Débat
Par Marie Frantz Joachim [1]
Soumis à AlterPresse le 17 février 2006
Après cinq reports de date des élections, les Haïtiens et Haïtiennes ont finalement réussi à se rendre massivement aux urnes le 7 février 2006 pour participer aux élections qui viennent de conduire René Garcia Préval à la tête du pouvoir exécutif. Cette participation à hauteur de 60 pour cent de la population aux urnes peut-elle être interprétée comme une rupture avec le passé lavalassien ? Ou encore faut-il inscrire ce geste dans un cadre plus complexe qui se situe entre une démarcation entre Lavalas et Préval ? Ou enfin une sanction des pratiques de la plupart des secteurs politiques haïtiens, et une réponse au mépris affiché par le gouvernement de transition Boniface-Latortue ?
Sans vouloir dresser un bilan du régime lavalas, il nous semble salutaire de rappeler les traits caractéristiques de ce système qui a eu la gestion du pouvoir public au cours de cette dernière décennie si l’on met de coté les trois ans du coup d’état (1991-1994).
Un trop grand appétit de pouvoir
D’emblée, nous pouvons remarquer qu’en l’espace de douze ans, nous avons connu successivement 2 chefs d’état issus des urnes qui ont été tour à tour René Préval et Jean Bertrand Aristide, ce dernier, pour des raisons qu’on expliquera plus tard, ne réussissant jamais un mandat. Si en 1991, le coup d’état orchestré par le département d’état, l’oligarchie haïtienne et l’armée d’Haïti pouvait être considéré comme un acte qui a foulé au pied la volonté populaire exprimée le 11 décembre 1990, sa démission, en février 2005, a été perçue comme une bouffée d’oxygène. Depuis l’agitation par le régime Lavalas de la nécessité d’amender la Constitution du 29 mars 1987 pour prolonger à 10 ans la durée du mandat du chef d’Etat, des soupçons ne cessaient de planer sur la véritable intention de ce régime (R. Colbert, AlterPresse, mai 2003). Des actes posés par Aristide ne sont pas allés dans le sens de dissiper le doute. Bien au contraire !
Alors que le parti Fanmi Lavalas est favori aux élections de mai 2000, Aristide orchestre une fraude absolument incroyable lors des joutes parlementaires et locales : bourrage des urnes, modifications des procès-verbaux, etc. Le but de l’opération n’est pas seulement de remporter la victoire mais d’occuper tous les espaces de pouvoir politique en vue d’avoir plus de latitude pour exercer une mainmise absolue sur le pays. Animé par cet esprit d’insatiabilité et de contrôle du pouvoir, « tizè pouvwa » , en été 2002, Aristide s’attaque à l’autonomie de l’Université en nommant un conseil provisoire au rectorat de l’Université d’Haïti, présidé par Charles Tardieu, sous prétexte de la fin du mandat du Conseil élu. Et, comme tout autocrate, il s’en prend aussi à ses principaux adversaires, en l’occurrence des personnalités et partis politiques de l’opposition, qui voient leurs locaux, leurs archives et tout leur patrimoine politique transformer en flammes en décembre 2001.
Les libertés d’association et de réunion sur la voie publique sont souvent suspendues par de simples communiqués de la PNH. Des responsables des mouvements sociaux et politiques se font fouetter par des partisans armés du pouvoir et font l’objet de menaces d’assassinat réitérées. Des protestataires sont passibles de toutes sortes de représailles, notamment des actes de kidnappings, de pillages, de viols collectifs sur les femmes et les filles. Les journalistes sont persécutés. Nombreux sont ceux qui se sentent contraints de se mettre à couvert ou qui se réfugient à l’étranger pour ne pas subir le sort réservé à Jean-Dominique ou à Brignol Lindor (respectivement assassiné en avril 2000 et en décembre 2001). La justice est totalement vassalisée. Les commissaires de gouvernement ignorent les décisions de justice, tandis que les accusés circulent librement en toute impunité.
Tous les mois de l’année 2002 sont émaillés de cadavres d’innocents, enlevés puis découverts criblés de balles soit à la morgue de l’hôpital général soit sur des immondices à Titanyen (nord de Port-au-Prince). Les enlèvements, disparitions et exécutions sommaires sont devenus monnaie courante. Les arrestations arbitraires sont légions.
Sous Aristide, le trafic de drogue dépasse de loin les records atteints sous la junte militaire (C. Wargny, Monde Diplomatique, 2003). La corruption et le narcotrafic pavent les allées du pouvoir de Port-au Prince.
