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Haiti : " Une voix, comme toujours, reste silencieuse "

Lettre/réaction à Chenet Jean-Baptiste [1], suite à la publication par AlterPresse de son texte Cour de Cassation : un nouvel acteur politique entre en scène

Par Fredler Breneville

Document soumis à AlterPresse le 16 octobre 2005

Chenet, cher ami,

Je viens de lire ton article paru aujourd’hui sur le Site Web de AlterPresse. Je constate que ton article ne se differencie pas des autres déja publiés sur ce sujet, bien qu’il ait un peu porté le débat à une autre dimension. Je me propose de souligner certains points dans ton article qui soulèvent des interrogations concernant l’affaire Simeus.

1. Je m’attendais au moins à ce que tu connaisses le nom du principal intéressé. Tu écris "Cineus" mais le nom est "Simeus". [2]

2. Comment peux-tu opiner sur l’arrêt sans même avoir le texte de l’arrêt, sans savoir les arguments utilisés par la Cour pour émettre sa décision ?

3. Tu aurais pu analyser les arguments soulevés par les avocats de Simeus pour voir s’ils sont solides, s’ils pourraient vraiment convaincre la Cour. Le texte du pourvoi en Cassation présenté par les avocats de Simeus a été publié cette semaine sur le Site Web InfoHaiti.net.

4. Tu parles de la détention d’un passeport comme présomption de nationalité. En ce qui concerne Simeus, la presse soutient qu’il est détenteur d’un passeport américain. Mais on n’a aucune certitude. D’ailleurs, d’après les avocats de Simeus, cette preuve n’a jamais été presenté par le CEP.

5. Au regard de la loi, il faut se demander à qui revient le fardeau de la preuve. Le candidat, certes, doit prouver qu’il a rempli les formalités de la Constitution pour être président. Mais si le CEP conteste le dossier d’un candidat, c’est au CEP que revient le fardeau de démontrer que ce dernier ne remplit pas les conditions exigées par la Constitution. Est-ce que le CEP s’est acquitté de sa tâche ? Est-ce que le CEP a fourni des preuves fondées pour soutenir que Simeus n’est pas Haïtien, a renoncé a sa nationalité haïtiennne ou ne remplit pas les formalités de la Constitution ?

6. Toute affaire litigieuse repose sur des arguments et des preuves. En tant qu’homme de loi, c’est ce qui m’intéresse. On peut facilement interpréter l’arrêt de la Cour de Cassation sur une base politique ou émotionnelle. Venant d’un homme politique ou de l’homme de la rue, cette attitude serait acceptable, mais il m’est difficile de le comprendre pour l’homme de loi que tu es. En cherchant à connaître des faits, une certaine prudence s’avère nécessaire et il est essentiel de procéder à une analyse approfondie.

7. Le côté positif de l’affaire Simeus est qu’elle soulève le débat de la double nationalité sur une grande échelle. C’est le moment de se poser des questions sur le bien-fondé de ce principe dans notre Constitution à un moment où une grande partie de la population haïtienne vit à l’extérieur du pays. De plus, peut-on continuer à exclure sur la scène politique la "diaspora" qui constitue le moteur économique de ce pays ? à€ un moment où le monde devient de plus en plus interdépendant, peut-on continuer à maintenir ce principe d’exclusion dans notre Constitution ? Il convient de souligner qu’Haïti est l’un des pays faisant partie d’un groupe minoritaire qui ne reconnaît pas la double nationalité. D’après un rapport publié par The US Center for Immigration Studies, en Juillet 2000, 89 pays reconnaissent une certaine forme de double et de multiple nationalités. (Voir Backgrounder, Center for Immigration Studies, Washington, USA, July 2000).

8. Il est vrai que le débat sur la double nationalité présente un côté très émotionnel. On comprend que certains candidats se sentent vraiment menacés par l’arrivée des éléments de la "diaspora" pourvus, dans bien des cas, d’un savoir-faire et de moyens économiques miroitants. Cependant dans tout ce débat, une voix, comme toujours, reste silencieuse. Cette voix est celle du peuple haïtien. Les prochaines élections seront donc l’occasion pour ce peuple de se faire entendre. Est-ce que ce gouvernement, avec sa main-mise sur l’appareil électoral, va laisser au peuple la possibilité d’exercer librement ce droit ?

Fredler Breneville, J.D., L.LM.
Boston, ce 15 Octobre 2005


[1Professeur à l’Université d’Etat d’Haiti
Faculté des Sciences Humaines

[2AlterPresse regrette de n’avoir pas été attentive à cette malencontreuse erreur et s’en excuse auprès de ses lecteurs