Quelle malédiction pèse sur haiti ?
Extrait d’un dossier publié par le mensuel martiniquais "Asé Pléré Annou Lite" (APAL) [1] dans son numéro 250 / novembre 2004 [2]
Soumis à AlterPresse en novembre 2004 et mis en ligne en 6 segments séparés [3]
A- DETTES, INDEMNITES ET VOLS
Haiti a connu le destin d’une victime des relations internationales inégales de type Nord-Sud. Le langage de la force pour traiter avec les Haïtiens a été monnaie courante. A titre d’exemple, un rapport de la Légation de France commentait que l’influence de la France avait tendance à baisser dans les rapports avec les Haïtiens du fait que ceux-ci n’avaient pas vu pendant trop longtemps une unité de la marine de guerre française en rade de Port-au-Prince.
1- Pour sortir le pays de la situation d’isolement, de l’incertitude internationale, des perpétuelles menaces et inquiétudes, Pétion propose à la France des indemnités. Mais c’est Jean-Pierre Boyer qui aura la lourde responsabilité de traiter avec la France. Les tractations ont duré de 1821 à 1925. Boyer propose une indemnité de 80 à 100 millions de francs-or, selon les capacités économiques, peut-être surestimées, de la République. Charles X décide de façon unilatérale d’imposer une indemnité de 150 millions, destinés soi-disant à dédommager les anciens colons. et aussi "l’emprunt destiné à acquitter l’indemnité coloniale doit être contracté à Paris" selon Charles X.
2- La double dette (indemnité et emprunt) fut acquittée en 1888. Le paiement de l’indépendance enrichit davantage les banquiers que les anciens colons. L’état haïtien a dû contracter trois emprunts, en 1825, 1874, et 1875, auprès des capitalistes français : le montant des sommes pompées du Trésor public haïtien en un demi siècle avoisine les 120 millions de francs-or.
3- Il faut énumérer également l’énormité de quelques autres "indemnités" réclamées par toutes les puissances capitalistes, manifestant l’insolence de leur impérialisme : l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis.
L’affaire du capitaine Batsch en 1872 : 15,000 dollars pour deux commerçants allemands qui ont prétendu avoir subi des dommages du temps des présidences de Geffard (1859-1867) et Salnave ( 1867-1869)
Après l’aventure de Salnave (mort assassiné) : 251,275 francs pour les résidents francais, 217.775 pour les anglais,89.260 dollars pour les américains.
En 1879, les États-Unis réclament 2,466,480 dollars pour Pelletier, condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir vendu des esclaves à Cuba en 1861.
En 1833, après le pillage de Port-au-Prince, JULES FERRY menace le pays d’une intervention militaire et exige trois millions de francs de dédommagement.
En 1893 Haiti doit payer 6000 piastres pour l’arrestation de Mews, un contrebandier américain, puis 160.000 dollars pour la veuve du britannique Maunder.
20.000 dollars pour l’allemand Luders condamné pour manque d’égard envers un agent, et pourtant gracié ; sous Tirésias Sam (1896-1902)
Ajoutons à cela, que les USA, qui insistaient pour avoir le contrôle de la banque d’ Haïti enlèveront le 17 décembre 1914, en plein jour, manu militari, le stock d’or du pays, soit 500.000 dollars, propriété incontestable du gouvernement haïtien. Et puis, comment ne pas considérer le cas de tous les dirigeants haïtiens déloyaux qui, avec la complicité des impérialistes, ont détourné les recettes de l’état, plus de la moitié parfois !
C’est ainsi que, comme l’indiquait Leslie Manigat, "Haiti n’est devenue et n’a pu devenir "sous-développée" qu’à partir du 19e siècle", invoquant deux raisons : "D’une part, elle a raté le train des révolutions techniques et industrielles avec leurs conséquences modernisatrices...et d’autre part, elle a été saisie telle quelle pour être inscrite dans le schéma des rivalités ds grandes puissances impérialistes à la recherche de "colonies sans drapeau" et de zones d’influences."
B- VICTIME DU NEO LIBERALISME
C’est ainsi que les puissances impérialistes ont jeté Haiti dans la spirale de la régression. Seuls les intérêts étrangers étaient sauvegardés. Un exemple concrêt pour illustrer cela : les compagnies américaines, pendant la seconde guerre mondiale,
ont éradiqué systématiquement les cultures de denrées et de vivres un peu partout en Haiti, au profit de la culture du sisal et de l’hévéa, afin d’obtenir des matériaux nécessaires à l’économie de guerre.