Les « OP » (organisations populaires), munies d’armes lourdes, occupent le terrain : au Nord sévit « l’Armée Saddam Hussein » aux Gonaïves, « l’Armée cannibale » ; à Saint—Marc, « l’Armée bale wouze » (« Nettoyage complet ») ; à Cité Soleil, « l’Armée rouge » ; à Petit-Goave, « l’ Armée Domi nan bwa » ( « les Sauvages ») ...
Cette inquiétude du mouvement social haïtien va se transformer en une véritable colère suite au passage de la répression à un point culminant. En effet, le 5 décembre 2003 des partisans armés du président, les « chimères », prennent d’assaut, avec l’appui de la police, la Faculté des Sciences humaines. Ils attaquent sauvagement les universitaires présents, qui se préparent à manifester. Le recteur de l’Université d’Etat, qui essaye de négocier, a les jambes brisées à coups de barre de fer. Deux facultés sont saccagées, des locaux, du matériel, du mobilier, des bibliothèques et archives sont incendiés et détruits.
Dans ce contexte, la Plate-forme démocratique de l’opposition, regroupant des partis politiques pour la plupart pas plus crédibles et fiables que le Parti Fanmi Lavalas d’Aristide, voit sa capacité de convocation et de mobilisation considérablement renforcer. On assiste à Port-au-Prince à plusieurs raz-de-marée. Des manifestations se déroulent dans plusieurs autres villes, qui n’avaient connu aucune mobilisation depuis un bon bout de temps. Ce qui fait penser que le mécontentement à travers le pays est profond et que la situation peut basculer.
C’est en effet grâce à la pression des manifestations que les partis de l’opposition ne succombent aux injonctions de la « communauté internationale » en vue d’une cohabitation avec Aristide. Même s’il faut admettre par ailleurs, que la prise du commissariat de la ville des Gonaïves par d’anciens mercenaires du président, puis l’entrée en scène de quelques dizaines d’ex- militaires et d’anciens putschistes venus de la République Dominicaine favorisent le départ d’Aristide le 29 février 2004.
Deux ans plus tard, cette population, appelée aux élections de février 2006, vote majoritairement René Préval, ex premier ministre d’Aristide (1991), son jumeau, son dauphin de 1995. En d’autres termes, un homme politique fabriqué par Lavalas, élevé a l’école de Lavalas et qui a gouverné selon les principes et les modes de fonctionnement de Lavalas.
La parenthèse Préval
En 1996, alors que Préval préconise la restauration de l’autorité de l’Etat, sa désinvolture, son « pourianisme » et sa gestion des relations avec d’autres secteurs politiques contribuent largement à la destruction des institutions, la généralisation de la corruption et les difficultés qui en découlent. Loin de se préoccuper de consolider la démocratie, il décide de dissoudre le Parlement, ce qui, paradoxalement, réduit ses marges d’actions, et par là même, entraîne une nette détérioration du niveau de vie quotidienne de la population. Une détérioration de la qualité de vie des Haïtiens et Haïtiennes qui va grandissant avec la mise en application du plan d’ajustement structurel.
Si la résistance populaire et parlementaire à la privatisation est telle en septembre 1995, que le cabinet ministériel s’abstient de signer une lettre d’intention à la Banque Mondiale qui engage Haïti à mettre en vente plusieurs entreprises d’Etat, René Préval parvient à organisé la vente de la cimenterie et de la minoterie au coût de centaines d’emplois. Plusieurs milliers de fonctionnaires de l’administration publique sont également mis à pied dans le cadre des retraites anticipées (1998-1999). La création du Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP) qui prévoit un programme de privatisation couvrant 33 unités publiques tous types confondus témoigne admirablement bien de l’intention du modèle économique que veut instaurer le gouvernement de Rony Smarth, premier ministre de Préval (PNUD, Bilan commun de pays, 2003).
Il ne semble pas inintéressant de rappeler par ailleurs que c’est sous l’administration de Préval et plus tard sous Aristide (deuxième mandat) que les gangs connus généralement comme une forme d’organisation de malfaiteurs, trouvent leur consécration auprès du régime Lavalas qui se lance dans plusieurs séances de négociations avec eux au palais présidentiel (Raoul Peck et Yanick Lahens, Un pays pris en otage). Ils seront intégrés pas la suite au sein de la Police. On se souvient encore de cette jeune policière, Christine Jeune, qui a été violée et par la suite assassinée pour avoir refusé de serrer la main d’un chef de gang notoire, lors d’une curieuse cérémonie de « réconciliation » organisée par le président Aristide au palais en présence de la presse.
