCI, qu’une évaluation indépendante et qu’un audit du CCI devraient être effectués dans les mois suivants. à€ ce jour, il nous a été impossible d’établir si l’audit ou l’évaluation indépendante a eu lieu. Nous ne savons pas, non plus, quelles évaluations éclaireront la prochaine conférence des donateurs du CCI, le 25 juillet 2006.

Néanmoins, depuis 2004, plusieurs évaluations du CCI ont été effectuées et divers rapports ont été rendus publics.

En agriculture, ces rapports de position incluent les accomplissements suivants :

· développement de petits projets d’infrastructure : systèmes d’irrigation, routes rurales, conservation d’eau, etc.

· appui aux cultivateurs de fruits et aux éleveurs de bétail

· distribution de 15 tonnes de semences

· distribution et semence de 3.9 millions de plantes (mangues, papayes, bambous)

· 3 500 fermiers ont reçu des semences et des outils après la tempête tropicale ‘Jeanne’ en septembre 2004

· réalisation d’un plan de développement local pour une commune

· 5 contrats signés pour entreprendre des travaux civils afin de renforcer les opérations du canal d’Artibonite sud

· vaccination du bétail et lutte contre les maladies

· formation du personnel du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR)

De tels résultats renforcent l’opinion, selon laquelle le CCI est une tentative très fragmentaire de reconstruction agricole. Il est peu probable que ces activités mènent au développement du potentiel producteur des petits agriculteurs pour leur permettre d’affronter la concurrence sur les marchés locaux et les marchés d’exportation.

Bien que le renforcement du MARNDR ait été souligné comme étant prioritaire dans les plans initiaux du CCI pour le secteur agricole, il faut également remarquer que, dans la pratique, il a reçu très peu d’attention.

Dépense réelle pour le redressement économique par rapport aux plans initiaux

Une analyse de l’information financière concernant les dépenses relatives au redressement économique, y compris l’agriculture, indique un écart important entre les plans énoncés par le CCI et leur mise en œuvre. Ceci est illustré dans le tableau de l’Annexe 1, établi d’après :

-  le rapport récapitulatif de juillet 2004 sur le CCI, préparé par la Banque mondiale, l’UE, les NU et la BID, qui décrit en détail, pour chaque secteur, les besoins globaux et le pourcentage des fonds nécessaires
-  les chiffres des dépenses réelles des fonds du CCI, diffusés par la Cellule de Coordination Stratégique, située dans le bureau du premier ministre en Haïti, en octobre 2005 et mis à jour en mai 2006.

Redressement économique négligé

Lorsqu’en 2004 les bailleurs de fonds ont évalué les besoins d’Haïti, ils ont identifié le besoin de financement le plus important dans le domaine du redressement économique. Les besoins du secteur ont été évalués représenter 38.5% du budget total. Mais, d’après les chiffres divulgués par le bureau du premier ministre en mai 2006, dans la pratique, le redressement économique a reçu la plus petite part du financement (11.8%) des quatre axes stratégiques du CCI. Le redressement économique a reçu près de 80% de financement en moins par rapport aux besoins estimés en 2004, ce qui indique qu’il y a eu peu d’efforts concertés de la part des bailleurs de fonds pour stimuler la reconstruction économique en Haïti.

Dans l’axe du redressement économique, chaque secteur a reçu beaucoup moins de fonds comparativement aux besoins de ces secteurs estimés par les bailleurs de fonds du CCI en 2004 :

· la protection environnementale a reçu 53% de moins que le montant déjà dérisoire alloué initialement à ce poste

· l’agriculture a reçu 74% de moins

· la création rapide d’emploi a reçu 87% de moins

· la microfinance et le développement du secteur privé ont reçu 83% de moins.

Etant donné l’écart entre les fonds nécessaires et les fonds déboursés, il n’est pas surprenant de constater, selon le bureau du premier ministre, qu’aucun objectif n’a été réalisé concernant la création d’emplois et la microfinance.

