Par Chenet Jean-Baptiste [1]
Première d’une série de deux communications présentées à la Faculté des Sciences Humaines
Soumis à AlterPresse le 14 octobre 2005
(NDLR : Article corrigé. « Cinéus » est remplacé par « Siméus »)
L’arrêt rendu par la Cour de Cassation dans ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Siméus » vient consacrer une double réalité jusque-là habilement écartée par certains et délibérément et inconséquemment assumée par d’autres. Il s’agit, d’une part, fondamentalement du fait de l’occupation et, d’autre part, de l’épuisement total du système politique et juridique haïtien. L’élément majeur reste évidemment la réalité de l’occupation. Mais cette dernière ne peut pas être analysée et comprise sans l’articuler à la crise politique profonde qui menace l’existence même de l’Etat haïtien.
Il convient de préciser que n’était-ce cette crise de l’Etat, la domination néocoloniale n’aurait abouti actuellement à sa forme ultime qu’est l’occupation. Et le maquillage ou déguisement politiquement constaté du fait de l’occupation ne serait pas possible sans la complicité d’acteurs nationaux se prêtant allègrement à la tragicomédie qui se joue actuellement. En ce sens, avec l’arrêt portant sur « l’affaire Siméus » le dernier acteur politique qu’est la Cour de Cassation entre en scène. Ne demandez pas qui a créé le rôle qu’elle joue. Le scénario a été annoncé en personne et publiquement par la Secrétaire d’Etat des Etats - Unis lors de sa récente visite dans le pays « conquis ». Tous ceux qui veulent doivent pouvoir participer aux élections, affirma t-elle.
Nous reviendrons dans une prochaine communication sur le double fait de l’occupation maquillée et de l’épuisement du système politico - juridique haïtien (et leur indissociable articulation). Notre propos se limite pour l’instant à l’actualité brûlante se rapportant à l’arrêt de la Cour de Cassation et aux commentaires - dans la majorité des cas vides de contenu - auxquels il a donné lieu. Il n’est pas encore question non plus de commenter l’arrêt. Le texte intégral ne nous est pas pour l’instant accessible. Nous n’allons pas évidemment nous dérober à cette tâche qui s’impose d’ailleurs comme un impératif à tous les juristes et /ou politistes haïtiens engagés dans la lutte pour le changement social. La décision de la Cour de Cassation ne peut - elle pas être considérée comme une sorte d’ « arrêt - miroir », au sens où elle reflète l’état réel de décomposition de notre système juridique et politique. La présente intervention vise à prévenir les équivoques et à établir les préalables - nous dirons les fondamentaux même - pour la compréhension de l’affaire en question. En ce sens, trois (3) interrogations essentielles peuvent être soulevées : Quelle est la véritable question litigieuse qui est en débat ? Quels sont les principes juridiques de base (classiques) relatifs à la question de la nationalité ? En quoi consisterait, en l’espèce, l’examen de la Cour de Cassation ?
La véritable question litigieuse en débat
Toute situation litigieuse qui naît pour qu’elle fasse l’objet d’une appréciation juridique ou judiciaire est préalablement et obligatoirement soumise à une opération de qualification. Sans quoi il devient pratiquement impossible de cerner les faits, encore moins de les confronter aux exigences de la loi. Nous rappelons qu’en droit « qualifier, c’est ranger une situation ou des faits allégués dans une catégorie juridique déterminée ». En l’espèce (c’est - à - dire concernant l’affaire Siméus), le problème n’est pas de savoir si l’intéressé dispose ou jouit de la double nationalité. Une telle question demeure sans intérêt. Puisque aucun litige ou situation ne soulève des questionnements révélant l’identité binationale de M. Siméus. Et la résolution du litige exigerait d’établir, d’une part, le fait et, d’autre part, de déterminer la loi nationale qui serait applicable. En d’autres termes, l’affaire en question ne se porte pas sur un conflit de lois fondé sur la nationalité. L’affaire Siméus est donc sans rapport aucun avec la question de la double nationalité sans cesse invoquée dans les médias. La question fondamentale est la suivante : M. Siméus jouit - elle actuellement de la nationalité (d’origine) haïtienne ?
Une telle question renvoie au droit haïtien de la nationalité. Et ce droit, dans notre système juridique, a valeur constitutionnelle. Puisque la constitution de 1987 en dispose ainsi notamment en ses articles 10 et suivants.