La liaison entre le narcro-trafic et le pouvoir Lavalas n’est plus un secret pour personne. En février 2005, lors de son procès tenu en Floride, Jacques Baudoin Kétant affirme qu’Aristide contrôlait 85 % du trafic de cocaïne transitant par Haïti et que lui-même lui aurait versé des dizaines de millions de dollars de commission.
C’est donc à juste raison, qu’en novembre 2003, la Coordination Nationale de Plaidoyer en faveur des femmes (CONAP) qualifie ces pratiques lavalassiennes de terrorisme d’état et par la même décrète le régime Lavalas « hors la loi ».
A bien analyser les faits, sous quelque soit l’angle qu’on aborde le pouvoir lavalassien, il est difficile de faire une nette démarcation entre Préval et Aristide. Tant du point de vue économique que du point de vue social, politique et sécuritaire, on tend plus vers une dynamique de continuité, de complémentarité que de rupture. N’empêche que pourtant, encore une fois, en février 2006, le verdict populaire se prononce en sa faveur.
Alors quel sens peut on donner au vote du 7 février ? Pour comprendre le choix de la population en faveur de Préval, il faut dresser un portrait des deux autres principaux candidats dans la course à la présidence : Manigat et Baker.
Manigat, « l’homme du moment » ?
« Manigat, est l’homme du moment », se plait-on à dire durant la campagne électorale. Ayant une carrière de Professeur avéré, il préconise cinq mesures. Pour faire face au problème d’insécurité, il propose un élargissement des pouvoirs ordinaires de police. Pour combattre la corruption, il entend prendre des dispositions conservatoires sans préjuger de la culpabilité des uns ou des autres, alors que seule la justice est l’instance compétente pour déterminer les responsabilités. Il recommande comme troisième mesure, la négociation d’une suspension provisoire des déportations systématiques des délinquants coupables et condamnés par la justice américaine. La quatrième mesure est l’adoption d’une politique de casser les prix à la consommation pour combattre la vie chère en tenant compte de la complexité des intérêts acquis dans le commerce d’import-export et de détail. La cinquième mesure, concerne l’acceptation du recours à des « forces spéciales » combinées, d’origine étrangère mais en coordination avec les forces de l’ordre haïtiennes pour juguler l’insécurité urbaine et péri-urbaine.
Ce résumé de l’essentiel du programme de Manigat semble rejoindre les préoccupations d’une bonne partie de l’intelligentsia haïtienne qui, pour la plupart, se réclament de la gauche, mais au jour d’aujourd’hui, mettent leurs convictions idéologiques en veilleuse pour sauver le pays de l’abîme. En effet, l’urgence du moment étant de construire la nation, de projeter une image positive du pays, la formule « d’un gouvernement sérieux qui va prendre le peuple au sérieux pour qu’enfin nous ayons un pays sérieux » correspond tout à fait à leurs préoccupations.
Dans un pays dominé par le clivage politique, la médiocrité, l’exclusion, l’immoralité, les concepts tels unité, inclusion, compétence, honnêteté, font sens mais n’atteignent pas pour autant la grande majorité de la population, ce qui explique entre autres l’échec de Manigat aux élections. Il faut néanmoins reconnaître que, depuis vingt ans, c’est la première fois le parti de Manigat, Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes (RDNP), a un score aussi intéressant (11.83%) et devient la deuxième force politique aux dernières élections.
La percée de Baker
L’apparition de Baker, homme d’affaire, comme candidat à la présidence est un phénomène nouveau (durant les 20 dernières années), compte tenu de son origine sociale et de la couleur de sa peau. Depuis Lescot, le pays n’a jamais connu un mulâtre voire un blanc à la tête du pouvoir. Sa candidature vient rompre avec cette tradition qui veut qu’en Haïti, le pouvoir soit l’apanage de gens au teint foncé. Cet aspect n’a pas été abordé ouvertement lors de la campagne, mais il n’en demeure pas moins vrai que d’aucuns s’inquiétaient d’une résurgence des problèmes de couleur en Haïti qui se trouvent à l’état latent. En effet, comme par hasard, en Haïti, il est rare qu’une personne de teint foncé intègre une famille de teint très clair ou une famille mulâtre. La séparation est nette, les mulâtres fonctionnent entre eux, se marient entre eux, se font des enfants entre eux, montent des projets entre eux, s’amusent entre eux....Mais la question de couleur semble ne pas être un handicap en soi.
