(Agence Monde noir)
Miragoane (Haïti), 24 mai 06 [AlterPresse] --- à€ Miragoâne, à environ une centaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale Port-au-Prince, des groupes de femmes et d’hommes vaillants ont décidé de ne plus attendre l’Etat haïtien. Ils ont pris l’éducation, la santé et l’assainissement de leurs milieux à bras le corps.
Deux fois par semaine, les mardis et samedis, une vingtaine de femmes, assistées de quelques hommes, enlèvent les ordures qui jonchent les rues de Miragoâne.
Dans les sections communales de Fonds Jean Simon, Carrefour Desruisseaux et Berquin, ces femmes et ces hommes vaillants s’échinent pendant des heures, sous un soleil de plomb, à faire du nouveau chef-lieu du département des Nippes un endroit où il fait bon vivre.
« Avec ces travaux de ramassage des immondices, la ville sera saine et attrayante », se réjouit une employée d’un hôtel situé à l’entrée de Miragoâne.
« Je suis fière d’y contribuer’’, s’exclame de son côté une paysanne vêtue d’une robe noire élimée.
« C’est nous-mêmes qui avons fourni gratuitement le matériel nécessaire », ajoute avec entrain une habitante de Carrefour Desruisseaux.
Leurs outils sont archaïques - houes, balais, râteaux, pelles et brouettes -, mais elles n’en ont cure. Pour elles, ce qui importe, c’est de nettoyer leur ville.
Si la population applaudit des deux mains, certains Miragoânais, par contre, leur lancent des injures ou se moquent carrément d’elles.
« Vous n’avez rien d’autre à faire chez vous que de perdre votre temps dans la rue ?’’, leur disent-ils, ne se gênant pas pour jeter de nouvelles ordures dans les aires nettoyées.
Leur incivilité est telle que, parfois, on doit appeler les forces de l’ordre afin de ramener les contrevenants à la raison.
Marie Carme Sinéas, la responsable du Mouvement des femmes de Miragoâne (MOFAM), qui regroupe 300 membres et dont l’action rejoint quelque 30 000 personnes, ne s’en fait pas outre mesure. Initiatrice du mouvement il y a tout juste un an, Madame Sinéas estime que la communauté n’a pas à attendre l’intervention de l’Etat.
« C’est un travail de bénévolat », affirme celle qui dit aimer profondément la région.
« Nous ne recevons aucune aide de l’Etat, ni de la mairie, pourtant intéressée au premier chef. Les gens qui travaillent à nettoyer la ville ne reçoivent rien en contrepartie. Ils font ça par fierté !’’
Propriétaire de l’hôtel Robsi de Carrefour Desruisseaux, la coordonnatrice de MOFAM a beaucoup voyagé de par le monde et a constaté de visu comment les diverses communautés s’organisaient pour conserver leur environnement propre.
Madame Sinéas espère voir cette activité durer longtemps après sa mort. Elle y croit d’autant plus que son organisme regroupe autant de personnes scolarisées que des analphabètes, à l’image de la première ville du département.
L’assainissement des rues n’est pas la seule activité du MOFAM, loin s’en faut.
L’organisme s’occupe aussi de reboiser monts et vallées ainsi que de prodiguer de l’information sanitaire, notamment en ce qui a trait au VIH/SIDA, dont le taux de prévalence est de 9% dans la zone, alors qu’il est de 4% dans le reste du pays.
Le MOFAM bénéficie même de l’expérience d’un ingénieur-agronome, qui prodigue gratuitement des conseils aux paysans en matière de reboisement, ainsi que de celle d’une infirmière.
Heureusement, le MOFAM n’est pas la seule organisation paysanne à prendre en main le développement de la région.
Toujours dans le département des Nippes, la Fédération des écoles communautaires de Nippes (FECON) prend en charge l’éducation primaire de bon nombre d’enfants vulnérables de la région.
« Il existe une carence évidente d’institutions scolaires dans la collectivité, et la majorité des riverains vivent en-dessous du seuil de la pauvreté, moins d’un dollar américain par jour », dit Lequel Adinord, coordonnateur adjoint de la FECON.
« C’est pour cela que nous avons implanté 70 écoles dans les communes de Miragoâne, Petite-Rivière-de-Nippes, Paillant, Fonds-des-Nègres et Anse-à -Veau".
Pour les responsables de la Fédération, éduquer les enfants est un devoir de citoyen, ainsi qu’une sorte de restitution de services à la collectivité. L’enseignement est quasiment gratuit, les élèves ne payant pour l’année que la modique somme de 250 gourdes (environ six dollars américains).
Les professeurs recrutés sont des natifs du département de Nippes. Leur travail relève plus du bénévolat que d’un véritable gagne-pain, un cas légion dans les zones rurales d’Haïti.
En effet, rares sont les professeurs qui perçoivent plus de 1,000 gourdes par mois (25 dollars américains). Les bâtiments où s’exerce leur quasi-bénévolat sont à l’avenant : les cours se donnent sous des tonnelles ou même en plein air, les bancs sont rares ou carrément en morceaux, très peu de matériel scolaire, etc. En somme, on est bien loin des luxueux bâtiments des pays développés...
« Mais le FECON ne regroupe pas toutes les écoles communautaires du département », précise Lequel Adinord, qui est également correspondant de Radio Galaxie dans le département.
« Les Nippes comptent à ce jour 177 écoles communautaires qui viennent à la rescousse des populations déshéritées. Certains ménages sont tellement pauvres que lorsqu’on offre de fournir un uniforme ou encore du matériel scolaire à leurs enfants, ils disent tout de suite qu’il nous faut aussi fournir les chaussures. Malheureusement, nos moyens ne nous le permettent pas ».
Les agents communautaires de la FECON ne restent pas les bras croisés. Ils cherchent constamment du financement auprès des organismes en faveur des écolières et écoliers du cycle primaire.
L’Agence canadienne de Développement International (ACDI) a ainsi alloué à la fédération 11,431,000 gourdes pour 2005-2006, qui ont servi à réhabiliter 15 écoles, et accordé des livres, des cahiers et du matériel scolaire à 20 écoles communautaires.
Comme dans tout le pays, les livres sont rares, sinon inexistants. C’est pourquoi Konbit Peyizan Nip (KPN) a mis en place une bibliothèque de lecture publique.
Appelée ‘‘Limyè demen’’, elle est au service de la communauté estudiantine de Chalon, première section communale de Miragoâne, et de ses zones environnantes.
Etabli dans une petite pièce de trois par quatre mètres dans une maison en dur située le long de la route nationale du Sud, cet espace de lecture est le seul de toute la commune qui compte une population de quelque 10,000 écoliers et étudiants.
« Les gens viennent lire quotidiennement, surtout des romans et, pour les plus jeunes, des bandes dessinées, dit Anicette Haïmie, animatrice de la bibliothèque Limyè demen.
« Justement, nous avons créé un Club de lecture pour les enfants afin de leur donner le goût de la lecture et de les sortir des griffes de la délinquance. Nous offrons aussi, avec l’aide de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) des séances de formation en bibliothéconomie à nos 229 membres adhérents ».
« Tous ces organismes font un bon travail », commente un habitant de Miragoâne.
« Si on continue comme ça à éduquer les enfants, à nettoyer les rues et à se prendre en main, nos jeunes n’auront plus besoin de s’exiler à Port-au-Prince. C’est tout le pays qui en bénéficiera » ! [lf rc apr 24/05/2006 11 :00]
Ce reportage a été rendu possible grâce à la contribution de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et de l’Agence Monde Noir