Haiti, écrasée dans l’engrenage de la dette illégitime, a de plus à subir aujourd’hui l’agressivité de la politique néolibérale, dans le cadre de la globalisation avec son cortège de privatisations et de main mise sur les ressources nationales.
Ainsi, après 97 : " deux entreprises ont fait l’objet d’une privatisation par capitalisation. La minoterie d’Haïti a été cédée à un consortium haitiano-américain composé de UNIFINANCE SA,Continental Grain,de la SEAB0RD Corporation. Le Ciment d’Haiti revient à un consortium haitiano-suisso-colombien réunissant la compagnie nationale de Ciment, Holderbank et Colcklinker."(annuaire économique 99 de l’institut CEDIMES )
C’est également l’installation de zones franches qui permet l’exploitation du peuple haïtien. En mars 2003, les bulldozer ont détruit les plantations de mais et de pois qui allaient être récoltés pour installer la zone franche de Ouanaminthe.
Valérie Técher développe, dans un article de la revue "Volcan" déjà citée, l’exemple de l’assemblage des Levi’s 505 et 555 dans l’usine CODEVI que GRUP0 M, la plus importante société textile dominicaine, à installé dans la nouvelle zone franche. :
" Les tissus arrivent de la capitale de la République dominicaine pour être assemblés à 0uanaminthe.Ils reviennent ensuite à leur point de départ pour les opérations de finitions avant de partir aux États-Unis. Les 300 ouvriers de l’usine haïtienne produisent 8,000 pièces chaque semaine pour un salaire de 16 euros ".
Les USA profitent encore de leur statut de puissance impériale pour enterrer d’énormes quantités de déchets toxiques dans le sol d’Haïti.
On ne peut enfin parler du pillage d’Haïti, sans évoquer l’exploitation quasi esclavagiste de la diaspora haïtienne. Les médias évoquent souvent l’aspect "boat peoples", l’aspect immigration clandestine. Mais ils occultent une réalité économique tangible. La masse de travailleurs haïtiens à l’étranger est une source énorme de création de richesse. Cette diaspora, qui est universellement connue pour être très majoritairement constituée de gros travailleurs, est sur exploitée, nous l’avons dit, souvent dans des conditions semi-esclavagistes. Les médias officiels ferment les yeux. Combien ont parlé de ce cas, révélé le mois dernier, qui est loin d’être exceptionnel, de la petite haïtienne de douze ans tenue en esclavage et abusée sexuellement dans une riche famille de Floride.
Et quand un grand fabriquant de jeux vidéos états-unien lance sur le marché un jeu où l’on doit tuer des émigrés haïtiens pour gagner, l’opinion internationale ne s’en émeut pas outre mesure.
LES DIX PREMIERS PRODUITS EXPORTES PAR HAITI
(valeur en milliers de dollars) (1997)
vêtements NDA 69.003
vêtements femme de bonnetterie 29.076
café 19.589
vêtements hommes sauf bonnetterie 15.965
vêtements femmes sauf bonnetterie 14.181
vêtements hommes de bonnetterie 12..298
accessoires du vêtement en textile 11.556
fruits frais ou secs 9.958
cuirs et peaux pr
parées 6.454
fruits frais ou secs 5.439
Source CFCE/UNSO repris par INSEE
EXPORTATIONS VERS LES USA
(Valeur en millions de dollars)
Aliments et animaux vivants 11,93
boissons,tabac 0,70
matières brutes non consommables
(carburant excepté) 2,79
produits chimiques et produits connexes 1,14
articles manufacturés classés
selon matières premières 14,87
machines et matériel de transport 3,92
articles manufacturés divers 213,07
articles et transctions non classés ailleurs 0,60
Source : ministère de l’économie et des finances de Haiti (exercice fiscal 97/98)
Croyez-vous que l’inexistence systématique dans les médias de photos des usines d’assemblage, des zones résidentielles, des villes bourgeoises, des monuments, des plantations de pois et de riz, soient le fruit du hasard ?
Certainement pas ! Ils ne veulent surtout pas donner des éléments à l’opinion publique pour qu’elle comprenne que la pauvreté des masses haïtiennes n’est pas due à la malédiction , mais qu’elle est le fruit du pillage impérialiste et de l’inégalité qu’il entretient dans la société haïtienne.