Dépassement budgétaire de l’aide alimentaire

Des quatre axes stratégiques du CCI, un seulement a dépassé les dépenses prévues dans le budget basé sur les besoins identifiés initialement. Il s’agit de l’axe d’accès aux services de base, où le dépassement est dû à des dépenses beaucoup plus élevées pour la sécurité alimentaire et l’aide humanitaire. Pour des raisons évidentes, il est difficile d’anticiper, de façon précise, les dépenses humanitaires qui dépendent de la nature et de la fréquence des urgences (la tempête tropicale Jeanne en septembre 2004, par exemple).

Néanmoins, l’énorme dépassement des dépenses en sécurité alimentaire est particulièrement remarquable. Les besoins de ce secteur ont été estimés à 1.8 millions de dollars (principalement pour établir des systèmes de contrôle et pour appuyer la Coordination Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA) mais il a reçu plus de 76 millions de dollars. Cette aide qui provenait en grande partie des Etats-Unis est parvenue sous la forme d’une aide alimentaire. Il faut remarquer que l’aide alimentaire n’a pas été incluse par les bailleurs de fonds dans les plans initiaux d’allocation des ressources du CCI. Elle a été incluse rétrospectivement dans les chiffres de déboursement du CCI, déformant et gonflant ainsi le montant total déclaré avoir été déboursé à travers le CCI.

CCI et paiements de la dette

Dans le tableau de l’annexe 1, il convient de prêter attention au poste dans la rubrique ‘autres thèmes’ qui a trait à l’apurement des arriérés extérieurs. Les 5.8% des fonds du CCI reçus à cet effet représentent une proportion plus importante que ce qui a été dépensé pour plusieurs secteurs identifiés comme prioritaires dans les plans du CCI (sécurité, police et DDR, électricité, création d’emplois, agriculture et voierie ayant chacun reçu une proportion de fonds nettement inférieure).

Ces dépenses couvrent le non-paiement du service de la dette. Cela signifie qu’une proportion assez importante du financement des donateurs sert à payer les arriérés d’Haïti, principalement à la Banque mondiale et à la BID, plutôt que le développement d’Haïti. Il ne faut pas oublier qu’entre 45 et 49 pour cent du poids total de la dette d’Haïti est estimé provenir de prêts à la famille Duvalier et est classifié comme dette odieuse accordée à des dirigeants corrompus. Le refus d’aborder la nature odieuse de la dette d’Haïti continue d’avoir un impact sur le potentiel de développement du pays. Pendant que les arriérés sont payés par les donateurs internationaux dans des comptes de donateurs, la reconstruction économique est lésée

Conclusion

Dans son évaluation du rapport du CCI, en octobre 2005, le bureau du premier ministre a déclaré que, malgré quelques accomplissements, les progrès ne peuvent être classifiés que minimes et les effets positifs sur la qualité de vie de la population sont à peine perceptibles. Les procédures bureaucratiques qui retardent considérablement les déboursements, ainsi que le manque de coordination au sein du gouvernement sont les facteurs clés à l’origine du manque de progrès. Mais un manque de volonté politique pour affronter les énormes problèmes économiques d’Haïti a également été un obstacle majeur. Le nouveau gouvernement reconnaît clairement que le redressement économique a été négligé. En juin 2006, il a annoncé la création d’un Programme d’Apaisement Social (PAS) pour chacune des communes du pays (financé en partie par le CCI), conçu pour répondre, dans le court terme, aux besoins pressants des citoyens les plus pauvres d’Haïti. Nous ne doutons pas que ce programme sera le début du renversement de la situation de progrès médiocres des deux dernières années.

Recommandations aux bailleurs de fonds et au gouvernement haïtien sur le redressement économique

Au cours de leurs discussions et de leurs accords avec le gouvernement haïtien concernant l’utilisation des fonds de donateurs en Haïti, les bailleurs de fonds devraient tenir compte des recommandations suivantes :

· Le redressement économique doit être le thème cible de l’engagement futur des bailleurs de fonds, vu l’engagement dérisoire dans la reconstruction économique d’Haïti à ce jour et vu le niveau de reconstruction nécessaire.