Indépendamment des paysans qui suivent la consigne de vote de leur leader, plusieurs petitEs marchandEs, des ouvrières, des servantes et des gardiens qui ont eu des rapports de travail d’exploitation avec un représentant de la classe bourgeoise haïtienne, peuvent avoir eu une propension à voter Baker. Ils invoquent plusieurs raisons pratiques : Ils veulent un sang neuf, des gens expérimentés dans la création d’emploi, des gens riches (ce qui représente pour certains une garantie contre la corruption).
Par ailleurs, le slogan de Baker, « lòd, disiplin, travay » agencé ainsi, quoique rappelant Mussolini, trouve sa résonance parmi des jeunes qui se refusent d’avoir comme seules perspectives d’avenir l’intégration à un gang, le basculement dans la drogue, la reproduction du système de corruption. Ils veulent un pays libre de violence où règnent l’ordre et la discipline, un président capable de faire face à ses responsabilités.
Il faut noter cependant que la classe bourgeoise, n’étant pas monolithique, n’a pas constitué un bloc derrière un seul homme. Le danger qu’il représente pour un secteur de la bourgeoisie haïtienne est plus d’ordre économique. Certains pensent en effet qu’avec une aile de la bourgeoisie au pouvoir, cela risque de provoquer du favoritisme pour l’une au détriment de l’autre voire une concurrence déloyale.
Son manque de maturité politique n’a pas joué non plus en sa faveur. Avec un homme comme Baker, on part à l’aventure comme on était parti à l’aventure avec Aristide en 1990. Certaines personnes n’étaient pas prêtes à répéter cette expérience douloureuse et catastrophique pour le pays.
Choisir Préval quand même
Si en dépit du bilan de chaos, de détérioration de la vie quotidienne de la population sous le régime lavalas, Préval a remporté la victoire, il faut se dire que la population haïtienne a établi une nette différence entre l’administration de Préval et celle d’Aristide. Le premier est le seul président depuis le départ des Duvalier en 1986 à accomplir entièrement son mandat, et donc a contribué à une pseudo stabilité. Quoiqu’on puisse reprocher à Préval, il a, entre autres, construit des routes, des écoles et promu un programme de « réforme agraire ». Les classes moyennes ont su aussi profiter de la plage publique de Montrouis (Cote des Arcadins, nord de Port-au-Prince), et des activités culturelles périodiques sur la place d’Italie, au Champ-de-Mars... Pour un gouvernement, ce n’est pas un bilan glorieux, mais à défaut de mieux, surtout après l’échec patent des deux ans de transition ayant suivi le départ d’Aristide, la population n’a éprouvé aucune réticence à opter pour le candidat de la plate-forme Espoir. (Le vote obtenu par Bazin, candidat de « Bò Tab La » fanmi lavalas, qui avait promis dans sa campagne d’oeuvrer au retour d’Aristide une fois élu, est à ce titre assez significatif).
Ce renouvellement de la confiance de la population à Preval dénote aussi la faiblesse des partis politiques qui se doivent d’assumer avec dignité leur échec. Ce verdict populaire doit servir de leçon à chacun des dirigeants politiques qui dans leur pratique, n’ont jamais fait preuve d’esprit de tolérance et de respect du principe fondamental de l’alternance démocratique à l’intérieur de leur parti. En ce sens, ils ne proposent aucun modèle différent de ce qu’ils critiquent. La population n’a aucune garantie, qu’ils ne reproduiront pas les mêmes pratiques qu’ils reprochent au pouvoir lavalas.
Même si les intellectuels qui ont appuyé Manigat ont fait l’économie de rappeler la manière dont il était arrivé au pouvoir en 1988, la population n’est pas complètement amnésique. De plus, Manigat reste un homme très peu ouvert aux suggestions des autres, confiné dans le cadre de son petit monde intellectuel, et qui a du mal à faire atterrir ses théories. Il n’est pas un homme pragmatique. Les temps sont révolus, la population exige des partis innovants. Il est grand temps pour les leaders politiques, de prendre du temps de construire de véritables partis, de promouvoir leur pensée politique pour que la population puisse dégager les grandes tendances de chacun d’eux et ce qui fait la différence de l’un par rapport à l’autre.