Du point de vue de la législation haïtienne, l’espèce en question ne souffre et ne laisse place à aucune ambiguïté. En va t - il de même si l’on se réfère aux principes généraux ou fondamentaux du droit ?
L’Affaire Siméus au regard des principes fondamentaux du droit
A cet égard une triple précision s’impose :
La première se fonde sur un principe du droit international public solidement établi dans les relations internationales. « Il appartient à chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux (art 1er conv. De la Haye du 12 avril 1930) ». La nationalité constitue, de ce fait, un lien juridique et politique. C’est - à - dire que c’est la loi interne d’un Etat qui détermine souverainement ses nationaux et la nationalité repose sur une présomption d’appartenance à une collectivité étatique.
La deuxième précision est que la nationalité représente l’une des composantes les plus essentielles de l’Etat. Puisque c’est en se fondant sur celle-ci qu’un Etat arrive à déterminer sa population et à assurer l’unité du statut des personnes. La nationalité confère donc l’identité nationale.
La dernière précision concerne l’ordre international. Il est bien connu qu’en droit international public c’est sur la base de la nationalité qu’ « un Etat est fondé à exercer la protection diplomatique de ses nationaux ». Et en ce sens, tout national qui se déplace en dehors des frontières de son Etat doit disposer d’un titre lui attribuant cette faculté. Le passeport, à cet effet, ne peut être au plan juridique qu’un simple document administratif. L’ignorance et/ou la manipulation doivent avoir certaines limites. Le passeport est indiscutablement un titre octroyé par un Etat, attestant de l’identité, de la nationalité et du domicile de son titulaire et permettant à ce dernier de voyager. C’est une règle cardinale en droit international public maîtrisée par un étudiant de 2e ou 3e année de droit.
En conséquence, toute personne munie ou détentrice du passeport d’un Etat est présumée être son national. Il faut rappeler - particulièrement à l’attention de la jeunesse universitaire - qu’il n’existe qu’une seule manière pour un étranger d’obtenir la délivrance d’un passeport par un Etat. C’est par le biais du mécanisme (politique et juridique) de la naturalisation. Cette dernière (la naturalisation) est un acte discrétionnaire par lequel un Etat octroie sa nationalité à un étranger qui en fait la demande. En droit, la naturalisation s’oppose à la nationalité d’origine.
Il est donc manifeste que les principes fondamentaux du droit relatifs à la question de la nationalité ne soulèvent pas non plus de confusion. Alors pourquoi La Cour de Cassation a t - elle failli à sa mission de fixer définitivement et incontestablement le mot du droit ?
La Cour de Cassation : quel mot du droit ?
Précisons d’emblée que l’affaire Siméus est de nature fondamentalement politique. Personne ne peut de manière conséquente établir le problème ou même un malaise légal ou juridique qui justifierait, en l’espèce, l’intervention du juge. En vérité, ce à quoi nous assistons, c’est ce que nous appelons une instrumentalisation du droit et de la justice au service des plans ou arrangements politiques. Mais l’indécence et la médiocrité des différents acteurs impliqués ont rendu le procédé utilisé à la fois grotesque et sordide.
Dans l’examen de l’affaire, La cour de Cassation semble être tenue à une double obligation juridique et légale :
1- Procéder à la qualification de l’espèce qui lui est soumise, c’est - à - dire préciser sans équivoque la question de droit proposée à sa sanction et rappeler à quelles règles ou lois elle se rattache.
2- Proclamer que le droit haïtien de la nationalité ait valeur constitutionnelle. Ce qui commande la mise à l’écart de toute loi ou le rejet de toute décision administrative qui ne serait pas conforme au prescrit et à l’esprit de la constitution en la matière.
Certains lieux communs juridiques tels « la plus haute juridiction du pays a tranché...la décision de la Cour est irrévocable... patati, patata » ne font guère avancer le débat. Il n’est pas de bonne justice sans prévisibilité des solutions, dit Battifol. En l’espèce, La Cour de Cassation, pour le moins, n’a pas prononcé le mot du droit. Nous sommes bien contraint de rechercher les critères sur lesquels elle parvient à asseoir sa position et conforter sa conviction. C’est précisément l’examen de l’arrêt en question qui apportera l’issue définitive à ce débat.
Port - au - Prince, 13 octobre 2005
[1] Professeur à la Faculté des Sciences Humaines de l’ Université d’Etat d’Haïti