· Un investissement sérieux dans une politique cohérente de développement agricole est nécessaire pour augmenter la productivité des petits agriculteurs et baisser les niveaux alarmants de pauvreté dans le pays. L’une des plus hautes priorités des bailleurs de fonds dans le travail de redressement économique doit être l’agriculture, et il est essentiel que les fonds promis au secteur soient réellement déboursés.

· Une politique cohérente de développement agricole doit être développée. Un élément central de cette politique doit être la réduction du déficit commercial d’Haïti et, par conséquent, de ses importations alimentaires. Le but doit être de remplacer, graduellement, les importations en favorisant la production nationale. Une telle stratégie doit être mise en œuvre graduellement afin de ne pas pénaliser les consommateurs urbains.

· Le plan de développement agricole doit identifier et cibler des chaînes particulières d’approvisionnement agricole, en particulier celles qui alimentent les marchés locaux, et s’efforcer de développer la compétitivité et la capacité des entreprises et des producteurs locaux.

· Pour veiller à ce que l’accent pro-pauvres soit maintenu, l’un des critères clés d’appui doit être, tout au long de la chaîne, le bénéfice direct aux petits agriculteurs et aux petites entreprises. Le développement d’industries agricoles doit être complémentaire à ces stratégies, et non pas les remplacer.

· La formation et le développement des capacités du personnel du MANRDR doivent recevoir une plus grande attention. De même, il doit y avoir un investissement plus important dans la formation et le développement des capacités des producteurs agricoles pauvres au niveau de la population.

· Etant donné l’étendue de la dégradation environnementale en Haïti, un investissement plus important est nécessaire dans la protection et la réhabilitation environnementales. Un manque d’investissement dans ce domaine pourrait annuler les bénéfices d’autres investissements agricoles.

· La question urgente de la dette haïtienne doit être abordée. Les bailleurs de fonds doivent immédiatement accepter d’annuler la portion de dette odieuse, de mettre fin aux paiements du service de la dette et d’appliquer un moratoire de 10 à 15 ans pendant que l’on procède à un audit complet de la dette restante.

II Société civile et le Cadre de coopération intérimaire

Lorsque les bailleurs de fonds se sont rencontrés à Washington pour la première fois, en juillet 2004, pour discuter du Cadre de coopération intérimaire, les organisations de la société civile (OSC) leur ont souligné la nécessité absolue d’un processus inclusif pour le développement et la mise en œuvre du CCI. Elles ont affirmé que ce processus devrait être ouvert à un large éventail d’acteurs de la société civile à Haïti, y compris aux secteurs les plus pauvres de la population. Il a été argumenté que les pauvres d’Haïti devraient apporter leur concours indispensable aux plans nationaux de développement car ils sont supposés en être les plus grands bénéficiaires.

Tout d’abord, le processus du CCI a été considéré comme représentant une conjoncture favorable pour la revitalisation de la transition politique et économique d’Haïti. En conséquence, plusieurs propositions ont été avancées par les organisations de la société civile participant à des groupes de travail à la conférence de Washington. La réponse des dirigeants du processus du CCI a été que les propositions des OSC seraient prises en compte et que le CCI serait un “document vivant†basé sur des processus de planification et de mise en œuvre inclusifs et participatifs.

La réalité

Malgré ces déclarations, les ONG participant à la CoE-H reprochent à la participation de la société civile d’avoir été très limitée durant l’ébauche du CCI, en avril et mai 2004, ainsi que durant les deux années de mise en œuvre du CCI (2004-2006). En effet, les secteurs les plus pauvres et les plus marginalisés de la société civile haïtienne ont été remarquablement absents de tout processus de consultation. Le comité directeur conjoint chargé de la mise en œuvre et du suivi du CCI (COCCI), par exemple, n’a, à aucun moment, noué le dialogue avec les organisations de la société civile.