Ils doivent développer une pensée sur les grandes questions qui traversent la vie haïtienne notamment la question migratoire, l’aménagement du territoire, la question de la terre, la scolarisation universelle, le chômage, la pauvreté, l’alimentation de la population, la sécurité sociale, l’insécurité, le logement, l’accès à la propriété, les religions, la problématique de l’esclavage et ses conséquences, la question de la famille et ses corollaires, les violences conjugales. Ils doivent savoir mettre de l’avant l’intérêt du pays. Ils doivent penser la politique autrement en cultivant le sens de la construction au détriment de la destruction.
Bien entendu, des partis encrés dans une dynamique de changement véritable, devront prendre en compte les revendications populaires, rester à l’écoute des masses populaires et les accompagner dans la quête d’une société égalitaire, équitable, solidaire et juste.
La victoire de Préval repose sans aucun doute sur l’incapacité de la classe politique à dresser un bilan scientifique de son passage au pouvoir pour éclairer la population. Qui pourrait tenter de le faire ? On ne pouvait surtout pas s’attendre à voir l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) entreprendre une telle démarche compte tenu du fait de la proximité de ce parti avec Préval en 1996. Rosny Smart, dirigeant de l’OLP, n’était-il pas le premier ministre de Preval ? De ce fait, une critique de l’administration de Préval par l’OPL impliquerait automatiquement une autocritique de celle-ci, démarches, qu’elle ne semble pas prête à faire.
Préval a bien exploité la situation en menant sa campagne sur la base de ses acquis quoique pauvres. Donc, la population a voté le Préval de la réforme agraire, de la production nationale, de la pseudo sécurité, des infrastructures, de la stabilité... La population a voté l’ « Espoir » de pouvoir échapper à un certain mal-vivre quotidien, dans lequel il est plus que jamais enfoncé depuis 2 ans.
Elle suppose que les kidnappings cesseront, que les gangsters seront derrière les barreaux... que Jean Dominique et Jean-Claude Louissaint trouveront justice ! Elle voudrait aussi que la légèreté, l’arrogance et l’exclusion soient rangées parmi les souvenirs.
Préval se montrera-t-il à la hauteur des attentes de son électorat ? Saura-t-il garder le profil sage et humble, dont il a fait montre tout au cours de sa campagne ? Pourra-t-il admettre la désinvolture, le manque de responsabilité, que lui reprochent certaines tranches de la population, et de travailler à les rectifier ? Sera-t-il en mesure de travailler à la restauration de l’autorité de l’Etat (un Etat participatif dans l’intérêt public) en œuvrant à renforcer les institutions, conditions sine qua non pour l’instauration de la démocratie en Haïti ? Sera-t-il prêt à lancer des débats autour de grands dossiers qui engagent l’avenir de la nation ?
Mais, d’abord, a-t-il vaincu sa peur d’Aristide et des acolytes de ce dernier au point d’être disposé à traiter leur dossier de justice conformément à la loi ?
« Il est grand temps de rallumer les étoiles » (Gary Klang)
Quant à la gauche, s’il en existe encore une en Haïti, il est grand temps qu’il se manifeste. Il est vrai que les régimes lavalas semblent avoir tué l’espoir, que des branches du grand mouvement Lavalas prétendent vouloir réanimer. Mais rien ne justifie la léthargie actuelle qui ne favorise pas la restitution de tout un ensemble de concepts scientifiques galvaudés par les administrations passées.
La gauche doit faire son bilan et tirer les leçons appropriées. Elle doit pouvoir procéder à une analyse en profondeur de la formation sociale haïtienne, élaborer une proposition de refondation. Naturellement, cette réflexion tiendra compte de toutes les nouvelles formes de lutte qui sont en train d’être expérimentées depuis la chute du mur de Berlin et l’amplification du phénomène de la mondialisation. La génération de 1986 est essoufflée, et pour cause, nous avons connu au cours de ces deux dernières décennies beaucoup de déception. Les frustrations et les désillusions sont telles que d’aucuns se demandent ce qu’ils ont fait de leur jeunesse.
Rien n’est perdu. Il y a une population qui se cherche, qui a besoin d’être accompagnée, d’être outillée et organisée. La lutte à mener en est une de longue haleine. Changer Haiti, est un processus qui prendra, évidement, le temps qu’il faudra. L’important est d’avoir un idéal de changement, la capacité de réflexion et d’action ainsi que des ressources d’éducation politique permettant d’assurer une citoyenneté de qualité. Vive l’utopie d’une Haiti nouvelle !
[1] Linguiste et militante féministe
Contact : marfrantz@hotmail.com.