En 2005, un groupe d’acteurs haïtiens non étatiques dialoguant avec l’UE au sujet de l’Accord de Cotonou, a déclaré que ni la planification, ni la mise en œuvre ni même l’évaluation du CCI n’avaient été participatives, et qu’en conséquence, il était peu probable que le CCI satisfasse les besoins des plus pauvres d’Haïti (c’est-à -dire des jeunes personnes, des femmes, des habitants des bidonvilles, des personnes travaillant dans le secteur agricole, des personnes travaillant dans le secteur informel et des personnes âgées).

En revanche, la consultation avec le secteur privé d’Haïti semble avoir été plus approfondie. Bien que le secteur privé soit un acteur clé dans le développement d’Haïti, les donateurs doivent reconnaître que ce secteur n’est pas représentatif de la société civile diverse d’Haïti ni des intérêts de ses citoyens pauvres.

Les avantages du dialogue avec la société civile

L’expérience a démontré que les initiatives de développement en Haïti ont plus de chances d’être fructueuses si leur planification et leur mise en œuvre bénéficient d’une large participation. Les OSC haïtiennes (y compris les partenaires de la CoE-H) pensent que, si elles avaient eu l’opportunité de dialoguer avec le CCI, leurs observations, leur expérience et leur expertise auraient enrichi la mise en œuvre du CCI. Par exemple, selon l’opinion de plusieurs partenaires haïtiens de la CoE-H, les donateurs internationaux ont gaspillé de vastes sommes d’argent avec la création d’un nombre énorme de diverses entités sectorielles, ou ‘tables’, pour la mise en œuvre du programme du CCI. La plupart de ces tables sectorielles n’ont pas très bien fonctionné et l’opportunité de les utiliser pour harmoniser les interventions sectorielles avec les priorités locales a été largement perdue. En fait, aucun secteur individuel ne peut résoudre, seul, les problèmes majeurs d’Haïti, qu’il s’agisse de la dégradation environnementale, du chômage ou de tout autre aspect de la pauvreté.

Un processus réellement participatif aurait permis aux bailleurs de fonds, au gouvernement et aux OSC de reconnaître et de compléter leurs forces et faiblesses respectives. Il aurait pu encourager un réel partenariat tripartite sur le plan des valeurs et des objectifs communs entre les acteurs de la société civile haïtienne, le nouveau gouvernement et la communauté internationale.

Manque de transparence

Un obstacle majeur à l’engagement de la société civile dans le CCI a été le manque sérieux de transparence concernant le dialogue des donateurs internationaux avec les autorités haïtiennes et concernant la planification, le développement, le suivi et l’évaluation du CCI.

Ce manque de transparence s’applique également aux préparations de la prochaine conférence des bailleurs de fonds le 25 juillet à Port-au-Prince. Trois semaines avant cette conférence, tardivement, les partenaires haïtiens de la CoE-H ont signalé qu’il leur était impossible d’établir quels arrangements avaient été pris pour la participation de la société civile à la conférence ou qui serait invité à y représenter la société civile, entravant ainsi leurs efforts pour développer des positions collectives pour la conférence ou pour avoir une participation significative dans ses délibérations. De même, pendant le mois qui a précédé la conférence, les membres de la CoE-H ont fait des efforts concertés, et à ce jour vains, pour établir si l’audit et l’évaluation indépendante du CCI, auxquels s’étaient engagés les donateurs eux-mêmes en février 2006, avaient effectivement eu lieu et pour savoir quels documents ou quelles évaluations seront utilisés comme base aux discussions à la conférence des donateurs en juillet.

Plans des donateurs comparés au plan national de développement

Suite aux élections de 2006, le contexte national en Haïti a changé et la population a clairement démontré sa détermination de mettre fin à la transition intérimaire. Les haïtiens veulent aujourd’hui un nouveau plan national de développement qui reflète la nouvelle réalité politique, économique et sociale du pays et qui leur permette de devenir des acteurs de leur propre destin. Les bailleurs contribuant au CCI doivent reconnaître ce changement de situation, même s’ils ont décidé, eux-mêmes, de prolonger le CCI jusqu’à la fin 2007. Selon l’opinion des organisations membres de la CoE-H et de leurs partenaires haïtiens, l’influence excessive de la communauté internationale dans tout le processus, aux dépens d’une réelle autonomisation de la population haïtienne, n’est plus acceptable.

Ceci est d’autant plus pertinent à une période où Haïti prépare son Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP). Le DSRP servira de nouveau cadre d’appui des donateurs, y compris de l’UE. Comme cela a été le cas avec les processus de DSRP dans d’autres pays, l’élaboration et la mise en œuvre d’une DSRP sont supposées promouvoir l’adhésion et la participation nationales. En effet, les donateurs eux-mêmes (y compris l’UE, la Banque mondiale et le FMI) ont souligné que la planification, la mise en œuvre et le suivi des DSRP devraient avoir la participation d’un grand nombre de représentants de la société civile.

En conséquence, il est à présent urgent et essentiel que le gouvernement haïtien et les donateurs créent des mécanismes nouveaux et durables pour engager la société civile dans la planification, le suivi et l’évaluation de tous les programmes futurs de développement, en se rappelant les erreurs de l’initiative du CCI.

Conclusion

La participation massive aux élections présidentielles du 7 février 2006 est un signe manifeste de l’espoir des haïtiens pour l’avenir et de leur désir de travailler en collaboration avec les autorités publiques pour la formulation d’un consensus national sur les problèmes de développement qui se présentent au pays. Mais s’ils sont encore une fois exclus, cette bonne volonté est susceptible de disparaître et avec elle tout espoir d’éliminer la pauvreté et l’insécurité en Haïti.

Recommandations

En vue de la prochaine réunion des donateurs prévue à Port-au-Prince le 25 juillet, les organisations membres de la CoE-H demandent à l’Union européenne et à ses Etats membres de considérer, dans leur dialogue avec le gouvernement haïtien, les recommandations suivantes :

· Effectuer une évaluation participative du CCI et publier les conclusions et les recommandations de cette évaluation. Rendre compte, publiquement, de la mise en œuvre de ces recommandations.

· Améliorer le fonctionnement du comité directeur conjoint pour la mise en œuvre et le suivi du CCI (COCCI) par l’établissement de mécanismes pour une participation plus inclusive des organisations de la société civile.

· Améliorer la qualité de l’information diffusée aux organisations haïtiennes de la société civile sur le progrès et la mise en œuvre du CCI.

· Tenir compte des plans qui existent déjà en Haïti, par exemple les plans communautaires dans la région du nord-est, et des approches déjà développées sous les auspices de la décentralisation.

· Traduire en Créole des documents clés afin de permettre aux organisations et aux réseaux sur le terrain de participer de façon significative au processus décisionnel.

· Mettre en œuvre une campagne de sensibilisation du public sur le CCI et ses mécanismes afin que le peuple haïtien soit en mesure de mieux comprendre le programme et ses activités.

· Diffuser de l’information publique sur le processus du DSRP, y compris l’ordre du jour, le cadre et la méthodologie proposés, ainsi que sur le processus d’approbation du budget national pour la mise en œuvre de la SRP. Tenir compte des recommandations des OSC quant à la formulation du DSRP.

· Tous les efforts du gouvernement et de la communauté internationale doivent être totalement transparents afin de promouvoir l’engagement général et la confiance des citoyens.

Coordination Europe-Haiti (CoE-H)

18 juillet 2006

Coordination Europe-Haiti (CoE-H)

Coordinatrice : Alessandra Spalletta

Rue des Tanneurs 165,

B-1000 Bruxelles

Tél : +32 2 213 04 18 Mob : +32 (0)486 647 612 ;

a.spalletta@broederlijkdelen.be

1) Coordination Europe-Haïti (CoE-H) est un réseau de solidarité européenne et d’organisations non-gouvernementales (ONG) travaillant directement avec des ONG partenaires haïtiennes et des groupes populaires. La CoE-H comprend 60 organisations dans 8 pays européens : La Belgique, les Pays-Bas, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Ireland, l’Espagne et la Suisse. La CoE-H travaille en étroite collaboration avec Coordination Haïti-Europe (CoH-E) en Haïti, formée par des ONG haïtiennes pour nouer le dialogue avec les ONG européennes et l’UE.